Histoire des salons de Paris. Tome 1. Abrantès Laure Junot duchesse d'

Histoire des salons de Paris. Tome 1 - Abrantès Laure Junot duchesse d'


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nouveau genre de littérature adopté dans le dix-huitième siècle était, comme toutes les littératures en France, favorable à la conversation ou plutôt à la discussion. Pour bien comprendre les différents personnages qui seront cités dans cet ouvrage, il faut suivre plusieurs d'entre eux, pour expliquer ensuite plus aisément l'intérieur de quelques-uns de ces salons, notamment à l'époque un peu obscure pour la dissemblance des opinions qui existaient déjà dans le monde, et surtout le monde de la haute classe, un peu avant la Révolution.

      Aux querelles des économistes, à celles des mesméristes, des gluckistes, à celle plus sérieuse des philosophes et du parti religieux, s'étaient jointes d'autres querelles qui, elles-mêmes, n'en étaient que des subdivisions. Mais leur objet n'en était pas moins très-sérieux, et amenait de nouveaux sujets de discussion, aussitôt que vingt personnes étaient ensemble; les femmes elles-mêmes se mettaient sur les rangs pour combattre, et cela avec d'autant plus de raison que c'était presque toujours une querelle de famille7. Cette nouvelle discorde venait de la lutte éclatante entre les évêques pieux et les évêques philosophes; les gens sensés y voyaient un sujet d'alarme et de dissolution, et les autres au moins un sujet de scandale. M. de Juigné, archevêque de Paris, était le chef du parti pieux; son acolyte, plus hardi que lui, M. de Beauvais, évêque de Senez, tonnait courageusement du haut de la chaire de vérité devant le feu roi:

      «Encore quarante jours, et Ninive sera détruite!» disait ce nouveau prophète…

      Et quarante jours après, le Roi était sur la première marche de l'escalier mortuaire à Saint-Denis!..

      Ce fut lui qui, dans l'oraison funèbre de Louis XV, disait encore: Le peuple n'a pas le droit de parler, mais il a sans doute celui de se taire!.. et son silence alors est la leçon des rois!

      Belle et méditative parole prononcée sur la tombe encore ouverte d'un roi dont le règne corrompu n'inspira à ses sujets que mépris et colère! M. Dulau était aussi un des orateurs religieux les plus remarquables; il était archevêque d'Arles, et éminemment distingué, non-seulement dans les affaires ecclésiastiques, mais habile comme homme du monde en ce qu'il savait faire tourner à l'avantage de son parti les moindres circonstances qui naissaient devant lui au milieu d'un salon. Il était admirable lorsqu'il se mettait à réfuter l'abbé Raynal, ou M. de Malesherbes, ou M. Turgot. C'était en effet un sujet digne d'attention, que de voir ces hommes, dont l'âme et le cœur ne respiraient que la vertu et l'amour du bien, différer largement d'opinions sur plusieurs points. Ces partis se trouvaient en présence chez le cardinal de Luynes, prélat d'une simplicité apostolique avec les lumières et les profondes connaissances d'un membre de l'Académie des Sciences. On rencontrait chez lui, en même temps, et l'évêque de Senez et M. de Pompignan, prélat d'une haute piété, l'archevêque de Toulouse et l'abbé de Périgord, aujourd'hui monsieur de Talleyrand, avec M. de Beaumont.

      C'est ce parti religieux, censuré d'abord pour la sévérité de ses principes, persécuté même ensuite, qui le 2 septembre disait à ses bourreaux:

      «Vous nous égorgerez… mais vous n'obtiendrez pas le serment que vous voulez imposer à nos consciences!..»

      Le salon de M. de Juigné était un des lieux les plus remarquables pour y entendre tonner la parole de vérité.

      Cette querelle religieuse fut un des sujets les plus actifs de trouble et d'agitation.

      Vinrent ensuite M. de Calonne et M. Necker… La Reine, qu'on a calomniée dans ses intentions, mais qu'il est difficile d'excuser dans ses actions à cette malheureuse époque, la Reine jouissait de la plus grande influence, et son crédit pouvait faire nommer un contrôleur-général des Finances, charge qui faisait alors reculer les plus intrépides. Dirigée par madame Jules de Polignac8, elle voulut remplacer M. d'Ormesson, dont les scrupules fatiguaient la Cour; le trésor était vide. Un homme éclairé, un homme intègre, n'eût pas osé se charger d'un tel fardeau: M. de Calonne, qui avait une réputation mal établie, ou plutôt qui n'avait rien à perdre, l'osa.

      Ce moment fut celui où les agitations de société furent le plus excitées. M. de Calonne, très-hardi, très-spirituel, possédant le talent de préparer et faire des actions odieuses dans l'exercice du fisc, et de tenir en même temps un langage de folie et de légèreté bien analogue à la langue de ce pays de cour, qui alors n'agissait que pour le démolissement de la monarchie, M. de Calonne avait un parti nombreux parmi des noms qui pouvaient beaucoup. Mais comme le parti de M. de Maurepas, qui voulait M. Necker, était aussi très-puissant, il ne fut pas muet dans cette circonstance importante: les pamphlets, les chansons, les lettres anonymes, inondèrent la société de Paris et de Versailles; la finance et la Cour, complètement mêlées par les mariages, prirent parti suivant leurs affections et leurs alliances. Il suivit de tout ce tumulte que la société devint une arène, un forum où les causes se jugeaient, plaidées par des femmes, des hommes jeunes et vieux, des gens de tout état raisonnant sur toutes choses; la raison n'en était pas mieux servie, mais la conversation y gagnait et était des plus animées, car nous n'étions pas encore arrivés au point où nous nous voyons. Nous disputons aujourd'hui; alors on parlait, et tout au plus on discutait quand les avis différaient. La Révolution, qui vit éclore des opinions exagérées dans leurs expressions comme dans ce qu'elles inspiraient, nous donna, et nous a laissé ces paroles acerbes, ces mots injurieux, pour lesquels il faut une voix assez élevée pour l'emporter sur celle de son adversaire, qui, oubliant quelquefois le nom, le sexe et la qualité de la personne avec laquelle il se trouve en différence de sentiments, crie de manière à couvrir la voix la plus étendue. Voilà pour expliquer un des premiers changements qui ont eu lieu dans la bonne compagnie de Paris.

      Mais, avant cette époque, il était survenu, dans le monde sociable de la Cour et de Paris, des événements qui devaient avoir une grande influence sur la destinée du pays: je veux parler de la scission qu'amena la querelle des parlements mêlée à celle des jésuites. Les deux armées une fois en présence, le combat ne tarda pas à s'engager, et la Reine, qui était à la tête du parti des parlements anéantis et exilés, se vit ainsi en butte aux vives attaques du parti contraire, qui était celui du parlement Maupeou. Je rappelle ce fait comme très-important, parce qu'il explique les causes de la première secousse donnée à l'édifice de la société des gens du monde, qui se trouvèrent eux-mêmes mêlés dans ces querelles.

      Ces deux partis étaient forts; mais celui dont l'opinion était contraire à celle de la Reine devait lui nuire grandement par la suite, quoique ce parti fût contre les idées philosophiques que le siècle accueillait. Voici la liste des principaux chefs de ces deux partis.

      À la tête de celui des parlements exilés par Louis XV, étaient:

      La Reine;

      Le comte d'Artois;

      Le duc d'Orléans;

      Le duc de Chartres;

      Le prince de Conti;

      La majorité des pairs du royaume;

      Le duc de Choiseul et sa faction;

      Le comte de Maurepas;

      La minorité du clergé janséniste et son parti;

      Les évêques philosophes;

      Une partie des gens de lettres.

      Parti des parlements établis par M. de Maupeou.

      Monsieur;

      Les trois tantes de Louis XVI (madame Adélaïde, madame Victoire, et madame Louise, la religieuse carmélite);

      Le duc de Penthièvre;

      Le chancelier de France;

      La minorité des pairs, spécialement le maréchal de Richelieu et le duc d'Aiguillon;

      Tout le reste de l'ancien ministère de Louis XV, et ce qui tenait à lui et au Dauphin, père de Louis XVI;

      La majorité du clergé, ayant à sa tête Christophe de Beaumont, archevêque de Paris;

      Les jésuites et leur parti;

      Les


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<p>7</p>

Voici à ce sujet un mot du prince de Conti le père. Son fils, le comte de la Marche, prit parti pour le parlement Maupeou; le vieux prince était pour l'ancienne magistrature, et pensait que la France était perdue si elle demeurait exilée.

«Je savais bien, dit-il un jour devant cent personnes, que le comte de la Marche était mauvais fils, mauvais père et mauvais mari, mais je ne le croyais pas mauvais citoyen.»

<p>8</p>

Il n'est que trop vrai que, dans l'origine, la Reine fut pour ce malheureux choix!..