Histoire des salons de Paris. Tome 4. Abrantès Laure Junot duchesse d'

Histoire des salons de Paris. Tome 4 - Abrantès Laure Junot duchesse d'


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qu'elle reconduisait. Une femme amie de M. de Saint-Far, que je ne nommerai pas parce qu'elle vit encore, connut madame de Montesson à Plombières, où elle fut en 1803. Elle crut qu'il suffisait d'avoir rencontré madame de Montesson aux eaux pour aller chez elle à Paris; la chose déplut à la maîtresse de la maison, qui la reconduisit jusqu'à la porte de son salon. L'autre, qui ne connaissait pas cette coutume princière, raconta à son ami, M. de Saint-Far, ce qui lui était arrivé, en ajoutant: – C'est extraordinaire, elle a été très-froide d'abord, et puis, tout à coup, quand je m'en vais, elle me fait une politesse qu'elle n'avait faite à personne. Elle m'a reconduite.

      – Comment, dit Saint-Far, elle vous a reconduite?

      – Oui, sans doute!

      – Eh bien, n'y retournez pas!.. – Et il lui expliqua la chose; cette femme était furieuse!..

      J'ai déjà dit que madame de Montesson était un personnage de l'histoire, et maintenant que la famille d'Orléans compte parmi celles de nos rois, c'est encore plus positif, puisqu'elle a épousé un de ses princes. J'ai parlé d'elle comme femme aimable et remplie de talents et à suivre, mais je ne l'ai pas montrée, comme je le vais faire, au milieu des artistes qu'elle patronait, des malheureux émigrés qu'elle secourait et faisait rentrer; entourée de jeunes femmes qu'elle amusait en ayant une maison charmante; donnant aux étrangers les premières fêtes qui furent données à Paris depuis la Révolution, et recréant ainsi la société, ce que lui demandait le premier Consul. On a prétendu qu'il ne lui avait même rendu sa pension qu'à cette condition. Je n'en sais rien, mais ce que je sais, si cela est, c'est qu'elle s'en acquittait bien.

      On dit qu'elle avait été charmante, et on le voyait encore. Je ne l'ai connue que fort âgée, et elle avait encore des dents admirables et un teint vraiment extraordinaire. Elle était petite et point voûtée, mais extrêmement maigre. Ses cheveux avaient été blonds, elle portait alors un tour châtain foncé. Ses yeux bleus, et de ce bleu foncé, violet, ardoisé, qui donne un si doux regard, étaient toujours beaux. J'ai connu même à cette époque plusieurs jeunes femmes qui enviaient ses yeux. Quant à sa tenue habituelle, j'ai déjà dit en parlant d'elle ce qui la distinguait des autres femmes de son âge, cette recherche de propreté exquise qui lui donnait une apparence jeune et attirante. Toujours bien mise selon son âge, elle portait habituellement une robe blanche fort élégante, mais de forme convenable, dans l'été, et l'hiver une robe d'étoffe grise ou de couleur sombre. Elle avait une particularité dont elle-même riait avec nous, avec ses jeunes femmes favorites, comme elle nous appelait trois ou quatre de la Cour consulaire5. C'était de changer en une physionomie froide et réservée une figure naturellement bienveillante et bonne; elle appelait cela avoir sa figure ouverte ou fermée.

      Le salon de madame de Montesson à Paris et à Romainville, où elle est morte, et où nous allions la voir souvent, avait une spécialité que je n'ai jamais retrouvée nulle part après que nous l'eûmes perdue. Elle avait, selon moi, une manière de causer plus intime et plus bienveillante que madame de Genlis, qui, d'ailleurs, avait plus d'esprit et surtout plus d'instruction qu'elle, mais qui était ennuyeuse à l'âge de madame de Montesson, au point de la fuir, tandis qu'on cherchait l'autre. Elle avait de la dignité et du liant néanmoins dans la conversation, et puis les hommes de lettres étaient heureux d'avoir son approbation. Ils n'étaient pas à l'aise auprès de madame de Genlis. Ils craignaient toujours une envie déguisée, une haine masquée derrière une approbation. Madame de Montesson ne voulait jamais qu'on parlât politique chez elle, mais ce qu'elle exigeait avant tout d'une personne qui lui était présentée, c'était un bon ton. Je l'ai vue à cet égard d'une extrême rigueur, et me refuser de recevoir un général, qui depuis est devenu maréchal, duc, et tout ce qu'on peut être. C'était le général Suchet.

      – Non, non, ma chère petite, me dit-elle lorsque je lui en parlai… Je vous aime, mais je n'aime pas tous vos grands donneurs de coups de sabre; votre général ne me convient pas…

      – Mais, madame… je vous assure qu'il ne jure pas comme le colonel Savary…

      Elle me regarda et se mit à rire.

      – Vous êtes une maligne petite personne, me dit-elle… Ah! il ne jure pas!.. Eh bien, je crois, Dieu me pardonne, que je l'aimerais mieux que ses révérences éternelles et ses compliments mielleux… Non, non, il m'ennuierait…

      Elle le refusa long temps; et puis le général Valence, qui lui imposait sa volonté et qu'elle craignait peut-être plus qu'elle ne l'aimait, lui amena le général Suchet l'année suivante; elle le reçut, mais je réponds que ce fut malgré elle.

      Sa maison était une des plus agréables que j'aie vues, jamais les jeunes femmes et les jeunes gens ne s'y ennuyaient. Il y régnait un ton parfait, et on s'y amusait au point de mieux aimer demeurer chez madame de Montesson que d'aller à une fête bruyante, comme une fête de ministre, par exemple…

      Elle défendait les conversations qui déchiraient. Elle prétendait que c'était un orage qui ravageait tout, pour ne rien laisser après lui que de mauvais fruits.

      Elle n'a pas été juste pour plusieurs personnes de sa famille, mais que peut-on dire lorsqu'on ne sait pas tout? Madame de Genlis, qui a tant écrit contre sa tante, à laquelle elle a refusé esprit, talents, beauté, tout ce qui attire enfin, et qui a pourtant prouvé qu'elle pouvait non-seulement attirer, mais attacher, madame de Genlis, si elle a écrit, a sûrement parlé. Eh bien! quelle est celle de nous qui, en apprenant qu'on la déchire incessamment, sera pour ses détracteurs toujours également bonne et bienveillante!.. S'il y en a, de pareils caractères sont rares; et de plus, ils ne sont peut-être pas vrais dans leurs démonstrations d'amitié. Quant à M. Ducrest, madame de Montesson eut tort… Il était son neveu, avait une fille charmante et dont la beauté toute naissante devait toucher le cœur de madame de Montesson, ainsi que cette disposition aux talents que nous lui voyons aujourd'hui6. Mais M. de Valence pouvait réparer la faute de sa tante, et il ne l'a pas fait. Madame de Valence l'eût fait, si cela eût dépendu d'elle, j'en ai l'assurance, car c'est une noble et aimable femme.

      Madame de Montesson contait très-drôlement. Un jour, elle nous dit comment M. le duc d'Orléans était devenu amoureux d'elle. On était à Villers-Cotterets, et l'on chassait. Le duc d'Orléans était fort gros déjà à cette époque; il faisait chaud; il voulut descendre de cheval ou de calèche, je ne sais comment ils étaient, je crois pourtant qu'ils étaient à cheval. Le duc d'Orléans, qui soufflait comme un phoque, s'assit sur l'herbe dans le bois, et demanda la permission à madame de Montesson, qui alors était fort jeune et fort jolie, d'ôter son col et de déboutonner sa veste de chasse. En le voyant dans cet équipage, madame de Montesson se mit à rire avec un tel abandon en l'appelant: Gros père… bon gros père, que le prince, qui avant tout était fort gai, se mit à rire comme elle, mais avec cette différence que sa rotondité faillit le faire étouffer; ce qui aurait eu lieu si madame de Montesson ne lui avait frappé le dos comme on le fait aux enfants qui ont la coqueluche.

      M. le duc d'Orléans était alors lié avec madame ***; mais son caractère jaloux n'allait pas du tout avec celui d'un homme l'opposé du romanesque et de la passion… En voyant les jolies dents de madame de Montesson paraître dans tout leur éclat, en riant avec abandon comme elle venait de le faire, il l'aima tout de suite, et depuis ce temps il ne l'a plus quittée que pour en faire sa femme, malgré la passion de madame de Montesson pour M. de Guignes, passion dont lui-même fut le confident. Madame de Genlis fut aussi confidente de cette affection de madame de Montesson, qui eut de la confiance en elle au point de lui dévoiler ses plus secrètes pensées;… ce qui n'empêche pas qu'elle ne le raconte tout au long dans ses Mémoires, et Dieu sait sous quel jour7!..

      Une particularité à signaler en parlant des salons de Paris, et surtout des salons de bonne compagnie, c'est que le premier grand bal particulier qui fut donné après la Révolution le fut8 par madame de Montesson, à l'occasion du mariage de mademoiselle Hortense de Beauharnais. Il y eut huit cents personnes d'invitées. Tous les


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Elle fut toujours parfaite pour moi, et j'en ai eu la preuve dans deux visites qu'elle me fit, l'une à l'époque de ma première couche, où je faillis périr, et l'autre à la mort de ma mère. – Elle ne faisait de visites À PERSONNE, si ce n'est à ceux qu'elle aimait et qui lui plaisaient.

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Madame Georgette Ducrest. Elle chante à ravir et écrit également bien. Je l'ai vue depuis à la Malmaison, d'où une jalousie basse et même une haine envieuse l'ont ensuite exilée, à notre grand regret.

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Madame de Genlis est souvent méchante, même pour quelques-uns des siens.

<p>8</p>

Ma mère avait une trop petite maison pour que cela fût remarqué, et madame de Caseaux ne recevait qu'un parti.