L'oeuvre du divin Arétin, première partie. Aretino Pietro

L'oeuvre du divin Arétin, première partie - Aretino Pietro


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statue de marbre fait aux serpents qui l'assassinent entre ses fils. A la fin, les Sœurs au lit, les jouvenceaux, le Général, celle sur laquelle il était monté, celui qu'il avait derrière lui et celle à la pastenague32 de Murano, s'accordèrent à le faire en mesure comme s'accordent les musiciens, ou les forgerons en levant le marteau, et ainsi chacun attentif au signal, on entendait un: «Aïe! Aïe!» un: «Embrasse-moi!» un: «Tourne-toi vers moi; ta langue douce, donne-la-moi! Retire-la; pousse fort. Attends que je le fasse! Je t'en prie, fais-le! Serre-moi! Aide-moi!» L'un parlait en sourdine, l'autre à voix haute, en miaulant; on aurait dit ceux du la, sol, fa, mi, ré, ut, et c'étaient des yeux renversés, des soupirs, un branle, des secousses telles que les bancs, les caisses, les bois de lits, les chaises et les écuelles s'en ressentaient comme les maisons pendant un tremblement de terre.

      Antonia.– Au feu!

      Nanna.– Puis voici huit soupirs coup sur coup, issus du foie, du poumon, du cœur et de l'âme du Révérend, et cætera, des Sœurs et des Novices qui firent un si grand vent que huit torches en auraient été éteintes, et soupirant ils tombèrent de fatigue, comme les ivrognes de vin. Et moi qui avais quasiment les nerfs cordés du dépit de les contempler, je me retirai adroitement et m'étant assise je donnai un regard au machin de verre.

      Antonia.– Arrête un peu: comment sais-tu qu'il y eut huit soupirs?

      Nanna.– Tu es trop pointilleuse: écoute donc.

      Antonia.– Dis!

      Nanna.– En contemplant le machin de verre, je sentis que je m'émouvais, bien que ce que j'avais vu eût ému l'ermitage des Camaldules. Et à force de contempler, je tombai in tentationem et libera nos a malo. Ne pouvant plus supporter la volonté de la chair qui me poignait bestialement la nature; n'ayant pas d'eau chaude à y mettre, comme m'en avait averti la sœur, en me disant à quoi servaient les fruits de cristal, je devins maligne par nécessité et pissai dans le manche de bêche.

      Antonia.– Comment?

      Nanna.– Par un petit trou qui y était exprès pour qu'on pût l'emplir d'eau tiède. Mais pourquoi t'allongerai-je la trame? Je me troussai galamment la robe et plaçant le pommeau de l'estoc sur la caisse, je commençai tout doucement à macérer ma concupiscence. La cuisson était vive et la tête du grondin était grosse, je ressentais à la fois martyre et jouissance, mais la jouissance surpassait la souffrance et peu à peu l'esprit entrait dans l'ampoule. Tout en sueur, me comportant en paladine, je me l'enfonçai si profondément que peu s'en fallut que je ne le perdisse en moi. Et à son entrée, je crus mourir d'une mort plus douce que la vie béate. Lui ayant tenu un bon bout de temps le bec dans l'eau, je me sens tout ensavonnée, je le retire aussitôt et, l'ayant retiré, je demeure avec cette cuisson qui dévore un rogneux lorsqu'il lève les ongles de dessus les cuisses. L'ayant regardé tout à coup, je le vois tout en sang et je fus prête à crier ma confession.

      Antonia.– Pourquoi, Nanna?

      Nanna.– Pourquoi? parbleu! Je crus m'être blessée à mort. Je me mets la main à la bouchette, je la retire toute mouillée et la voyant comme un gant d'évêque paré, je me mets à pleurer et les mains dans ces cheveux qu'en me les coupant auparavant m'avait laissés celui qui m'avait vêtue dans l'église, je commence la lamentation de Rhodes.

      Antonia.– Celle de Rome, où nous sommes.

      Nanna.– De Rome pour parler à ta façon, et outre que j'avais peur de mourir voyant ce sang, je craignais encore l'Abbesse.

       Antonia.– A quel propos?

      Nanna.– A propos de ce que, voulant savoir la raison du sang et connaissant la vérité, elle aurait pu me mettre en prison, liée comme une ribaude, et quand bien même elle ne m'aurait pas donné d'autre pénitence que de raconter aux autres l'histoire de ce sang, te paraît-il que je n'eusse pas lieu de pleurer?

      Antonia.– Non! Pourquoi?

      Nanna.– Pourquoi, non?

      Antonia.– Parce qu'en accusant la Sœur que tu avais vue jouer à ce qu'il y a dans le verre tu t'en serais tirée gratis.

      Nanna.– Oui, si la Sœur s'était ensanglantée comme moi. Ce qu'il y a de certain c'est que Nanna était dans une triste position. Là-dessus, j'entends frapper à ma cellule, je m'essuie le mieux possible les yeux, je me lève et je réponds: gracia plena. En même temps j'ouvre et j'apprends qu'on m'appelle à souper. Moi qui, en vraie soudarde, non en nouvelle Religieuse, avait bafré tout le matin et perdu l'appétit par crainte du sang, je dis que je voulais demeurer sobre pour ce soir; et ayant refermé la porte au verrou, toute songeuse, je remis la main à ma petite machine et, voyant qu'elle finissait par s'étancher, je me ravivai un tout petit peu et pour passer le temps je retournai à la fente où je voyais briller de la lumière, parce que, la nuit étant venue, les Sœurs avaient allumé, et regardant de nouveau je vois que chacun était nu. Et certainement si le Général, les Nonnes et les Novices avaient été vieux, je les assimilerais à Adam et Ève, avec les autres pauvres âmes des limbes. Mais laissons les comparaisons aux sibylles. Le Général fit monter sur une table carrée à laquelle mangeaient les quatre mignonnes chrétiennes d'Antéchrist son bœuf en herbe, c'est-à-dire le joli môme dégingandé tenant un bâton au lieu de trompette. Le jeune homme l'emboucha comme les hérauts font de leur instrument et annonça la joute. Et après le taratantara il dit: «Le grand Soudan de Babylone fait assavoir à tous les vaillants jouteurs qu'ils aient sur-le-champ à comparaître dans la lice, les lances en arrêt, et à celui qui en rompra le plus, il sera donné un rond sans poil, duquel il jouira toute la nuit, et Amen.»

      Antonia.– Belle proclamation! Son maître avait dû lui en rédiger la minute; continue, Nanna.

      Nanna.– Voici les jouteurs en ordre de bataille, et ayant fait une quintaine33 du séant de cette noireaude un peu bigle qui auparavant mangeait du verre à bouche que veux-tu, ils tirèrent au sort, et la première course échut au trompette qui faisant sonner un de ses compagnons, et tandis qu'il se mouvait, s'éperonnant lui-même les doigts, enfonça sa lance jusqu'à la garde dans l'écu de son amie, et comme le coup en valait trois, il fut très loué.

      Antonia.– Ah! ah! ah!

      Nanna.– Après lui, le Général, désigné par le sort, s'élança et courant la lance en arrêt enfila l'anneau de celui qui l'avait enfilé à la Sœur. Ensuite, ils restèrent là, immobiles comme des bornes entre deux champs. La troisième course échut à une Nonne et n'ayant pas de lance de sapin, elle en prit une de verre et au premier choc l'enfonça derrière le Général, se fourrant elle-même pour le bon motif les ventouses dans la pénillière.

      Antonia.– Grand Dieu lui soit advenu!

      Nanna.– Puis ce fut le second novice, qui vint à son tour et ficha la flèche dans la cible du premier coup, et l'autre Nonne, contrefaisant sa camarade au moyen de la lance à deux pelotes la plongea dans l'utriusque du jeune homme, qui se tortilla comme une anguille en recevant le coup. Vinrent la dernière et le dernier, et il y eut de quoi rire, parce que celle-ci ensevelit le berlingot dont elle s'était munie le matin à dîner dans le sillon de sa compagne. Et lui, demeuré derrière tout le monde, lui planta sa hampe par derrière, de façon qu'ils paraissaient une brochette d'âmes damnées que Satan menait rôtir pour le carnaval de Lucifer.

       Antonia.– Ah! ah! ah! Quelle fête!

      Nanna.– La bigle était une Sœur très amusante et pendant que chacun poussait et se démenait, elle disait les plus douces bouffonneries du monde. Et moi, entendant cela, je ris si fort qu'on m'entendit et, étant entendue, je me retirai un peu en arrière et après un certain temps quelqu'un ayant grondé je retournai à mon observatoire, que je trouvai couvert d'un drap, et je ne pus voir la fin de cette joute, ni à qui on avait donné le prix.

      Antonia.– Tu me sautes le plus beau.

      Nanna.– Je


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<p>32</p>

Poisson, sorte de raie (trygon pastinaca); on le nomme terre à Lorient, terre, tonare ou touare dans le Poitou, tère à Arcachon, pastenague à Cette, pastenaïga à Nice. L'Arétin a souvent pris des poissons pour les termes de ses comparaisons.

Une locution proverbiale de l'époque, esser comme il pastinaca, être comme la pastenague, signifiait: être sans queue ni tête, car enveloppée par les nageoires pectorales, la tête de ce poisson ne se distingue pas bien, et on lui coupait la queue dont on disait la piqûre dangereuse.

<p>33</p>

L'inguintana ou la quintana, c'est-à-dire la quintaine, c'était en Italie, et surtout en Toscane, un anneau de fer suspendu en l'air et que l'on s'efforçait d'enfiler avec la lance. En France, on appelait cela «courir à la bague» et l'on sait ce que l'on y nommait une quintaine.