La Demoiselle au Bois Dormant. Berthe de Buxy
s'assit sur le premier siège venu et sa robe forma naturellement des plis nobles autour d'elle; elle pencha la tête sur sa main, puis d'un doigt, machinalement, elle effaça quelque chose sur sa joue, et Auberte comprit que l'inconnue pleurait.
Auberte se retira avec une sorte de douleur; elle se trouvait lâche d'avoir cédé à sa tentation, sa conscience sensitive se révolta, la pauvre hermine crut voir une tache sur les splendeurs angéliques de sa robe. Elle ferma les yeux pour ne plus surprendre, même l'espace d'une seconde, le moindre détail de l'intimité qu'elle violait.
Les yeux toujours fermés pour ne plus voir les jolies chambres, les livres ouverts, les lits voisins, le chat, la jeune fille qui pleurait, et les voyant en elle-même plus que jamais, elle se retourna, mais elle ne put rouvrir la porte; elle constata tout de suite qu'une main malveillante avait repoussé le verrou. Aube était prisonnière dans sa logette aérienne que les hirondelles frôlaient en passant.
La famille Droy revint en corps de la gare où elle avait reconduit Hugues.
Les promeneurs rentrèrent en retard pour le déjeuner.
Camille, assise à sa place, attendait patiemment, – au grand étonnement de Mlle Stéphanie, sa compagne de réclusion – qu'il plût aux autres de se mettre à table. Comme Mlle Cam avait été retenue au logis en punition d'un méfait, l'on considéra son attitude exemplaire comme une preuve irréfutable de conversion. Il n'y eut qu'Antoine, son voisin de table, sur les pieds duquel elle trépigna secrètement avec des transports d'allégresse, qui put entretenir des doutes à cet égard. Antoine supporta stoïquement la meurtrissure de ses orteils en espérant que Cam, qui était une fiche mouche bien que douée d'un aiguillon un peu acéré, avait fait quelque bon coup dont il tirerait avantage.
Le départ d'Hugues après une si brève visite répandait un accablement général, le repas fut moins animé que d'habitude, l'apparition d'un gâteau de praline réveilla à peine ces esprits désabusés. Comme la chaleur était trop forte pour qu'on pût circuler, M. Droy proposa de passer sous les rosiers, devant le salon, l'heure de récréation qui suivait le repas. Mais Cam intervint en déclarant que le salon était la pièce la plus chaude de la maison, que les rosiers rouges portaient de petites braises en guise de fleurs, et qu'on ne jouirait d'un peu de fraîcheur que de l'autre côté de la maison, dans la grande cour.
Ils étaient tous trop abattus pour combattre cette opinion hasardée, et ils se rendirent dans la grande cour où ils avaient fait de si belles parties de raquettes pendant qu'Hugues et Stéphanie les favorisaient de leurs concerts.
Chacun s'assit à sa fantaisie sous l'ombre des catalpas.
Mlle Stéphanie était extrêmement calme, l'oeil le plus exercé n'aurait pu soupçonner cette personne correcte d'avoir épousseté ou d'avoir pleuré. Gillette se livrait à un bon petit entretien confidentiel avec Mme Droy au sujet des tabliers neufs des babies, thème sur lequel sa double qualité de fille aînée et de bras droit de sa mère lui donnait une compétence étendue. Elle traitait de telles questions avec une conscience à la fois appliquée et cavalière. Evidemment, Gillette, n'ayant point une âme de petite bourgeoise ni un esprit façonné aux vulgaires et infimes tracas, faisait de son mieux pour s'y rompre et réunissait à la plus grande satisfaction de sa mère.
M. Droy, renversé sur son fauteuil pliant, fumait d'un air pacifique au milieu de son troupeau. De loin en loin, il étendait la main vers un enfant et tirait au hasard d'un air de délectation pensive quelque mèche safran, duveteuse, qui semblait accoutumée à cet exercice. Enfin, toute cette famille de forbans avait mine très bénévole. C'est à peine si deux ou trois garçons, à cheval sur des branches qu'ils taillaient à coups de couteau, envoyaient des éclats de bois et des brins de mousse sur la tête ou dans les yeux de l'assistance.
– Je n'ai pas entendu, ce matin, notre petite princesse passer sur sa mule, remarqua Mme Droy tout en recoiffant l'une des babies, laquelle recoiffait sa poupée avec des mouvements exactement pareils à ceux de sa mère.
– Elle n'est pas sortie, déclara Cam.
– Qu'en savez-vous? demanda Marc qui s'était allongé par terre, position qu'il jugeait indispensable pour reprendre des forces avant une nouvelle séance de mathématiques.
– Je le sais parce que je le sais, riposta Cam.
Elle se disposait à s'éloigner.
– Où vas-tu? cria Antoine en la saisissant aux poignets: il s'était déjà opposé vigoureusement à deux évasions de Cam, il accusait secrètement sa jeune soeur de vouloir le frustrer d'une fructueuse découverte. Cam retomba à terre; elle s'occupa rageusement à arracher de l'herbe jusqu'à l'instant où Gillette, qui en avait fini avec Mme Droy, demanda à Stéphanie si elle ne pourrait pas prendre des branches de bignone pour sujet de sa prochaine aquarelle.
– Oui, l'idée est bonne, dit Stéphanie.
– Et tu trouveras de la bignone contre le mur de la tour, fit Edmée. Du reste, je vais…
– Non, moi, j'y vais! s'écria avec une complaisance ardente Camille.
– Nous y allons tous, intercala M. Droy pendant qu'Antoine maintenait Camille pourpre de colère. Il est l'heure de remonter pour les garçons, nous passerons par là. Vous avez pris votre congé du jeudi ce matin, et demain est le jour de votre professeur.
Comme les intonations rapides et décidées de M. Droy avaient le pouvoir infaillible d'obtenir autour de lui l'obéissance, tous les enfants étaient déjà sur pied et chacun se disposait à tourner la maison. Gillette qui, tout en marchant, avait passé son bras autour des épaules de Camille, fut frappée par la contenance égarée de la petite fille. Cam s'efforçait de passer la première comme pour empêcher quelque chose.
– De la bignone, dites-vous? demanda, quand ils furent devant le salon, Mme Droy tout en se dirigeant vers sa table à ouvrage et son installation en plein air: Voilà de quoi choisir. Il faudrait peut-être une échelle, ajouta-t-elle en regardant le moulin. Mais…
Elle s'interrompit, pétrifiée.
– Chut, dit M. Droy, d'un air diverti. Il y a une petite sainte dans la niche.
Ils levèrent tous la tête du même côté et demeurèrent stupéfaits.
Il y avait vraiment une petite sainte dans la niche enguirlandée de bignone. Elle était vêtue de serge blanche; sa grande capeline de surah blanc, rejetée en arrière, nimbait sa tête brune comme d'une immense corolle de fleurs, et les fleurs lourdes, éclatantes, de la bignone mettaient une note de splendeur presque exotique au cadre de sa jeune beauté immatérielle.
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