Les français au pôle Nord. Boussenard Louis,

Les français au pôle Nord - Boussenard Louis,


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donne fort à penser.

      «Cette région mystérieuse est véritablement féconde en surprises.

      «On ne peut en effet taxer de légèreté un observateur aussi expérimenté, aussi consciencieux que le commodore anglais…

      «Il a réellement constaté la présence de glaces dont la structure, le volume, la contexture indiquaient une formation très ancienne… il a cru de bonne foi qu'elles étaient là depuis des siècles, et supposé, selon toute vraisemblance, qu'elles y resteraient indéfiniment…

      – Et six ans après, elles n'existaient plus!

      – De telle façon que Markham et Lockwood sont immobilisés presque au même point, le premier par d'infranchissables hummocks, alors qu'il espérait trouver les eaux libres, le second par ces mêmes eaux libres, alors que, confiant dans l'affirmation de sir Georges Nares, il croyait continuer son voyage sur le champ de glace!

      – Que comptez-vous faire?

      – Ce double échec renferme un enseignement que je n'oublierai pas.

      «J'aviserai en temps opportun, et je m'arrangerai, vous pouvez m'en croire, de façon à passer là où l'Anglais et l'Américain ont dû rétrograder.

      «Vous verrez cela, docteur, ou la glace polaire sera mon tombeau.»

      VII

      La goélette arrêtée par les glaces. – Une idée du capitaine. – Beaucoup d'efforts et un peu de dynamite. – Formidable explosion. – Voie libre. – Est-ce un homme, est-ce un ours? – Trois ours et un homme. – Poursuite. – Manqué! – Où le docteur trouve son maître et n'est pas jaloux. – Les exploits d'un cuisinier. – Digne de son illustre homonyme le grand Tartarin. – Montagne de viande fraîche.

      «Sapristi! la baie de Melville se défend.

      – Sûr, qu'elle se défend, monsieur le docteur, opine gravement le maître d'équipage.

      – Ma parole! nous sommes bloqués.

      – Faudrait voir.

      – Cela me semble vu… tout à fait vu.

      «Depuis vingt-quatre heures le froid a repris brusquement, les chenaux sont refermés, les floes sont soudés les uns aux autres et pas moyen de les attaquer à coups d'éperon, puisque la goélette, immobile comme une bouée, ne peut ni avancer ni reculer.»

      Le vieux baleinier, toujours très calme se hausse au-dessus de la lisse, regarde au loin le morne champ de glace, la main en avant, au-dessus des sourcils, et semble humer l'air comme un chien de chasse.

      «Eh bien! maître Guénic, interrompt le docteur agacé de ce long silence.

      – Dame! monsieur le docteur, cela fait vingt-quatre heures de perdues, et c'est tant pis pour le capitaine, vu qu'il est pressé.

      – Voilà tout ce que vous trouvez à dire?

      – C'est-y la peine de se déralinguer la fressure pour une chose que ni vent, ni marée, ni vapeur, ni soleil ne peuvent empêcher.

      «Le capitaine a voulu passer un peu trop tôt, c'est vrai.

      «Mais, il est le maître.

      «D'ailleurs, y avait chance.

      – Et maintenant?

      – Y a toujours chance.

      «Quelques heures de vent du sud, un peu de soleil, et tout ce mauvais pavage s'en ira en dérive.

      – Et s'il n'y a ni vent du sud, ni soleil?

      – M'est avis que faudra patienter.

      «A moins que le capitaine n'ait une idée.

      «Il est le capitaine.

      – Mon brave Guénic vous êtes exaspérant, avec votre sang-froid.

      – Vous savez bien, monsieur le docteur, que le sang-froid, c'est la vertu du marin, vous qu'êtes un fin matelot de la flotte de Terre-Neuve.

      – Mais, à Terre-Neuve, il s'agit simplement de pièces de cent sous représentées par des morues.

      «Peu importe d'arriver un peu plus tôt, un peu plus tard… le chargement se complète toujours.

      «Tandis qu'ici, nous luttons pour la gloire… l'honneur du pavillon est en jeu.

      «Une semaine de retard peut amener une catastrophe irréparable.

      – Euh!.. moi et les autres, nous sommes prêts à risquer nos os pour les couleurs.

      «Mais, voyez-vous, la glace est toujours la glace.

      – Vous voulez dire qu'elle existe pour nous comme pour notre concurrent.

      «Et s'il trouve une passe libre, lui!

      – Ça ne me paraît guère possible.

      «Et puis, ce n'est jamais qu'un Allemand, et le capitaine doit avoir son idée.

      «Voilà!

      «… Tiens!.. pas possible!..

      «Ah! malheur!

      – Qu'y a-t-il encore, bon Dieu!

      – Causons bas, monsieur le docteur.

      «Y a que nous dérivons.

      – Ah!.. Nous avançons en arrière!

      «Eh bien! c'est du propre!

      «Je cours, avertir le capitaine.

      – Pas besoin, allez!

      «Sûr qu'y sait la chose, et qu'il a son idée.

      – Tu as raison, mon vieux Guénic, interrompt une voix bien connue et je vais la mettre, sans tarder, à exécution.

      – Je m'en doutais bien, allez, capitaine, dit avec une déférence affectueuse le maître en chavirant lestement, par-dessus bord, le paquet de tabac dont il exprime le jus avec sensualité.

      – Quant à vous, docteur, répond l'officier, je vais vous faire assister à un feu d'artifice comme vous n'en avez jamais vu.

      «Une brute d'obstacle matériel m'arrêterait!..

      «Sangdieu! Je ne serais plus moi!

      «Allons, Guénic, en haut le monde, et leste!»

      Le maître porte aussitôt à ses lèvres son sifflet d'argent, en tire des sons aigus, fignolés de trilles et de roulades qui font accourir au pied du mât de misaine l'équipage tout entier.

      «Le charpentier! dit brièvement le capitaine.

      – Présent! répond Jean Itourria le second Basque, compatriote du pilote des glaces.

      – Descends avec quatre hommes au magasin et apporte douze tarières… les plus grandes.

      «C'est compris?

      – Oui, capitaine.

      – Guénic, un falot.

      – Oui, capitaine.

      – Va m'attendre au panneau de la soute aux poudres et emmène avec toi l'armurier, Castelnau, et ton matelot Le Guern.

      – Oui, capitaine.»

      L'officier rentre dans son appartement et revient presque aussitôt portant une clef, celle de la soute probablement.

      Tous quatre enfilent l'escalier de l'arrière, s'arrêtent devant une petite porte que le capitaine ouvre lestement, et pénètrent dans un réduit assez vaste, où sont rangées symétriquement une infinité de caisses fermées avec des boulons.

      Le capitaine en choisit deux marqués d'un D majuscule, les fait enlever aux matelots et ajouta:

      «Portez cela sur le pont et en douceur, garçons.»

      Par les soins du charpentier, les tarières sont déjà rangées au pied du mât.

      Avec une clef anglaise, l'armurier déboulonne


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