Histoire des salons de Paris. Tome 4. Abrantès Laure Junot duchesse d'

Histoire des salons de Paris. Tome 4 - Abrantès Laure Junot duchesse d'


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un modèle que l'on suivit ensuite. Les valets de pied poudrés, en bas de soie, en livrée9; les valets de chambre en noir, la bourse10 et la poudre… Les fleurs en profusion sur l'escalier et dans les appartements, l'abondance de lumières et surtout de bougies était une des choses les plus frappantes de la fête. C'était toujours cette partie d'un bal dont les femmes se plaignaient alors, parce que leur toilette n'était pas assez vue. Aussi furent-elles contentes ce soir-là. – La nouvelle mariée était charmante! Comme elle était jolie à cette époque! Comme son spirituel et doux visage était en harmonie avec sa taille svelte et gracieuse!.. Elle portait habituellement au bal une robe en manière de tunique longue, et par-dessus un peplum soit blanc comme la robe, soit en couleur, et alors elle l'avait rose, bleu ou lilas, brodé en argent. Cette petite tunique, ayant le peplum par-dessus, lui donnait, en dansant, l'air d'une de ces Heures d'Herculanum, d'après lesquelles au reste elle avait fait son costume… mais sa physionomie était triste et abattue… Hélas! je connaissais un autre cœur qui était aussi bien triste dans cette même fête!.. et qui, ainsi que celui de la nouvelle mariée, ne devait plus connaître de vrai bonheur!..

      Le premier Consul fut enchanté de cette fête; on en parla pendant plus de quinze jours dans le salon des Tuileries… Aussi, dès que la nouvelle de l'arrivée du roi d'Étrurie parvint à Napoléon, il dit à Joséphine: – Il faut que madame de Montesson leur donne une fête, et plus belle encore que celle pour le mariage de Louis… Ensuite elle est leur parente!.. leur cousine… Cela fera bien… très-bien même.

      Les princes arrivèrent. – On sait ce qui en fut de ce voyage, et de l'effet qu'il produisit. Les princes d'Espagne, comme les appelait le peuple, formaient le plus drôle de couple qui ait jamais été offert à la moquerie parisienne… Ils entrèrent à Paris à sept heures du soir par une belle journée d'été, et traversèrent toute la ville avec les mules à grelots, les voitures du temps de Philippe V, et des visages de je ne sais quel pays et quel temps. Ils furent loger à l'hôtel de l'ambassade d'Espagne, rue du Mont-Blanc, et Dieu sait dans quel état ils le mirent! Le premier Consul, qui voulait qu'ils fussent parfaitement reçus, les entoura de tout ce qui pouvait leur être non-seulement agréable, mais de tout ce qui devait leur rappeler en plus même le luxe royal de leurs palais; s'il les avait connus, il ne se serait pas mis autant en peine11.

      Nous fûmes toutes et par ordre faire notre cour à la Reine d'Étrurie; elle me prit dans une belle amitié, parce que je parlais l'italien. Elle parlait mal le français, et préférait cette langue. C'était une femme d'esprit qui était à Paris dans une fausse position, et le sentait péniblement malgré la faveur de Bonaparte qui leur donnait une couronne. Elle comprit la position de son mari, lorsqu'il allait à la Malmaison et traversait toute cette place de la Révolution, sur laquelle étaient tombées quatre têtes de ses parents les plus proches!.. Car le Roi d'Étrurie était non-seulement Bourbon, mais encore neveu de Marie-Antoinette12, dont sa mère était la propre sœur!.. La Reine sentait tout cela, et malheureusement le sentait pour deux; car son mari riait de tout et chantait. La Reine était laide; elle était noire, petite, maigre, et ressemblait à sa sœur, princesse du Brésil, excepté pourtant qu'elle était droite, et que la régente était déjetée. Mais le malheur de la Reine d'Étrurie en France, ce ne fut pas autant d'être laide que d'être ridicule.

      Un jour, je fus chez elle de bonne heure pour l'emmener avec moi pour voir différentes curiosités; entre autres, le cabinet de Lesage à la Monnaie13, et plusieurs magasins curieux. On me prévint que la Reine ne pourrait sortir que dans une heure, mais qu'elle me priait d'entrer où elle était. C'était la chambre de son fils: elle était penchée sur le berceau de cet enfant qui avait, je crois, à peine trois ans. Elle était pâle et triste; l'enfant avait eu des convulsions au milieu de la nuit, et la pauvre mère s'était jetée hors de son lit à moitié vêtue, pour soigner son enfant. Des secours prompts avaient été donnés, et il s'était trouvé mieux vers le matin, mais il était encore abattu et dormait: sa petite main tenait celle de sa mère; on voyait qu'il s'était endormi en la regardant ou l'entendant… Quelques moments après il s'éveilla, et demandant à boire, ce fut à sa mère qu'il s'adressa; pourtant il y avait là une foule de bonnes et de femmes pour le servir… Cette préférence pour sa mère me fit prendre de la Reine une toute autre idée. Je laissai ceux qui ne la connaissaient pas rire de ses ridicules, moi je l'aimai et l'estimai pour ses qualités. C'est le sentiment que je lui ai toujours conservé, et lorsque, depuis, je l'ai revue en Italie, je le lui ai témoigné avec un nouveau sentiment d'intérêt pour ses derniers malheurs.

      Madame de Montesson, à qui j'avais dit un jour que j'avais trouvé la Reine dans son jardin en robe de Cour (c'est-à-dire habillée, car le costume de Cour n'était pas encore fait ni même arrêté), décolletée et brodée en soie, de couleurs très-voyantes… madame de Montesson lui fit observer qu'elle ne devait pas porter son fils au plein soleil dans le jardin, dans une parure comme celle qu'elle avait, parce que des maisons voisines on pouvait la voir.

      Elle se regarda dans une glace, et se mit à rire:

      – Vraiment! dit-elle, vous avez raison… mais je n'y ai pas fait attention un instant. Mon fils criait ensuite, et l'eussé-je vu, j'y serais allée de même.

      La Reine ayant appris que madame de Montesson était sa parente, fut alors fort gracieuse pour elle; il semblait qu'elle voulût lui faire oublier les duretés de Louis XV et de Louis XVI. Quant au Roi il faisait ce qu'on lui disait. L'hôtel où il logeait (l'hôtel de Montesson14) avait eu jadis une communication avec l'hôtel qu'occupait quelquefois le duc d'Orléans, et où logeait alors madame de Montesson. Cette communication avait été pratiquée dans une serre chaude, mais ensuite condamnée. Le Roi, par le conseil de la Reine, fit solliciter l'ouverture de cette porte, ce que s'empressa de faire madame de Montesson qui mettait de la grâce à la moindre chose.

      Pendant le séjour des princes de la maison de Bourbon à Paris, madame de Montesson essuyait souvent de vives attaques dont elle rendait compte en riant au premier Consul:

      – Savez-vous ce qu'on m'a dit hier, Général?.. Que vous étiez un nouveau Monck, et que vous alliez rappeler Louis XVIII.

      Le Consul fit un mouvement.

      – Et qu'avez-vous répondu, madame?

      – Que je n'en croyais rien… Napoléon sourit, mais sans parler.

      – Ils disent encore que les Bourbons qui sont ici sont venus appelés par vous, pour servir d'avant-coureurs pour juger les esprits.

      Napoléon sourit encore sans répondre. Cette fois il y avait de la malice, a dit depuis madame de Montesson; mais toujours le même silence.

      – Et quand leur donnez-vous votre belle fête? dit-il enfin15.

      – Mais, dans trois jours, Général. Toutes mes invitations sont envoyées. J'aurai huit cent cinquante personnes… Me ferez-vous l'honneur d'y paraître un moment?

      – Sans doute, mais je ne puis m'y engager; mes moments, vous le savez, ne sont pas donnés à la joie.

      – Non certes… et heureusement pour la France!

      Il sourit avec cette grâce, comme le disait madame de Montesson elle-même, que sa sœur Pauline n'avait pas.

      – En attendant, dit-il, je le mène ce soir aux Français, votre jeune Roi.

      – Dites le vôtre, Général.

      J'ai fait des rois et n'ai pas voulu l'être.

      Madame de Montesson raconta cette conversation assez indifférente en elle-même, mais remarquable, parce qu'elle avait prévu d'avance le vers que le parterre devait saisir et dont il devait faire l'application.

      Le parterre en effet fit un tel bruit lorsque Talma, qui alors faisait Philoctète, dit ce vers avec son talent habituel, que la salle


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<p>9</p>

C'est-à-dire en bleu tout uni avec des boutons ayant le chiffre.

<p>10</p>

La bourse attachée au collet de l'habit; ce qui faisait que la bourse demeurait au même lieu quand la tête tournait.

<p>11</p>

Excepté l'Escurial, Saint-Ildephonse et Aranjuez, où encore ce qui est luxe tient au pays ou bien aux tableaux que renferment les sitios, il n'y a aucun luxe dans les ameublements ni dans le reste du palais.

<p>12</p>

Il était propre neveu de la Reine de France et de celle de Naples; la duchesse de Parme était archiduchesse d'Autriche (Amélie). Il y a d'elle un beau portrait à Versailles.

<p>13</p>

Ce cabinet fut légué par M. Lesage au Gouvernement, et je pense qu'il a été donné au Jardin des Plantes, c'est-à-dire au Cabinet d'Histoire naturelle. M. Lesage avait assemblé un cabinet de minéralogie très-curieux et très-complet.

<p>14</p>

L'hôtel de Montesson est le même hôtel où eut lieu l'horrible incendie du prince de Schwartzenberg.

<p>15</p>

On voit que le duc de Rovigo ne dit pas vrai lorsqu'il dit que le premier Consul fut de mauvaise humeur contre ceux qui furent à cette fête. Au contraire, il y fit aller les officiers du château.