La Demoiselle au Bois Dormant. Berthe de Buxy

La Demoiselle au Bois Dormant - Berthe de Buxy


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innocente; et qui le trouvera y perdra son bonheur. On dit que ma grand'tante Auberte est morte après l'avoir cherché. Je me demande quelquefois si…

      Elle s'arrêta, un doigt levé, dans une attitude un peu mystérieuse, dans l'ombre des arbres qui tombait sur son visage.

      – Il me semble que je voudrais retrouver ce lotus…

      – Cette fleur malfaisante? dit Gillette en se secouant.

      Quel enfantillage! ma princesse de Menaudru, vous en remontreriez à nos babies. Mon Dieu, le soleil baisse, comme le temps s'est envolé… Enfin nous ne recommencerons pas de si tôt, c'est certain. Qu'est devenue Camille? Elle serait perchée sur l'un de ces arbres à nous épier que cela ne m'étonnerait pas. Méfiez-vous de Cam. C'est un malin singe, et elle ne s'est pas réconciliée avec vous. Pour moi, j'espère que vous ne m'en voulez plus. J'ai une grande contrition de ce que je vous ai fait… et de ce que je vous ai dit le premier jour. Je ne pensais pas moitié des méchancetés que je vous débitais, mais le vent de Menaudru m'avait un peu grisée. Vous aviez un air si bon que ça m'exaspérait; je ne voulais pas m'attendrir.

      Tout cela vous est bien égal, nous ne sommes plus destinées à nous revoir. C'est fini, n'est-ce pas?

      Aube fit un signe affirmatif, tout mélancolique.

      – Je me sauve; Hugues va peut-être passer la soirée chez nous. Il fera de la musique avec Stéphanie, piano et violon: c'est lui le violoniste. Alors, adieu, et sans rancune. Moi, je commence à vous pardonner.

      Les deux jeunes filles se séparèrent.

      Aube rentra par une allée toute garnie d'aiguilles de pin.

      Oui, tout était dit: elle ne reverrait plus Gillette ni aucun des Droy; ils lui avaient fait des excuses, elle serait désormais à l'abri de leurs coups. Tout était bien dit, il n'y avait plus de rapprochement possible entre eux, puisqu'ils n'essayeraient même plus de lui nuire. Certes, elle s'en réjouissait; mais, tout en marchant sur Menaudru, elle pensa avec une sorte de consolation que Cam, tout au moins, ne lui avait pas pardonné.

      L'après-midi finissait. Mme de Menaudru, assise à sa place habituelle près d'une porte-fenêtre du salon, tenait sa tapisserie. Aube entra, et en même temps qu'elle, comme amenée par la jeune fille, parut une onde d'or pourprée qu'envoya le couchant.

      Aube ne prit point sa chaise haut perchée sur des pieds grêles, elle fit glisser sans bruit près de sa mère un large tabouret carré. Elle s'assit sur ce siège bas qui la mettait au niveau des genoux maternels, et elle demeura les mains croisées sur la jupe de la Comtesse, les lèvres un peu entr'ouvertes sans rien dire.

      – Eh bien, Aube? fit Mme de Menaudru cessant de tirer l'aiguille.

      Elle regarda ce visage délicat, aux tons finement ambrés, qui se tournait vers elle avec une expression d'attente un peu inquiète. Pour la première fois depuis le début de sa courte vie, Aube fronçait soucieusement ses sourcils à la courbe grave, toujours sereine. Mme de Menaudru passa le bout du doigt sur cet arc sombre pour le détendre en répétant:

      – Eh bien, Aube?

      Aube dit alors de sa voix lente, musicale, dont chaque mot prenait à cette lenteur même un prix singulier:

      – Maman, faisons-nous notre devoir?

      – Enfant, quelle question! dit la mère sans sourire. J'espère que oui… du moins, nous essayons d'être justes les uns pour les autres, de vivre dignement.

      – Ce n'est pas ce que je veux dire, notre devoir envers…

      Elle hésita.

      – Les pauvres. Croyez-vous!.. Croyez-vous que nous le remplissions chrétiennement, en vue de leur vie éternelle, et de la nôtre?

      Elle parlait plus bas encore, elle s'était appuyée contre les genoux de sa mère et cachait son visage sur son bras replié.

      – Croyez-vous que nos aumônes suffisent? qu'il ne faudrait pas donner plus de nous-mêmes et agir davantage? être différents envers tout le monde, même envers ceux qui ne sont pas pauvres? Ne pensez-vous point qu'en ne vivant pas assez, nous vivons encore trop pour nous?

      Elle releva ses yeux troublés sur sa mère, mais un changement soudain se produisait dans la personne passive de la Comtesse; son visage se décomposa, devint d'une pâleur de cendre, elle dit avec une vivacité nerveuse qu'Auberte ne lui connaissait pas:

      – Que voulez-vous de moi, que me veut-on encore? Je suis lasse, Aube, je ne peux pas faire plus, et nous faisons beaucoup déjà, plus que tant d'autres.

      Son accent trahissait une souffrance, une angoisse véritables, la souffrance et l'angoisse d'une âme engourdie par l'esclavage, mais où subsistait une fibre vivante, sensible, qui vibrait éperdument avec une terreur maladive au contact d'Auberte. L'enfant pensa que c'était cette suite de longues années qui avaient ainsi ployé peu à peu sa mère, qui l'avaient réduite à cet asservissement mélancolique; et elle pensa aussi que le même laps de temps ferait d'elle la même chose et que ce serait peut-être mieux ainsi.

      – Chère Aube, reprit doucement la Comtesse, je ne peux pas tenter davantage et je crois que c'est assez. Cela ne suffit-il plus à votre conscience?

      Dans les yeux d'Aube, il y avait encore un doute qui ne demandait qu'à être dissipé.

      – Vous êtes bonne, dit-elle se pressant de nouveau contre sa mère.

      – Chère, n'êtes-vous pas heureuse? N'avons-nous pas fait tout ce qui était en notre pouvoir pour vous plaire?

      – Si, oh! si, fit un peu tristement Auberte, vous êtes bonne, vous m'aimez.

      – Oui, fit simplement la mère.

      – C'est à cause de moi que vous habitez Menaudru, vous et mon père; si je n'étais plus là…

      La Comtesse, muette, regarda désespérément autour d'elle.

      – Vous partiriez, acheva Auberte, n'est-il pas vrai? Ah! vous m'aimez beaucoup puisque vous ne pourriez pas vivre ici sans moi. Savez-vous, si je mourais, vous donneriez le château à Laurent.

      Mme de Menaudru lui mit la main sur les lèvres et murmura, mais d'une voix presque paisible:

      – Vous vous marierez, Auberte, et votre mari aura Menaudru.

      Aube secoua la tête.

      – Vous avez déjà refusé deux ou trois partis que votre père et moi avions jugés acceptables quoique vous soyez encore jeune; mais nous désirons vous établir de bonne heure: ce jeune baron de Paux vous semble destiné. Vous vivriez ici avec nous, il serait notre second fils.

      Aube s'était levée; sans une rougeur aux joues, elle dit en secouant toujours la tête avec douceur:

      – Non, je ne marierai pas.

      Et elle quitta la pièce.

      Le soir, quand elle fut couchée dans son lit aux minces colonnes, – et, comme elle était fatiguée, elle se coucha avant la nuit tardive d'été, – elle pria Jeanne de laisser ses fenêtres ouvertes et elle demeura longtemps éveillée pendant que le crépuscule tiède et embaumé entrait dans sa chambre, avec des odeurs de sapin et de feuillage.

      Tout était silencieux au château, et, dans la grande paix de Menaudru, elle entendait distinctement des bruits de voix monter d'une cour voisine. Cette cour était toute proche, mais une infranchissable barrière en séparait Auberte.

      Il y avait entre Aube et les autres, sa vie et la vie des autres, un mur transparent, mais si froid, si épais, qu'elle ne pourrait jamais le franchir.

      Son oreille percevait les ébats des jeunes Droy, jusqu'au son de leurs pas sur les feuilles tombées ou le sable. Ils devaient jouer aux raquettes: elle s'imaginait entendre le volant glisser dans les branches comme un être ailé, mystérieux. Une harmonie s'éleva, piano et violon unirent leurs accords qui n'interrompirent point le passage rythmé du volant dans les feuilles. Hugues jouait avec Stéphanie, les deux instruments se fondaient avec une rare perfection, le violon plus entraînant, le piano plus savant, tous


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