Les Rues de Paris, tome troisième. Bouniol Bathild

Les Rues de Paris, tome troisième - Bouniol Bathild


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type="note">5, avait raconté cette anecdote: «C'est là un fait dont avant lui personne n'avait dit un mot, et comme il n'indique aucune preuve à l'appui de son allégation, comme nous savons au contraire par d'infaillibles indices que Lesueur, à l'époque où il le gratifie de cet emploi de commis, était entièrement absorbé par l'étude de son art, on doit tenir pour aussi peu sérieux l'emploi d'inspecteur des octrois que le fait d'armes de la barrière de l'Ourcine. Qu'on fasse bon marché de semblables sornettes, qu'on en démontre le ridicule, rien de mieux. Il ne faut pour cela ni documents nouveaux, ni preuves inédites: le simple bon sens suffit; et c'est sans aucun secours, sans autorité que nous-même, il y a plus de vingt ans, nous en avons fait justice.» Et en effet, quoi de plus ridiculement inventé que ce duel fantastique qui nous montre le sage et religieux Lesueur transformé en ferrailleur émérite et couchant, du premier coup, sur le pré son adversaire?

      D'ailleurs, ainsi que nous l'avons dit, les tableaux de la Vie de saint Bruno, ayant été tout probablement commandés par la reine, il n'y a pas plus de vérité, quoique plus de vraisemblance, dans l'autre version qui assigne pour cause à la retraite de Lesueur chez les Chartreux le chagrin profond qu'il ressentit de la mort de sa femme. Or, quand il commença son travail (1645), marié depuis une année à peine, il venait d'être père de son premier enfant qui ne devait pas être le dernier. La Galerie des chartreux, exécutée en trois ans, fut terminée en 1648 ou 1649; mais Lesueur, pour répondre à l'impatience des bons pères, pressés de jouir de leur cloître, avait dû se faire aider par son beau-frère, Thomas Goussé, et par ses frères, Pierre, Philippe et Antoine, qui peignirent, d'après ses dessins et compositions, plusieurs panneaux ou parties de panneaux. Cette collaboration, forcée en quelque sorte, explique l'infériorité de certains morceaux, et elle eut aussi l'inconvénient d'enlever à l'artiste une partie du prix convenu, qui fut plus que modeste; on le comprend, même alors que la reine en eût fait les frais, l'état des finances ne lui permettant guère d'être généreuse. Pour les vingt-deux tableaux, à ce qu'on assure, l'artiste ne reçut pas plus que tel peintre médiocre d'Italie pour un seul tableau commandé par des religieux de Bologne.

      À cette époque (1649), fut créée l'Académie royale de peinture dont Lesueur fut un des douze premiers membres. Cette même année, chargé par la Confrérie des orfèvres de Paris de peindre le tableau de Mai à Notre-Dame, il fit le Saint Paul prêchant à Éphèse, une œuvre magistrale, remarquable par la composition, l'animation des figures et la richesse du coloris. Ce chef-d'œuvre lui fut payé 400 livres, je dis, 400 livres.

      L'artiste exécuta, en 1650 et 1651, pour le monastère de Marmoutiers et d'autres communautés, divers tableaux dont ceux qui nous restent sont empreints, en outre du mérite artistique, de ce caractère profondément religieux, qui, par la sublimité de l'expression, ne laisse rien à envier aux vieux maîtres de l'Ombrie. C'est que comme eux Lesueur n'était pas seulement un peintre, mais un chrétien fervent, et qu'il ne faisait que traduire sur la toile les sentiments dont son cœur était rempli. «Pour faire pareille peinture il ne faut pas être sceptique», a dit M. Ch. Blanc qui n'est pas suspect. Quoi de plus admirable, de plus émouvant, par exemple, que le beau tableau des Martyrs saint Gervais et saint Protais, entraînés pour sacrifier aux idoles, et peint pour l'église Saint-Gervais?

      II

      Avec le caractère réservé de Lesueur, avec sa piété sincère, on aurait peine à comprendre qu'il eût accepté de peindre à l'hôtel Lambert, appartenant au président de Thorigny «les sujets les moins graves de la mythologie, les amours, les nymphes et les muses», dit M. de Gence, si l'on ne se rappelait la toute-puissance du préjugé régnant alors en faveur de l'antiquité, qui faisait dire si étrangement à Boileau:

      De la foi d'un chrétien les mystères terribles

      D'ornements égayés ne sont point susceptibles, etc.

      Bien plus, un évêque, l'un des plus illustres comme des plus pieux de l'époque, Fénelon, c'est tout dire, n'écrivait-il pas, à l'usage de son royal élève, le Télémaque, en déguisant, ou parant, comme on disait alors, des riantes fictions de la Fable ses utiles et précieuses leçons, qui auraient gagné beaucoup à être présentées, sans tous ces enjolivements d'emprunt, sous une forme attrayante, sans doute, mais franchement chrétienne. Avec ce préjugé dominant, souverain alors, il est facile de comprendre que Lesueur n'ait pas eu l'ombre d'une hésitation à la lecture de ce programme, quoique assez nouveau pour lui, et qu'il ne se soit pas effarouché du choix de pareils sujets qu'il avait vu traiter maintes fois par ses contemporains, voire par le plus illustre d'entre eux, le Poussin. Mais il est juste de dire qu'aucun d'eux, y compris le dernier même, ne fit preuve de plus de réserve «en peignant avec autant d'amabilité que de décence» ces sujets mythologiques. Il fallait que, chez le noble artiste ce sentiment de l'honnête fût bien profond pour que, dans des peintures où le nu tient une si large place, son pinceau ne se permît aucun écart, et, conduit par une main discrète obéissant au cœur le plus droit, demeurât d'habitude tellement chaste, que ces toiles, dont l'idée est toute païenne, ne choquent pas même vis-à-vis des grandes et saintes pages de la Vie de saint Bruno.

      Lesueur d'ailleurs eût préféré traiter toujours des sujets plus en harmonie avec son caractère; mais apprécié surtout, ou plutôt uniquement, par des amateurs d'élite, il n'avait pas, tant s'en faut, le choix des commandes, et ne jouissait pas pour les contemporains de la renommée et de la considération de Ch. Lebrun, quoique la postérité ait élevé sur un bien autre piédestal celui qu'elle a surnommé le Raphaël français. Ainsi, dans cet hôtel Lambert même, Lebrun avait obtenu la commande des travaux les plus importants en laissant à son émule la décoration des pièces moindres, cabinets, salle de bains etc. Pourtant, même alors, les connaisseurs ne se trompaient pas sur leur mérite relatif. On raconte que, certain jour, le Nonce vint à l'hôtel Lambert pour visiter les peintures nouvelles dont il était fort parlé dans le monde, celles de Lebrun bien entendu, et en particulier la galerie de l'Apothéose d'Hercule. Après une longue station devant ce tableau, on passa dans le salon voisin, où se trouvaient, peints au plafond, l'Apollon et le Phaëton de Lesueur. Comme Lebrun doublait le pas, le prélat moins pressé le retint en disant: «Doucement, arrêtons-nous, monsieur! car voilà de bien belles peintures!»

      Suivant des auteurs mêmes, le Nonce aurait exprimé son admiration en termes bien autrement énergiques, mais très-peu flatteurs pour Lebrun: «À la bonne heure, voici des tableaux dignes d'un maître italien, le reste est una coglioneria (sottise, niaiserie).»

      Cette seconde version n'est peut-être pas très-vraisemblable; mais la première, qui paraît plus fondée, suffit pour expliquer ces sentiments de rivalité, d'ardente émulation, sinon de jalousie, qu'on attribue à Lebrun, artiste trop éminent lui-même pour ne pas reconnaître, dans son for intérieur, la supériorité de son ancien camarade et peut-être s'en inquiéter. «Ne se croyait-il pas, sans ce rival, assuré de la faveur du public comme de celle du roi prodigue pour lui de ses récompenses, dont pas une, on a regret à le dire, n'alla chercher Lesueur?» Ainsi s'expriment à tour de rôle et assez étourdiment les biographes qui oublient que Louis XIV avait dix-sept ans à peine quand mourut Lesueur. La Biographie universelle, après d'autres, n'en fait pas moins d'un air contrit écho à ces doléances: «Lebrun cherchait à s'attirer exclusivement par l'allégorie de ses louanges les bienfaits de Louis XIV, auxquels on sait qu'en effet Lesueur comme le bon la Fontaine n'eut point de part.»

      D'ailleurs, il faut reconnaître que notre artiste ignorait l'art de se produire «modeste, inoffensif, incapable d'adulation», il disait en parlant de ses rivaux: «J'ai toujours tout fait et toujours je ferai tout pour être aimé d'eux.» Il ajoutait: «Est-ce donc un crime d'être studieux, de chérir son art et de faire tous ses efforts pour y réussir?» Ce langage, conforme à son caractère comme à ses principes, nous ferait un peu douter de l'idée que lui ont prêtée sans doute certains biographes. D'après eux, il se serait peint, dans une allégorie, pas précisément modeste, triomphant comme le Poussin de tous ses rivaux.

      Nous avons dit plus haut ce qu'il fallait penser de la retraite de Lesueur chez les Chartreux et de la sotte invention du duel dont le sieur Miel est seul coupable. Les biographes,


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