L'éclaireur. Aimard Gustave

L'éclaireur - Aimard Gustave


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et les amitiés.

      Balle-Franche était parfaitement au courant des faits auxquels le Loup-Rouge faisait allusion, et si certaines raisons que nous connaîtrons plus tard ne l'en avaient empêché, il aurait probablement aidé son ami à enlever l'Églantine au chef apache. Cependant un point restait toujours obscur dans son esprit: c'était la présence de Bon-Affût au milieu des Indiens, cette rixe dont il avait entendu les cris et ces coups de feu et qui semblait se terminer par une conversation amicale.

      Par quel concours étrange de circonstances, Bon-Affût, l'homme le plus au fait des ruses indiennes, dont la réputation en fait d'adresse et de courage était universelle parmi les chasseurs et les trappeurs des prairies de l'Ouest, se trouvait-il ainsi dans une position équivoque, au milieu de trente ou quarante Apaches, les Indiens les plus fourbes, les plus traîtres et les plus féroces de tous ceux qui sillonnent le désert dans tous les sens; voilà ce que le digne chasseur ne pouvait s'expliquer et ce qui le rendait tout songeur. Au risque de ce qui pourrait arriver, il résolut de révéler sa présence à son ami, au moyen d'un signal convenu entre eux de longue date, afin de l'avertir qu'en cas de besoin un ami veillait sur lui. C'était alors qu'il avait fait entendre ce sifflement au bruit duquel nous avons vu tressaillir le chasseur. Mais ce signal eut un second résultat, auquel Balle-Franche était loin de s'attendre; les branches de l'arbre au tronc duquel s'appuyait le Canadien s'écartèrent doucement, et un homme se suspendant par les bras tomba tout à coup à deux pas de lui, mais cela si légèrement, que sa chute ne produisit pas le moindre bruit.

      Au premier coup d'œil, Balle-Franche avait reconnu l'homme qui semblait ainsi tomber du ciel; grâce a sa puissance sur lui-même, il ne témoigna rien de l'étonnement que lui causait cette apparition imprévue.

      Le chasseur posa à terre la crosse de son rifle, et saluant poliment l'Indien:

      – Drôle d'idée que vous avez, chef, lui dit-il en souriant, de vous promener ainsi sur les arbres à cette heure de nuit.

      – L'Aigle-Volant guette les Apaches, répondit l'Indien avec un accent guttural; mon frère ne s'attendait-il pas à me voir?

      – Dans la Prairie, il faut s'attendre à tout, chef; je vous avoue que peu de rencontres me sont aussi agréables que la vôtre, en ce moment surtout.

      – Mon frère est sur la piste des Antilopes?

      – Ma foi, je vous jure, chef, qu'il y a une heure je ne me croyais pas aussi près d'eux; si je n'avais pas entendu vos coups de feu, il est probable qu'en ce moment je dormirais tranquille à mon campement.

      – Oui, mon frère a entendu chanter le rifle d'un ami, et il est venu.

      – Vous avez deviné juste, chef. Ah ça! Maintenant, mettez-moi au fait, car je ne sais rien, moi.

      – Mon frère pâle n'a-t-il pas entendu le Loup-Rouge?

      – Parfaitement, il n'y a rien autre?

      – Rien, l'Aigle-Volant a enlevé sa femme; les Apaches l'ont poursuivi comme de lâches coyotes, et cette nuit ils l'ont surpris à son feu.

      – Très bien, l'Églantine est-elle en sûreté?

      – L'Églantine est une femme comanche, elle ignore la crainte.

      – Je le sais, c'est une bonne créature; mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit pour le moment: que comptez-vous faire?

      – Attendre l'instant favorable, pousser mon cri de guerre, et tomber sur ces chiens.

      – Hum! Votre projet est un peu vif; si vous me le permettez, j'y changerai quelque chose.

      – La sagesse parle par la bouche du chasseur pâle; l'Aigle-Volant est jeune; il lui obéira.

      – Bon, d'autant plus que je n'agirai que dans votre intérêt; maintenant, laissez-moi écouter, la conversation me semble prendre une tournure fort intéressante pour nous.

      L'Indien s'inclina sans répondre, Balle-Franche se pencha en avant pour mieux entendre ce qui se disait.

      Au bout de quelques minutes le chasseur jugea probablement qu'il était temps d'intervenir, car il se tourna vers le chef, et lui parlant oreille à oreille ainsi qu'il avait fait pendant tout leur colloque précédent:

      – Que mon frère me laisse mener cette affaire, dit-il; sa présence nous serait plus nuisible qu'utile; nous ne pouvons avoir la prétention de combattre un aussi grand nombre d'ennemis, la prudence exige que nous ayons recours à la ruse.

      – Les Apaches sont des chiens, murmura le Comanche avec colère.

      – Je suis de votre avis; mais, quant à présent, feignons de ne pas les considérer comme tels. Croyez-moi, nous prendrons bientôt notre revanche; d'ailleurs l'avantage nous reste, puisque nous les trompons.

      L'Aigle-Volant baissa tête.

      – Le chef me promet-il de ne pas faire un geste sans un signal de moi? reprit le chasseur avec insistance.

      – L'Aigle-Volant est un sachem, il a dit qu'il obéirait à la Tête-Grise.

      – Bien; maintenant regardez, votre attente ne sera pas longue.

      Après avoir prononcé ces paroles avec cet accent railleur, moitié figue et moitié raisin, qui lui était habituel, le vieux chasseur écarta résolument les broussailles et entra d'un pas ferme dans la clairière, suivi de ses deux compagnons.

      Nous avons dit l'émotion causée par cette arrivée imprévue.

      L'Aigle-Volant avait regagné son embuscade au haut de l'arbre dont il n'était descendu que pour causer avec le chasseur et lui donner les renseignements dont celui-ci avait si grand besoin. Balle-Franche s'était arrêté auprès de Bon-Affût.

      – Ami, lui dit-il alors en espagnol, langue que la plupart des Indiens comprennent, votre ordre est exécuté; l'Aigle-Volant et sa femme sont à présent dans le camp des Gambucinos.

      – Bien, répondit Bon-Affût, comprenant à demi-mot; quels sont les deux hommes qui vous accompagnent?

      – Deux chasseurs que le chef des Gachupines m'a donnés pour m'accompagner, malgré mes assurances que vous vous trouviez au milieu d'amis; lui-même ne tardera pas à arriver à la tête de trente cavaliers.

      – Retournez auprès de lui et dites-lui qu'il n'est pas nécessaire qu'il se dérange, ou plutôt, non, j'irai moi-même afin d éviter tout malentendu.

      Ces paroles dites sans emphase, naturellement, par un homme que chacun des Indiens présents avait été souvent à même d'apprécier, produisirent sur eux un effet impossible à rendre.

      Nous l'avons dit déjà plusieurs fois dans différents de nos ouvrages, les peaux-rouges joignent à la plus folle témérité la plus grande prudence, ils ne tentent jamais une entreprise sans calculer d'avance toutes les chances de réussite qu'elle peut leur offrir. Dès que ces chances disparaissent pour faire place à de mauvais résultats probables, ils n'ont pas honte de reculer, par la raison toute simple que chez eux, l'honneur comme nous le comprenons en Europe ne tient qu'une place secondaire et que le succès seul est considéré.

      Certes le Loup-Rouge était un homme brave, il en avait dans maints combats donné d'innombrables preuves; cependant il n'hésita pas devant l'intérêt général à sacrifier ses désirs secrets, et en cela, nous le croyons, il donna une grande preuve de cet esprit de famille et de ce patriotisme pour ainsi dire instinctif qui est une des plus grandes force des Indiens. Tout fin qu'il était, le chef apache se laissa complètement tromper par Balle-Franche, dont l'aplomb imperturbable et l'intervention inattendue auraient suffi pour égarer l'opinion d'un individu plus intelligent encore que l'homme auquel il avait affaire. Le Loup-Rouge prit son parti immédiatement et sans arrière-pensée.

      – Mon frère la Tête-Grise est le bienvenu à mon foyer, dit-il; mon cœur se réjouit de recevoir un ami; ses compagnons et lui peuvent prendre place autour du feu du conseil, le calumet d'un chef est prêt à leur être offert.

      – Le Loup-Rouge est un grand chef, répondit Balle-Franche, je suis heureux des sentiments de bienveillance qu'il


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