L'éclaireur. Aimard Gustave

L'éclaireur - Aimard Gustave


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des revenus de la communauté.

      – Jésus! s'écria la vieille, dont les yeux pétillèrent de joie à la commande exorbitante du pulquero; trois bouteilles!

      – Oui, ma sœur. Je vous demanderai aussi la permission de me reposer un instant! Car je suis venu si vite, et l'émotion de la maladie de ma femme et de mes enfants m'a tellement brisé, que j'ai peine à me tenir debout.

      – Pauvre homme! fit la tourière avec pitié.

      – Oh! Ce sera réellement une charité que vous ferez, ma sœur.

      – Señor Templado, regardez, je vous prie, autour de vous, afin de voir s'il n'y a personne dans la rue; nous vivons dans un si mauvais temps, qu'on ne saurait prendre trop de précautions.

      – Il n'y a personne, ma sœur, répondit le pulquero en faisant signe aux bandits de se tenir prêts.

      – Alors je vais ouvrir.

      – Dieu vous en récompensera, ma sœur.

      – Amen! fit-elle dévotement.

      On entendit le grincement de la clef dans la serrure, le bruit des verrous qu'on tirait, et la porte s'ouvrit.

      – Entrez vite, mon frère, dit la religieuse.

      Mais Salado s'était prudemment retiré en arrière et avait cédé la place à don Toribio.

      Celui-ci s'élança sur la tourière sans lui laisser le temps de se reconnaître, la saisit à la gorge et lui serrait le cou dans ses deux mains comme dans un étau:

      – Un mot sorcière, lui dit-il à l'oreille, et je te tue!

      Épouvantée par cette attaque subite d'un homme dont le visage était couvert d'un masque noir, la vieille femme tomba à la renverse sans connaissance.

      – Au diable la coquine! s'écria don Toribio avec colère: qui nous guidera maintenant?

      Il essaya d'abord de faire revenir la tourière; mais reconnaissant bientôt qu'il n'y réussirait pas, il fit signe à deux de ses hommes de la bâillonner et de la garroter solidement; puis, après avoir recommandé à ces deux individus de rester en sentinelle à la porte, il s'empara du trousseau de clefs dont la religieuse était dépositaire, et il se mit en devoir, suivi de tous ses autres compagnons, de pénétrer dans le bâtiment habité par les religieuses. Ce n'était pas chose facile à découvrir dans cette immense Thébaïde que la cellule habitée par la supérieure, car c'était à l'abbesse seule que don Toribio en voulait.

      Or, pour causer avec la supérieure, il fallait d'abord la trouver, et c'était là ce qui embarrassait les bandits, maîtres de la place qu'ils avaient conquise par ruse. Cependant au moment où ils commençaient à perdre tout espoir, un incident, suscité par leur présence inopportune, vint à leur secours.

      Les bandits s'étaient répandus comme un torrent qui a rompu ses digues dans les cours et les cloîtres, sans s'inquiéter le moins du monde des suites que leur invasion pouvait avoir pour le couvent, criant et jurant comme des damnés; ils semblaient vouloir ne laisser aucun recoin, si secret qu'il fût, sans l'avoir visité avec soin; il est vrai qu'en agissant ainsi ils ne faisaient que se conformer aux ordres de leur chef.

      Les religieuses, accoutumées au calme et au silence, ne tardèrent pas à se réveiller à ce bruit, qu'elles crurent un moment causé par un tremblement de terre; elles s'étaient précipitamment jetées à bas de leurs couchettes, et à peine vêtues étaient venues, comme une nichée de colombes effrayées, se réfugier vers la cellule de l'abbesse en poussant des cris d'effroi épouvantables.

      La supérieure, partageant l'erreur de ses religieuses, était parvenue à ouvrir sa porte, réunissant son troupeau autour d'elle, elle s'avança résolument vers l'endroit d'où partait le bruit, s'appuyant majestueusement sur sa crosse abbatiale.

      Soudain elle aperçut une bande de démons masqués, criant, hurlant et brandissant des armes de toutes sortes. Mais avant qu'elle eut jeté un cri, don Toribio s'élança vers elle.

      – Point de bruit, dit-il, nous ne voulons pas vous faire du mal; nous venons, au contraire, réparer celui que vous avez fait.

      Muettes de terreur à la vue de tant d'hommes masqués, les femmes étaient restées comme pétrifiées.

      – Que voulez-vous de moi? balbutia la supérieure d'une voix tremblante.

      – Vous allez le savoir, répondit le chef; et se tournant vers un de ses hommes: Les mèches soufrées, dit-il.

      Un bandit lui apporta silencieusement ce qu'il demandait.

      – Maintenant, écoutez-moi avec attention, señora. Hier une novice de votre couvent qui, il y a quelques jours, avait refusé de prendre le voile, est morte subitement.

      La supérieure promena un regard de commandement autour d'elle, puis s'adressant à l'homme qui lui parlait:

      – Je ne sais ce que vous voulez dire, répondit-elle avec assurance.

      – Fort bien, je m'attendais à cette réponse. Je continue: cette novice, âgée à peine de seize ans, se nommait doña Laura de Acévedo y Real del Monte; elle appartenait à l'une des premières familles de la République; ce matin ses obsèques ont eu lieu avec tout le cérémonial usité en pareil cas, dans l'église même de ce couvent; puis son corps à été descendu en grande pompe dans les caveaux réservés à la sépulture des religieuses.

      Il s'arrêta en fixant à travers son masque sur la supérieure des yeux qui lançaient des éclairs.

      – Je vous répète que je ne sais ce que vous voulez dire, répondit-elle froidement.

      – Ah! Fort bien, écoutez encore ceci, señora, et faites-en votre profit, car vous êtes tombée, je vous le jure, entre les mains d'hommes qui ne vous feront pas grâce et ne se laisseront attendrir ni par vos larmes, ni par vos cris de douleur, si vous les obligez à en venir à certaines extrémités.

      – Vous ferez ce que bon vous semblera, répondit la supérieure toujours impassible; je suis entre vos mains; je sais que je n'ai pour le moment du moins nul secours à attendre de qui que ce soit, Dieu me donnera la force de souffrir le martyre.

      – Madame, répondit don Toribio en ricanant, vous blasphémez en ce moment: c'est un péché mortel que vous commettez sciemment, mais peu m'importe, ce sont vos affaires. Voici les miennes: vous allez à l'instant m'indiquer l'entrée des caveaux et l'endroit ou repose doña Laura Acévedo; j'ai juré d'enlever son corps d'ici, coûte que coûte. J'accomplirai mon serment, quoi qu'il arrive; si vous consentez à ce que je vous demande, mes compagnons et moi, nous nous retirerons en enlevant le corps de la pauvre morte, mais sans toucher à une épingle des richesses immenses que renferme ce couvent.

      – Et si je refuse, répondit-elle avec hauteur.

      – Si vous refusez, reprit-il en appuyant sur chaque mot, comme s'il avait voulu mieux les faire comprendre à son interlocutrice, le couvent sera pillé, ces blanches colombes deviendront la proie du démon, ajouta-t-il avec un geste qui fit frémir de terreur les religieuses, et vous, je vous appliquerai à une certaine torture qui, je n'en doute pas, vous déliera la langue.

      L'abbesse sourit avec mépris.

      – Commencez par moi, dit-elle.

      – C'est aussi mon intention; allons, ajouta-t-il d'une voix rude, à la besogne!

      Deux hommes s'avancèrent et s'emparèrent de la supérieure; celle-ci n'essaya aucunement de se défendre. Elle demeura immobile, impassible en apparence; cependant un froncement imperceptible de ses sourcils témoignait de l'émotion intérieure qu'elle éprouvait.

      – C'est votre dernier mot, señora, demanda don Toribio?

      – Faites votre office, bourreaux, répondit-elle avec mépris, essayez de vaincre la volonté d'une vieille femme.

      – C'est ce que nous allons faire; allez! commanda-t-il.

      Les deux bandits se mirent en devoir d'obéir à leur chef.

      – Arrêtez,


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