Les français au pôle Nord. Boussenard Louis,

Les français au pôle Nord - Boussenard Louis,


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les plus braves interrompt soudain la plaisanterie de Plume-au-Vent.

      «Un homme à la mer!

      – Paraît qu'y en a un qu'en a pas eu assez, reprend l'enragé loustic en se dépouillant de sa veste fourrée.

      «Il fait pourtant un peu frisquet, pour s'offrir un bain froid.

      «L'animal est capable de me faire piger un rhume de cerveau.

      – Stop!»

      Pendant que la goélette marche encore sur son erre, un canot est armé.

      La bouée de sauvetage a déjà été lancée à la mer.

      A cinquante mètres, on aperçoit un homme qui se débat convulsivement, près d'être englouti.

      «Mais il va y rester!..

      «Y barbotte comme quelqu'un ne sachant pas nager, reprend le Parisien… un amateur, quoi!

      «A moi de faire le terre-neuve!»

      Et le voilà, sans plus tarder, debout sur la lisse, piquant, par principe, une tête superbe, sans paraître songer à ce froid atroce de 20°.

      «Courage! Parisien… courage!..» crient les camarades, pendant que le vapeur s'éloigne encore, et avant que le canot ait glissé sur ses palans.

      Et il va, l'intrépide sauveteur, filant comme un poisson sur les flots glacés, se dressant parfois jusqu'à mi-corps, pour chercher la place où se débat le malheureux.

      Il l'aperçoit enfin, à une trentaine de mètres, n'ayant plus la force de se mouvoir, déjà raidi par le froid, et pouvant à peine râler un appel suprême.

      «Au… secours!

      – Mais il a manqué la bouée, grogne le Parisien.

      «Croche donc la bouée!.. cachalot en détresse!

      «Bon le v'là qui coule!»

      En cinq ou six brasses Plume-au-Vent arrive au point où l'autre a disparu. Il plonge à deux reprises et reparaît enfin, nageant d'une main et hâlant de l'autre la fourrure dans laquelle s'agite faiblement le pauvre diable.

      Par bonheur, la bouée a dérivé à portée de sa main.

      Il s'y accroche, à bout de force et d'haleine, mais joyeux toujours, joyeux par caractère, et plus encore du devoir accompli.

      «Et tu sais, faut pas faire des manières et essayer de me faire boire un coup… sinon, je recommence à taper, comme tout à l'heure, là-dessous, chez les phoques.»

      Puis un éclat de rire s'échappe de ses lèvres violacées.

      «Diable m'emporte! C'est Constant Guignard, dit-il en reconnaissant l'homme qu'il vient d'arracher à la mort.

      «Guignard… le bien nommé… vrai!.. quelle guigne!..

      «Ohé! du canot!.. ohé!.. par ici… s. v. p…! dépêchez-vous… je crois qu'on a oublié le robinet d'eau chaude.»

      L'embarcation, qui volait sur les flots, arrive en ce moment.

      Le Parisien, transi jusqu'aux moelles, claquant des dents, raide comme un glaçon, mais blaguant quand même, est hissé à bord en même temps que l'autre, cramponné à la bouée avec l'inconsciente énergie des noyés.

      Le maître, Guénic, est à la barre.

      «Tiens, petit, dit-il au sauveteur en lui tendant une vaste et chaude fourrure, entortille-toi là dedans.

      – C'est pas de refus, maître, vu que… ça doit être un déplorable métier que celui de phoque dans ces parages.

      – Et siffle-moi ça, continue le maître en lui offrant une bouteille pleine d'un liquide ambré.

      «C'est du vrai lait de tigre, mon gars, de la pure essence de vitriol… ça te réchauffera.

      «Et puis, tu sais, petit, ajoute le vieux marin d'une voix attendrie, t'es un matelot… un vrai… je m'y connais.»

      Pendant ce temps, Constant Guignard, frictionné à tour de bras, ouvrait lentement des yeux atones et demeurait incapable de prononcer un mot.

      «Allons, mon pauvre vieux, reprend le Parisien après une ample rasade, sirote aussi une bonne goutte.

      «C'est souverain contre les pâmoisons…

      «Ben oui! c'est nous… les copains… t'es pas noyé… rassure-toi donc… t'es pas encore à point pour faire un figurant à la Morgue.»

      Cinq minutes après, la baleinière accostait la Gallia.

      Pendant que le Parisien sautait allégrement sur le pont au milieu des matelots qui ne lui ménageaient pas leur sympathie, le docteur faisait transporter Guignard au poste des blessés, puis engageait le sauveteur à l'y accompagner.

      «Pardon excuse, monsieur le docteur, mais, avec votre permission, dit-il, je vais aller me faire un brin rissoler devant mon fourneau de chauffe.

      «Voyez-vous, après une bonne suée, il n'y paraîtra plus.

      – Ma foi, mon garçon, c'est une idée.

      «Cependant, venez me voir quand vous serez réchauffé.»

      Le brave Parisien allait enfiler l'escalier de la machine, quand il se trouve en présence du capitaine qui le regarde de ses yeux tranquilles et lui tend la main.

      Confus de cet honneur et certes bien plus intimidé qu'au moment où il se précipitait dans les flots, Plume-au-Vent met respectueusement sa main dans celle de son chef et demeure bouche béante, interloqué.

      «Farin, mon brave, dit le capitaine de sa voix chaude et sympathique, au nom de l'équipage et du mien, merci!..»

      Et le chauffeur, de plus en plus troublé, ne trouvant pas un mot à répondre, mais tout fier de ce témoignage d'estime, porte la main à son bonnet, salue militairement et disparaît dans l'écoutille.

      «Que ne puis-je entreprendre avec de tels hommes! dit à part lui le capitaine en se rendant lui-même à l'infirmerie.

      «Oh! j'arriverai là-bas!.. je le sens… je le veux.»

      La goélette avait repris sa marche à travers le chenal où les obstacles semblaient s'accumuler à plaisir. Mais du moins l'incident qui faillit dès le début anéantir l'expédition, ou tout au moins porter le deuil dans l'équipage, eut cela de bon que chacun redoubla de vigilance.

      Et certes, jamais on n'en a plus besoin en remontant le cercle polaire qui semble fuir devant l'étrave de la Gallia.

      Le passage toujours obstrué par les glaces flottantes se maintenait libre, c'est-à-dire, que sa surface ne gelait pas. Du reste, la température, tout en restant assez basse, était moins rigoureuse depuis que le soleil ne disparaissait presque plus à l'horizon. La série des interminables journées arctiques allait commencer. Tout faisait prévoir une prochaine désagrégation du colossal amas de glaçons contre lequel on allait bientôt se heurter.

      Depuis longtemps on avait dépassé le fiord d'Arsuth, où se trouve la fameuse mine de cryolithe, nommée Iviktutk. Puis, Friedricshaab, Fiskernaes et enfin Godthaab, la seconde ville de l'inspectorat du Sud. Une triste bourgade plus froide, plus désolée que Julianeshaab. Le 65° était franchi, mais aussi quelles fatigues écrasantes, pour un résultat aussi modeste!

      L'implacable brume persistait toujours et s'interposait obstinément devant le soleil, qui, pendant trois mois, allait rayonner sur le désert de glaces.

      Et toujours la lutte sans trêve contre les écueils mouvants, aperçus vaguement à travers l'énervante opacité du brouillard! Les manœuvres incessantes qui courbaturaient l'équipage, les arrêts interminables, les retours précipités, la vapeur instantanément renversée, tout cela pour arriver à s'élever de quelques minutes!

      Cependant cette brume, en dépit de son opacité, couvre la mer d'une couche très mince, à ce point que les matelots de vigie dans le gréement, se trouvent en plein soleil 4.

      Là-haut,


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<p>4</p>

C'est du reste un fait observé fréquemment sur les paquebots faisant la traversée d'Amérique. Par le travers de Terre-Neuve, les mâts sortent à moitié du brouillard, pendant que la partie inférieure du navire demeure invisible.