L'éclaireur. Aimard Gustave

L'éclaireur - Aimard Gustave


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la vois! Je la vois! s'écria-t-il avec un cri ressemblant plutôt à un rugissement qu'à la voix humaine.

      Et sans attendre davantage, sans même calculer la hauteur, il se précipita dans le caveau.

      Quelques minutes plus tard, il remontait dans la salle, portant dans ses bras le corps inanimé de doña Laura.

      – En retraite, mes amis! En retraite! s'écria-t-il en s'adressant à ses compagnons; ne demeurons pas une seconde de plus dans ce repaire de bêtes fauves à face humaine.

      Sur un signe de lui, doña Luisa fut enlevée dans les bras d'un vigoureux lepero, et tous s'éloignèrent en courant dans la direction des cloîtres. Bientôt ils atteignirent la cellule de la supérieure.

      En les apercevant, l'abbesse fit un effort violent pour briser ses liens, et se tordit impuissante, comme une vipère, en lançant à ces hommes qui avaient déjoué ses hideux projets, des regards chargés de haine et de rage.

      – Misérable! s'écria don Toribio, en passant près d'elle, et en la repoussant dédaigneusement du pied, soyez maudite, votre châtiment commence, car votre victime vous échappe.

      Par un de ces efforts que seule la haine arrivée à son paroxysme peut rendre possible, l'abbesse parvint à déranger un peu son bâillon.

      – Peut-être! s'écria-t-elle d'une voix qui résonna comme un glas funèbre aux oreilles de don Toribio.

      Vaincue par ce dernier effort, elle s'évanouit.

      Cinq minutes plus lard, il ne restait plus dans le couvent que ses hôtes accoutumés.

      IX.

      Balle-Franche et Bon-Affût

      A ce point de son récit Balle-Franche s'arrêta et s'occupa d'un air pensif à charger de tabac sa pipe indienne.

      Il y eut un long silence.

      Les assistants, encore sous le coup de cette histoire extraordinaire, n'osaient hasarder aucune réflexion.

      Bon-Affût releva la tête.

      – Cette histoire est fort dramatique et fort sombre, dit-il; mais pardonnez-moi ma rude franchise, mon vieux et cher camarade, elle me semble n'avoir aucun rapport avec ce qui se passe autour de nous, et les événements dans lesquels nous sommes probablement appelés a être acteurs, ou tout au moins spectateurs intéressés.

      – Au fait, observa Ruperto, que nous importent, à nous autres coureurs des bois, les aventures qui arrivent à Mexico, ou dans n'importe quelle autre ville des tierras interiores? Nous sommes ici dans le désert pour chasser, trapper ou combattre les peaux-rouges; toute autre question doit fort peu nous toucher.

      Balle-Franche hocha la tête d'une façon significative, et posant machinalement sa pipe auprès de lui:

      – Vous vous trompez, compagnons, reprit-il; croyez-vous donc que je vous aurais fait perdre votre temps à écouter ce long récit, s'il n'avait pour nous tous une raison d'actualité des plus importantes?

      – Expliquez-vous alors, mon ami, reprit Bon-Affût, car je vous avoue que, pour ma part, je n'ai absolument rien compris à ce qu'il vous a plu de nous dire.

      Le vieux Canadien leva la tête, et sembla, pendant quelques instants, calculer la hauteur du soleil.

      – Il est six heures et demie du matin, dit-il, vous avez encore devant vous plus de temps qu'il ne vous en faut pour vous rendre au gué del Rubio, où doit vous attendre celui auquel vous vous êtes engagé à servir de guide; écoutez-moi donc, car je n'ai pas fini tout à fait; maintenant que je vous ai rapporté le mystère, je vais vous dire quels sont les renseignements qui sont venus l'éclaircir.

      – Parlez, répondit Bon-Affût, du ton d'un homme qui se résout à écouter par condescendance un récit qu'il sait ne pas devoir l'intéresser.

      Balle-Franche, sans paraître remarquer l'apathique complaisance de son ami, reprit la parole en ces termes:

      – Vous avez vu que tout avait été prévu par don Toribio avec une prudence qui devait éloigner tous soupçons et couvrir cette aventure d'un voile impénétrable; malheureusement, l'evangelista Leporello n'avait pas été tué roide: il put non seulement parler, mais encore montrer un double de chacune des lettres qu'il remettait tous les jours au jeune homme, lettres que celui-ci lui payait si cher et que, par cette prudence innée dans la race mexicaine, il avait précieusement gardées pour s'en faire un arme au besoin contre don Toribio, ou, ce qui est plus probable encore, pour se venger au cas où il serait victime d'une trahison. Ce fut ce qui arriva: l'evangelista, trouvé agonisant par un client matinal, eut la force de faire une déclaration en règle au juez de lettras4 et de lui remettre les papiers, puis il mourut. Cet assassinat, rapproché de l'enlèvement des serenos par une troupe nombreuse et de l'envahissement du convent des Bernardines, donna une piste que la police commença à suivre avec une ténacité extrême, d'autant plus que la jeune fille dont le corps avait été si audacieusement enlevé, avait des parents puissants qui, pour certaines raisons à eux connues, ne voulurent pas laisser ce crime impuni, et répandirent l'or à profusion. L'on sut bientôt que les bandits, en sortant du couvent, étaient montés sur des chevaux amenés par des gens apostés par eux, et s'étaient éloignés à toute bride dans la direction des presidios. On parvint même à découvrir un des hommes qui avaient fourni les chevaux; cet individu, nommé Pepito, plutôt gagné par l'or qu'on lui offrit qu'effrayé par les menaces, déclara avoir vendu, pour le compte de don Toribio Carvajal, vingt-cinq chevaux de route, livrables à deux heures du matin, au couvent des Bernardines; comme ces chevaux avaient été payés d'avance, lui, Pepito, ne s'était pas préoccupé du singulier endroit qu'on lui assignait et de l'heure non moins singulière. Don Toribio et ses amis étaient arrivés portant avec eux deux femmes, dont l'une paraissait évanouie, et ils s'étaient immédiatement éloignes à toute bride. La piste des ravisseurs avaient été suivie ainsi jusqu'au presidio du Tubac, où don Toribio avait fait reposer sa troupe pendant quelques jours; là il avait acheté un palanquin fermé, une tente de campagne, toutes les provisions nécessaires à une longue exploration dans le désert, et une nuit il avait disparu subitement avec toute sa troupe, augmentée de tous les gens sans aveu ramassés par lui au presidio, sans que nul pût dire de quel côté il s'était dirigé; ces renseignements étaient vagues, mais suffisants jusqu'à un certain point; les parents de la jeune fille continuèrent leurs recherches.

      – Je crois commencer à entrevoir où vous en voulez venir, interrompit Bon-Affût, mais concluez; lorsque vous aurez terminé, je vous ferai certaines observations, dont, j'en suis convaincu, vous reconnaîtrez comme moi la justesse.

      – Je ne demande pas mieux, mon bon camarade, interrompit Balle-Franche, et il continua. Un homme qui, il y a une vingtaine d'années, m'a rendu un certain service assez important, que je n'avais pas revu depuis, et que, certes, je n'aurais pas reconnu s'il ne m'avait pas dit son nom, seule chose que je n'avais point oubliée, vint me trouver, sur ces entrefaites; Ruperto, mon associé et moi, nous étions au presidio du Tubac occupés à vendre quelques peaux de tigres et de panthères. Cet homme me dit ce que je vous ai rapporté; il ajouta qu'il était proche parent de la jeune fille, il me rappela le service qu'il m'avait rendu, bref il sut tellement m'émouvoir, que je m'engageai a l'aider à se venger de son ennemi. Deux jours plus tard nous prenions la piste; pour un homme habitué comme moi à suivre la trace des Indiens, cette piste était un jeu d'enfant, et bientôt je le conduisis presque en présence de la caravane espagnole commandée par don Miguel Ortega.

      – L'autre se nommait don Toribio Carvajal.

      – Ne pouvait-il pas avoir changé de nom?

      – A quoi bon dans le désert?

      – Dans la prévision qu'on le poursuivrait.

      – Les parents avaient donc un grand intérêt à cette poursuite?

      – Don José m'a dit être l'oncle de la jeune fille, pour laquelle il a une tendresse de père.

      – Mais elle est morte, il me semble,


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Juge criminel