L'éclaireur. Aimard Gustave

L'éclaireur - Aimard Gustave


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donnez-moi le papier.

      L'evangelista fouilla dans son tiroir et en tira une feuille de papier blanc sur laquelle quelques mots étaient tracés en noir d'une façon presque illisible.

      Dès que le soldat eut le papier entre les mains, il le parcourut des yeux; il paraît que ce qu'il lut avait pour lui un grand intérêt, car il pâlit visiblement, et un tremblement convulsif agita tout son corps, mais se remettant presque aussitôt:

      – C'est bien, dit-il en déchirant le papier en parcelles imperceptibles, voilà pour vous!

      Et il jeta sur la table une nouvelle poignée d'onces.

      – Merci, caballero, s'écria Tío Leporello en se précipitant avidement sur le précieux métal.

      Un sourire ironique plissa les lèvres du soldat, et profitant de la position du vieillard, qui était penché sur la table pour ramasser l'or il leva son couteau et le lui enfonça jusqu'au manche entre les deux épaules. Le coup fut si bien assené, porté d'une main si ferme, que le vieillard tomba comme une masse sans pousser un soupir, sans proférer une plainte. Le soldat le regarda un instant impassible et froid; puis rassuré par l'immobilité de sa victime, qu'il crut morte:

      – Allons, murmura-t-il, cela vaut mieux; au moins de cette façon il ne parlera pas!

      Après cette philosophique oraison funèbre, l'assassin essuya tranquillement son couteau, ramassa son or, éteignit le candil, ouvrit la porte de l'échoppe, la referma avec soin derrière lui, et s'éloigna de ce pas assuré, bien qu'un peu pressé, d'un promeneur attardé qui se hâte de regagner son logis.

      La plaza Mayor était déserte.

      VII.

      Une ténébreuse histoire (suite)

      L'ancien Mexico était traversé par des canaux comme Venise, ou pour être plus vrai comme les villes de Hollande, car généralement dans toutes les rues il y avait un chemin latéral entre le canal et les maisons. Aujourd'hui que toutes les rues sont pavées, et qu'excepté dans un quartier de la ville les canaux ont disparu, on a peine à comprendre comment Cervantes, dans une de ses Nouvelles, a pu comparer Venise à Mexico; cependant si les canaux ne sont plus visibles, ils existent toujours sous le sol, et dans certains bas quartiers où on les a transformé en égouts, ils se révèlent par l'odeur fétide qu'ils exhalent ou bien encore par des amas d'ordures et des eaux stagnantes et croupissantes.

      Le sergent, après avoir si lestement réglé ses comptes avec le malheureux evangelista, avait traversé la place dans toute sa largeur et s'était enfoncé dans la calle de la Monterilla.

      Il marcha assez longtemps dans les rues, du même pas tranquille qu'il avait adopté en sortant de l'échoppe de l'evangelista. Enfin, après une course de vingt minutes environ à travers des carrefours déserts et des ruelles sombres dont l'apparence misérable devenait à chaque pas plus menaçante, il s'arrêta devant une maison d'apparence plus que suspecte, au-dessus de la porte de laquelle, derrière un retablo de las Ánimas Benditas brûlait un candil fumeux; les fenêtres de cette maison étaient éclairées et sur l'azotea des chiens de garde hurlaient lugubrement à la lune. Le sergent frappa deux coups à la porte de cette sinistre demeure avec le cep de vigne qu'il tenait à la main.

      On fut assez longtemps à lui répondre; les cris et les chants cessèrent subitement dans l'intérieur; enfin le soldat entendit un pas lourd qui se rapprochait: la porte fut entr'ouverte, car, ainsi que cela se pratique partout à Mexico, une chaîne de fer soutenait les vantaux, et une voix avinée dit d'un ton bourru:

      – ¿Quién es? – Qui est-ce?

      – Gente de paz, répondit le sergent.

      – Hum! Il est bien tard pour courir la tuna et entrer au velorio! reprit l'autre, qui semblait se consulter.

      – Je ne veux pas entrer.

      – Que diable demandez-vous alors?

      —¡Pan y sal! Por los cabelleros errantes3, répondit le soldat d'un ton de commandement, en se plaçant de façon à ce que les rayons de la lune tombassent sur son visage.

      L'homme se recula en poussant une exclamation de surprise.

      – ¡Válgame Dios! señor don Toribio, s'écria-t-il avec l'accent d'un profond respect, qui aurait reconnu votre seigneurie sous ce misérable accoutrement? Entrez, entrez, ils vous attendent avec impatience.

      Et cet homme, devenu aussi obséquieux qu'il était insolent quelques minutes auparavant, se hâtait de détacher la chaîne afin d'ouvrir la porte toute grande.

      – C'est inutile. Pepito, reprit le soldat; je te répète que je n'entrerai pas: combien sont-ils?

      – Vingt, seigneurie.

      – Armés?

      – Complètement.

      – Qu'ils descendent à l'instant, je les attends ici; va, mon fils, le temps presse.

      – Et vous, seigneurie?

      – Moi, tu m'apporteras un chapeau, une esclavina, mon épée et mes pistolets; allons, dépêche.

      Pepito ne se fit pas répéter cet ordre; laissant la porte ouverte, il s'éloigna en courant.

      Quelques minutes plus tard, une vingtaine de bandits armés jusqu'aux dents firent irruption dans la rue en se bousculant les uns les autres. Arrivés auprès du soldat, ils le saluèrent respectueusement, et, sur un signe de lui, ils demeurèrent immobiles et silencieux.

      Pepe avait apporté les objets demandés par celui que l'evangelista avait nommé don Aníbal, que lui appelait don Toribio et qui, probablement, portait encore d'autres noms, mais auquel nous conserverons provisoirement le dernier.

      – Les chevaux sont-ils prêts? demanda don Toribio, en recouvrant son uniforme avec l'esclavina et en passant à sa ceinture une longue rapière et une paire de pistolets doubles.

      – Oui, seigneurie, répondit Pepito, le chapeau à la main.

      – Bien, mon fils! Tu les apporteras où je t'ai dit; seulement, comme la nuit il est défendu de parcourir les rues à cheval, tu feras attention aux celadores et aux serenos.

      Tous les bandits éclatèrent de rire a cette singulière recommandation.

      – Là, reprit don Toribio, en se coiffant d'un chapeau à larges bords que Pepito lui avait apportés avec le reste, voilà qui est fait; maintenant nous pouvons partir; écoutez-moi attentivement, caballeros.

      Les leperos et les autres coquins qui composaient l'assistance, flattés d'être traités de caballeros, se rapprochèrent de don Toribio afin de mieux entendre ses instructions.

      Celui-ci continua.

      – Vingt hommes marchant en troupe dans les rues de la ville éveilleraient, sans aucun doute, la susceptibilité et les soupçons des agents de la police; nous avons besoin d'user de la plus grande prudence, et surtout du plus grand mystère, pour réussir dans l'expédition pour laquelle je vous ai convoqués; vous allez donc vous séparer et vous rendre chacun isolément sous les murs du couvent des Bernardines; arrivés là, vous vous dissimulerez le mieux qu'il vous sera possible et vous ne bougerez pas avant mon ordre. Surtout pas de rixe, pas de querelle; vous m'avez bien compris?

      – Oui, seigneurie, répondirent les bandits tous d'une voix.

      – Très bien; partez alors, il faut que vous soyez au couvent dans un quart d'heure.

      Les bandits se dispersèrent dans toutes les directions avec la rapidité d'une volée d'oiseaux de proie; deux minutes plus tard ils avaient disparu aux angles des rues les plus rapprochées.

      Pepito seul était resté.

      – Et moi, demanda-t-il respectueusement à don Toribio, ne voulez-vous pas, Seigneurie, que je vous accompagne? Je m'ennuierai bien si je restais seul ici.

      – Je ne demanderais pas mieux que de t'emmener, mais qui nous préparera les chevaux si


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Mot à mot: Pain et sel pour les cavaliers errants.