Histoire des salons de Paris. Tome 4. Abrantès Laure Junot duchesse d'

Histoire des salons de Paris. Tome 4 - Abrantès Laure Junot duchesse d'


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DE VALENCE

      Oui… vous avez bien raison… ma tante pense de même et moi aussi.

MADAME DE STAËL

      Mais que lui ai-je fait? Pourquoi tous les jours me menacer de ce malheureux exil?..

M. DE VALENCE

      Ah! pourquoi!..

MADAME DE STAËL, vivement

      Vous le savez?..

M. DE VALENCE

      Mais…

MADAME DE STAËL impérativement

      Oui… oui… vous le savez et vous allez me le dire.

M. DE VALENCE

      C'est que vous voyez beaucoup trop les gens de tous les partis.

MADAME DE STAËL

      Comment!.. Que voulez-vous dire?..

MADAME DE MONTESSON, après avoir lancé un coup d'œil de reproche à M. de Valence

      Ma belle, M. de Valence vous a dit légèrement une chose dont il n'est pas sûr. C'est pourquoi le premier Consul est fâché contre vous. Personne ne le peut dire… qui le sait?..

M. DE VALENCE, d'un ton piqué

      Ma tante, je vous affirme et je répète que le premier Consul est mécontent de ce que madame de Staël reçoit indifféremment tous les partis.

MADAME DE STAËL, riant

      Eh bien, tant mieux! du même œil il les peut observer tous, et du même filet les prendre en un moment.

M. DE VALENCE

      Oui, si vous les receviez tous indifféremment et le même jour. Mais vous en avez un pour chacun, et le premier Consul prétend… et… peut-être avec raison, que vous devenez alors, avec votre esprit supérieur, le chef de tous les partis contre lui.

MADAME DE STAËL, avec noblesse

      Voilà ce qu'on m'avait dit et ce que je ne voulais pas croire! Comment peut-il ajouter foi à des rapports mensongers aussi absurdes!.. Ah!.. si je pouvais le voir un moment… un seul moment!.. Mais je ne puis lui demander une audience que, peut-être, il me refuserait.

MADAME DE MONTESSON, sans paraître comprendre le regard de madame de Staël

      Vous voyez trop souvent aussi, ma belle petite, des hommes qui font profession d'être ses ennemis… Je ne dis pas dans votre salon, lorsque vous recevez cent personnes, mais intimement… et peut-être…

MADAME DE STAËL, sans paraître à son tour entendre madame de Montesson

      Oui, si je pouvais voir le premier Consul, je suis certaine qu'il serait bientôt convaincu de mon innocence… Une grande vérité doit lui être caution ensuite de mon dévouement au gouvernement: c'est mon désir ardent de demeurer à Paris… Oh! s'il m'entendait!

      Et la femme éloquente souriait d'elle-même devant les belles paroles qui surgissaient en foule de sa pensée, et qu'elle adressait dans son âme à celui qui pouvait tout et ne voulait rien faire pour elle.

      – Ne vient-il pas quelquefois chez vous? dit-elle enfin à madame de Montesson.

      Celle-ci, fort embarrassée, répondit en balbutiant. Madame de Staël sourit avec dédain et fut prendre une fleur dans un vase, qu'elle effeuilla brin à brin, en paraissant réfléchir avec distraction relativement aux personnes qui étaient dans la même chambre qu'elle. Puis, tout à coup, prenant congé de madame de Montesson, elle sortit rapidement. M. de Valence courut après elle, mais elle l'avait devancé; il arriva pour voir le domestique refermer la portière, et aperçut la main de madame de Staël qui lui disait adieu en agitant son mouchoir.

      – Quelle singulière femme! dit M. de Valence en remontant chez madame de Montesson. Pourquoi donc ne pas l'avoir engagée pour le déjeuner de demain? demanda-t-il à sa tante, en s'asseyant de l'air le plus dégagé dans une vaste bergère; c'était une belle occasion de la faire parler au premier Consul.

      – Est-ce que vous êtes fou! Comment, vous qui me connaissez, vous me demandez pourquoi je ne donne pas au premier homme du royaume une personne qui lui déplaît!.. (En souriant.) Je me rappelle encore assez de mon code de courtisan pour ne le pas faire…

      – Avez-vous ma belle-mère20?

      – Pas davantage. Je ne crois pourtant pas qu'elle lui soit désagréable et surtout importune comme madame de Staël, mais n'importe; votre belle-mère, mon cher Valence, est un peu ennuyeuse, nous pouvons dire cela entre nous, et je veux que le premier Consul s'amuse chez moi. Il aime les jolies femmes, et les femmes simples et agréables: votre belle-mère et madame de Staël ne sont rien de tout cela… Parlez-moi de Pulchérie21… à la bonne heure.

      Le lendemain matin, dix heures étaient à peine sonnées que l'hôtel de madame de Montesson était prêt à recevoir, même un roi.

      – Écoutez donc, lui dit M. de Cabre, il ne s'en faut pas de beaucoup…

      Tout était préparé avec la plus grande élégance, et il y avait en même temps beaucoup de luxe, mais ce luxe était si bien réparti, tellement bien entendu, que rien ne paraissait superflu de cette quantité d'objets d'orfèvrerie, de vermeil, et de superbes porcelaines qui garnissaient la table. Le plus beau linge de Saxe, aux armes d'Orléans22 et parfaitement cylindré, était sur cette table, et paraissait éclatant sous les assiettes de porcelaine de Sèvres, à la bordure et aux écussons d'or; de magnifiques cristaux, des fleurs en profusion: tout cet ensemble était vraiment charmant et imposant en même temps, parce que cette profusion était entourée de ce qui constate l'habitude de s'en servir.

      Vers midi et demi les femmes invitées commencèrent à arriver: madame Récamier, madame de Rémusat, madame Maret, madame la princesse de Guémené, madame de Boufflers, madame de Custine, cette belle et ravissante personne, cette jeune femme à l'enveloppe d'ange, au cœur de feu, à la volonté de fer, et tout cela embelli par des talents23 qui auraient fait la fortune d'un artiste;… madame Bernadotte, plus tard reine de Suède, madame de Valence, et plusieurs autres femmes de la société de madame de Montesson à cette époque, et de la cour consulaire.

      Heureuse comme une maîtresse de maison qui voit arriver tous ses convives, et dont les préparatifs sont achevés, madame de Montesson souriait à chacune des femmes annoncées avec une grâce bienveillante, qui redoublait à mesure que l'heure s'avançait. Tout à coup un nom qui retentit dans le salon la fit tressaillir… le valet de chambre venait d'annoncer madame la baronne de Staël!.. Quelque polie que fût madame de Montesson, elle ne dissimula pas son mécontentement, et madame de Staël put s'apercevoir que, certes, son couvert n'avait pas été compris dans le nombre de ceux ordonnés… Madame de Montesson espéra que le premier Consul ne viendrait pas. Il y avait une revue au Champ-de-Mars, Junot venait de se faire excuser pour ce motif. Le premier Consul pouvait donc être également retenu. Quoi qu'il en fût, madame de Montesson prit sur elle pour ne pas témoigner son mécontentement à madame de Staël, dont la démarche était au fait assez extraordinaire, et elle la reçut très-froidement, sans ajouter un mot aux paroles d'usage.

      Joséphine aimait beaucoup ce genre de fête du matin; elle y était, comme partout dès lors, la première; et pourtant cette heure de la journée excluait toute pensée d'une gêne plus grande que celle qu'impose toujours le grand monde; et puis on évitait l'ennui que donne la durée d'une fête du soir. Après le déjeuner, lorsque le temps le permettait, tout le monde allait au bois de Boulogne; mais, chez madame de Montesson, cela n'arrivait jamais, quelque temps qu'il fît, parce qu'elle avait toujours soin de remplir les heures de manière à les faire oublier.

      Une élégante d'aujourd'hui trouverait sans doute étrange une toilette de cette époque, comme nos petites-filles trouveront certainement celles de nos jours ridicules pour un déjeuner-dîner comme celui de madame de Montesson. Les plus attentives à suivre la mode d'alors portaient une longue jupe de percale des Indes d'une extrême finesse, ayant une demi-queue, et brodée tout autour. Les dessins les plus employés par mademoiselle Lolive24 étaient des guirlandes de pampres, de chêne, de jasmins, de capucines, etc. Le corsage


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<p>20</p>

Madame de Genlis était belle-mère de M. de Valence; elle eut deux filles, l'une d'une grande beauté, mariée à M. de La Woëstine; et l'autre, jolie, gracieuse, charmante, mariée à M. de Valence, qui ne la rendit pas aussi heureuse qu'elle le méritait.

<p>21</p>

Pulchérie était madame de Valence, spirituelle et charmante femme. Elle était encore fort jolie à cette époque.

<p>22</p>

Cette coutume était assez ordinaire dans les grandes maisons; mais surtout dans les maisons royales et les maisons princières.

<p>23</p>

Madame de Custine, belle-fille du général de Custine; qui mourut sur l'échafaud en 1793, était mademoiselle de Sabran.

<p>24</p>

Mesdemoiselles Lolive et de Beuvry étaient à cette époque les lingères les plus renommées; elles furent ensuite lingères de la cour; mais elles étaient déjà un peu vieilles, et avaient été lingères de nos mères. – Plus tard ce fut Minette qui prit leur place dans la mode pour être lingère des jeunes femmes. Elle faisait des choses charmantes, unissant le goût le plus recherché au plus grand luxe. C'est chez elle que j'ai vu une robe de percale, et par conséquent du matin, du prix de 2,500 francs.