L'oeuvre du divin Arétin, première partie. Aretino Pietro
adouci les termes, et malgré cela on est persuadé que ces poèmes n'ont pour ainsi dire rien perdu de leur vivacité gaillarde. D'ailleurs, le lecteur est libre de remplacer les mots qui lui paraissent faibles par les plus forts qu'il connaisse, et suppléant ainsi par la perspicacité de son entendement à ce que le traducteur a dû gazer, par pudeur, il formera avec certitude son opinion sur l'œuvre du Divin Pierre Arétin dont on a écrit en son temps qu'il était la règle de tous et la balance du style.
LES RAGIONAMENTI
Ci commence la première Journée des capricieux Ragionamenti de l'Arétin, dans laquelle la Nanna, à Rome, sous un figuier, raconte à l'Antonia la vie des Nonnes 19
Antonia.– Qu'as-tu, Nanna? Te semble-t-il qu'un visage comme le tien, assombri de pensées, convienne à quelqu'un qui gouverne le monde?
Nanna.– Le monde!
Antonia.– Oui, le monde! C'est à moi de demeurer pensive, qui, le mal français excepté, ne trouve plus même un chien qui aboie après moi, qui suis pauvre et orgueilleuse, et qui, si je disais vicieuse, ne pécherais pas contre L'Esprit-Saint.
Nanna.– Antonia, il y a des ennuis pour tous. Il y en a tant, là où tu crois qu'il n'y a que des joies, il y en a tant que cela te paraîtrait étrange; et, crois-moi, ce bas-monde est un mauvais monde.
Antonia.– Tu dis vrai, c'est un mauvais monde pour moi, mais non pour toi qui jouis même du lait de la poule. Et sur les places, dans les hôtelleries et partout, on n'entend pas autre chose que: Nanna par-ci, Nanna par-là. Sa maison est toujours pleine comme l'œuf, et tout Rome danse autour de toi cette mauresque que l'on voit faire aux Hongrois pendant le Jubilé.
Nanna.– C'est ainsi! Pourtant je ne suis pas contente, et il me semble être une épousée qui, à cause d'un certain respect humain, bien qu'elle ait beaucoup de mets devant elle et grand'faim, et, bien qu'elle soit à la tête de la table, n'ose manger. Et, certes, certes, ma sœur, le cœur n'est pas où il pourrait être. Suffit.
Antonia.– Tu soupires?
Nanna.– Patience!
Antonia.– Tu soupires à tort, prends garde que le Seigneur Dieu ne te fasse pas soupirer avec raison.
Nanna.– Comment ne veux-tu pas que je soupire? Je viens de me rappeler que ma Pippa a seize ans, et, comme je veux prendre un parti à son sujet, l'un me dit: «Fais-la Sœur; outre que tu épargneras les trois quarts de la dot, tu ajouteras une Sainte au calendrier.» Un autre dit: «Donne-lui un mari. De toute façon, tu es si riche que tu ne t'apercevras pas que ta fortune ait en rien diminué.» Un autre m'exhorte à la faire Courtisane immédiatement, disant: «Le monde est corrompu, et, même s'il était meilleur, en la faisant Courtisane, tu en fais d'emblée une Dame. Et, avec ce que tu as, avec ce qu'elle gagnera bientôt, elle deviendra une Reine.» De sorte que je suis hors de moi. Et tu peux voir que pour la Nanna aussi il est des ennuis.
Antonia.– Des ennuis comme les tiens sont plus doux que n'est un peu de démangeaison à celui qui, le soir, autour du feu, ayant mis bas ses chausses, se sent venir l'eau à la bouche à l'idée qu'il va avoir le plaisir de se gratter.
Les ennuis, c'est de voir monter le blé; les tourments, c'est qu'il y ait disette de vin; la torture, c'est le loyer de la maison; la mort, c'est prendre l'infusion de bois de gayac deux ou trois fois par an et ne pas se débarrasser des pustules, ne pas sortir des gommes et ne se défaire jamais de ses maux. Et je m'émerveille de toi qui d'une chose aussi minime te fais un souci.
Nanna.– Pourquoi t'en étonnes-tu?
Antonia.– Parce qu'étant née et élevée à Rome, tu devrais te dégager, les yeux fermés, des doutes que tu as au sujet de la Pippa. Dis-moi, n'as-tu pas été Nonne?
Nanna.– Oui.
Antonia.– N'as-tu pas eu un mari?
Nanna.– Je l'ai eu.
Antonia.– N'as-tu pas été Courtisane?
Nanna.– Je l'ai été.
Antonia.– Et, de ces trois choses, tu n'as pas le courage de choisir la meilleure?
Nanna.– Non, Madonna.
Antonia.– Pourquoi non?
Nanna.– Parce que les Nonnes, les Femmes mariées et les Putains vivent autrement aujourd'hui qu'elles ne vivaient jadis.
Antonia.– Ah! ah! ah! La vie a toujours été la même. Toujours les personnes mangèrent, toujours elles burent, toujours elles dormirent, toujours elles veillèrent, toujours elles marchèrent, toujours elles se tinrent arrêtées, et toujours les femmes pissèrent par la fente, et je serais enchantée que tu me racontasses quelque chose de la vie que menaient les Sœurs, les Femmes mariées et les Courtisanes de ton temps, et je jure par les Sept-Églises, que j'ai fait vœu de visiter le carême qui vient, de te résoudre en quatre paroles à ce que tu devrais faire de ta fillette. Mais, avant tout, toi qui, pour être une doctoresse, es ce que tu es, tu me diras pourquoi tu hésites à la faire Sœur.
Nanna.– Je suis contente.
Antonia.– Dis-le-moi, je t'en prie. De toute façon, aujourd'hui, c'est la Sainte Madeleine, notre Avocate; on ne fait donc rien, et, quand bien même l'on travaillerait, j'ai du pain, du vin, de la viande salée pour trois jours.
Nanna.– Vraiment?
Antonia.– Oui.
Nanna.– Je vais donc te raconter aujourd'hui la vie des Nonnes, demain celle des Femmes mariées et, le jour suivant, celle des Courtisanes: assieds-toi près de moi, mets-toi à ton aise.
Antonia.– Je suis très bien. Commence.
Nanna.– Il me vient l'envie de blasphémer contre l'âme de Monseigneur… je ne veux pas le dire, qui me tira du corps cet ennui.
Antonia.– Ne te fâche pas.
Nanna.– Mon Antonia, les Nonnes, les Femmes mariées et les Putains sont comme un carrefour. Sitôt que l'on y arrive, on reste un bon bout de temps à se demander où l'on posera les pieds, et il arrive souvent que le Démon nous entraîne dans la voie la plus triste, comme il entraîna l'âme bénie de mon père, le jour où il me fit Sœur contre la volonté de ma mère (de sainte mémoire). Tu dois l'avoir connue. Oh! celle-là était plus que femme.
Antonia.– Je l'ai connue pour ainsi dire en songe, et je sais (parce que je l'ai entendu dire) qu'elle faisait des miracles derrière les Banchi; et j'ai entendu dire que ton père, qui était compagnon du guet, l'épousa par amour.
Nanna.– Ne me rappelle pas mon chagrin. Rome ne fut plus Rome du jour où elle resta veuve de ce couple si bien assorti. Et pour en revenir au fait… Le premier jour de mai, Monna Marietta (c'est ainsi que se nommait ma mère), bien que par plaisanterie on l'appelât la belle Tina, et ser Barbieraccio (ce nom était celui de mon père), ayant réuni toute la parenté, et oncles et grands-pères, et cousins et cousines, et neveux et frères, avec une bande d'amis et d'amies, me menèrent à l'église du monastère. J'étais vêtue tout entière de soie, tout environnée du parfum de l'ambre gris, avec une coiffe d'or sur laquelle était posée la couronne de virginité, tressée de fleurs roses et violettes, avec des gants parfumés, avec des mules de velours, et, si je me souviens bien, c'était à la Pagnina, qui entra, il y a peu de temps, chez les Repenties, qu'appartenaient les perles que je portais au cou et les robes que j'avais sur le dos.
Antonia.– Elles ne pouvaient être à une autre.
Nanna.– Et, attifée vraiment comme une fiancée, j'entrai dans l'église où se trouvaient des milliers et des milliers de personnes qui, toutes, se tournèrent vers moi aussitôt que j'apparus. L'un disait: «Quelle belle épousée aura le Seigneur
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Les trois dialogues qui suivent forment la