L'oeuvre du divin Arétin, première partie. Aretino Pietro

L'oeuvre du divin Arétin, première partie - Aretino Pietro


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bourses, se précipitèrent sur lesdits fruits, comme la foule se jette sur les cierges que l'on jette de la Loggia le jour de la Chandeleur.

      Antonia.– Quels fruits étaient-ce? Dis-le!

      Nanna.– C'étaient de ces fruits de verre que l'on fait à Murano de Venise à la semblance du K23, sauf qu'ils ont deux sonnettes dont s'honorerait tout tambour de basque.

      Antonia.– Ah! ah! ah! Je te tiens par le bec! Je te tiens comme un poisson pris à l'hameçon.

      Nanna.– Et qu'elle était béate, non seulement ravie, celle à qui il arrivait de prendre le plus gros et le plus large! Aucune ne se retint de baiser le sien en disant: «Ceci humiliera la tentation de la chair.»

      Antonia.– Que le diable en détruise la semence!

      Nanna.– Moi qui faisais ma sucrée campagnarde, donnant quelques œillades aux fruits, je semblais une chatte matoise qui, des yeux, regarde la servante et avec les pattes tente de saisir la viande qu'elle a laissée seule par négligence. Et si la compagne qui était assise près de moi, en ayant pris deux, ne m'en avait donné un pour ne pas paraître trop goulue, j'aurais pris le mien. Et pour abréger, riant et caquetant, l'Abbesse se leva et chacun fit ainsi, et le Benedicite qu'elle dit à la table fut en langue vulgaire.

      Antonia.– Laissons aller le Benedicite. Levées de table, où allâtes-vous?

      Nanna.– Je vais te le dire, nous allâmes dans une chambre du rez-de-chaussée, large, fraîche, et tout ornée de peintures.

      Antonia.– Quelles peintures y avait-il? La pénitence du carême ou bien quoi?

      Nanna.– Ah! bien oui! la pénitence! Les peintures étaient telles qu'elles auraient retenu des cagots à les admirer. La chambre avait quatre faces. Sur la première était la vie de Sainte Nafisse24, et on l'y voyait, à l'âge de douze ans, toute pleine de charité, distribuer sa dot aux sbires, aux fripons, aux curés, aux estafiers et à toutes sortes de dignes personnes. Et les biens venant à lui manquer, toute confite en piété, toute humble, elle s'assied, verbi gratia, au milieu du pont Sixte25, sans aucun appareil, excepté l'escabeau, la natte, le petit chien et une feuille de papier froissé au bout d'une canne fendue, avec laquelle il semblait qu'elle s'éventât et se garantît des mouches.

      Antonia.– Dans quel but restait-elle sur l'escabelle?

      Nanna.– Elle y demeurait afin d'accomplir l'œuvre de revêtir ceux qui sont nus. Et si jeunette! comme je l'ai dit, elle se tenait assise, le visage élevé et la bouche ouverte. A la voir, tu aurais dit qu'elle chantait cette chanson où il est dit:

      Que fait donc mon amour, pourquoi ne vient-il point?

      Elle était encore peinte debout et tournée vers quelqu'un qui, par vergogne, n'osait lui demander certaines choses. Toute joyeuse, toute humaine, elle allait au-devant de lui, et l'ayant mené dans la grange où elle consolait les affligés, d'abord elle lui ôtait ses habits, puis, lui ayant dénoué les chausses et ayant retrouvé le tourtereau, elle lui faisait tant de fête, qu'entré en superbe, il lui pénétrait entre les jambes avec la furie d'un étalon qui, ayant rompu sa longe, se précipite sur la jument. Mais elle, ne se trouvant pas digne de le regarder en face et peut-être, comme le disait le prédicateur qui nous expliquait sa vie, n'ayant pas le courage de l'affronter si rouge, si fumant, si irrité, elle lui tournait les épaules magnifiquement.

      Antonia.– Que cela lui soit représenté à l'âme.

      Nanna.– Oh! cela ne lui est-il pas représenté, puisqu'elle est toujours sainte?

      Antonia.– Tu dis la vérité.

      Nanna.– Qui pourrait te raconter le tout? Là était peint le peuple d'Israël qu'elle hébergea gracieusement et contenta toujours amore Dei. Et on voyait peint plus d'un qui, après avoir examiné ce qu'il y avait, la quittait avec une poignée de monnaie qu'elle avait obtenue par force d'un autre. Il arrivait à qui la besognait, comme cela arrive pour celui qui loge dans la maison de quelque homme prodigue qui non seulement l'accueille, le nourrit et l'habille, mais lui donne encore le moyen de finir son voyage.

      Antonia.– O bénie, ô pure Madame Sainte-Nafisse, inspire-moi de suivre tes très saintes traces!

      Nanna.– En conclusion, ce qu'elle fit jamais et derrière et devant, à la porte et à l'huis, est là au naturel, et jusqu'à sa fin elle y est peinte. Et dans la sépulture sont représentés tous les clients qu'elle laissa dans ce monde pour les retrouver dans l'autre, et il n'y a pas tant de sortes d'herbes dans la salade de mai qu'il n'y a de variétés de clefs dans son sépulcre.

      Antonia.– Je veux voir un jour ces peintures, coûte que coûte.

      Nanna.– Sur la seconde est l'histoire de Mazet de Lamporrechio, et je te jure, par mon âme, qu'elles paraissent vivantes les deux sœurs qui le menèrent dans la cabane, tandis que le vaurien, faisant semblant de dormir, laissait sa chemise se gonfler comme une voile, tandis que se haussait l'antenne charnelle.

      Antonia.– Ah! ah! ah!

      Nanna.– Personne ne pouvait se tenir de rire en regardant les deux autres qui, s'étant aperçues de la galante aventure de leurs compagnes, prirent parti, non point de le dire à l'Abbesse, mais de se liguer avec elles, et chacun s'étonnait, contemplant Mazet qui, parlant par gestes, paraissait ne pas vouloir consentir. A la fin, nous nous arrêtâmes tous pour voir la sage Supérieure des Nonnes prendre les choses du bon côté et convier à souper et à coucher avec elle le vaillant homme qui, pour ne pas s'épuiser, se mit une nuit à parler et fit courir tout le pays au miracle, d'où le monastère fut canonisé comme saint.

      Antonia.– Ah! ah! ah!

      Nanna.– Dans la troisième, si je me souviens bien, étaient représentées toutes les sœurs qui avaient appartenu à cet ordre, ayant auprès d'elles leurs amants et les enfants nés d'elles, avec les noms de chacun et de chacune.

      Antonia.– Le beau mémorial!

      Nanna.– Dans le dernier cadre étaient peintes toutes postures possibles à l'homme qui veut avoir commerce avec une femme ou à la femme qui veut faire l'amour avec un homme. Et les Nonnes, avant d'entrer en lice avec leurs amis, sont obligées de s'essayer de réaliser en tableaux vivants les scènes qui y sont représentées; cela se fait pour qu'elles n'aient point l'air emprunté une fois dans le lit, comme quelques-unes qui demeurent là, en quatre, sans odeur et sans saveur, et qui en goûte ressent le plaisir que donne un potage aux fèves, sans huile ni sel.

      Antonia.– Il leur faut donc une maîtresse qui enseigne l'escrime?

      Nanna.– Il y a bien la maîtresse qui montre à celle qui l'ignore comment on doit se tenir dans le cas où la luxure stimule l'homme au point qu'il veuille chevaucher sur une caisse, sur des marches d'escalier, sur une chaise, sur une table ou sur le pavé. Et cette même patience que possède celui qui enseigne un chien, un perroquet, un étourneau et une pie, il faut qu'elle l'ait celle qui enseigne les attitudes aux bonnes Sœurs; et la dextérité des escamoteurs est moins difficile à acquérir que l'art de forcer l'oiseau à se dresser sur ses pattes, même s'il ne veut pas.

      Antonia.– Vraiment?

      Nanna.– Très certainement. Quand on en eut assez de regarder la peinture, de discuter et de plaisanter, comme disparaît la rue devant les Barberi qui courent le palio, ou pour mieux dire la viande de vache devant ceux qui mangent relégués à l'office ou bien les figues devant la faim du paysan, ainsi disparurent les Nonnes, les Frères, les prêtres, les séculiers, ne laissant même pas les enfants de chœur, ni les moinillons, ni même celui qui avait apporté les machines de verre. Il ne resta avec moi que le Bachelier et, me sentant seule, je restai muette, presque tremblante: «Sœur Christine, me dit-il (c'est ainsi qu'on m'avait


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<p>23</p>

Ce jeu de mots alphabétique s'entend aussi bien en français qu'en italien.

<p>24</p>

On devait parler souvent de cette Sainte parmi les prostituées romaines. Elle est citée plusieurs fois dans la Lozana Andaluza, où elle est nommée en espagnol Santa Nefixa.

Le chanoine. —Corps de moi!.. Elle est plus habile que Sainte Nafisse, celle qui donna son corps en aumône. (Cahier XXIII.)

Trujillo. —Les attouchements et le contact, voilà ce qui guérit, comme l'a dit Sainte Nafisse, celle qui mourut d'amour suave. (Cahier L.)

Et plus loin la Lozana la nomme aussi: Il a engeigné la Lozana comme si j'avais été Sainte Nafisse.

Sainte Nafisse est également citée au chant III de la Puttana errante.

<p>25</p>

Il s'y tenait beaucoup de prostituées.