Les français au pôle Nord. Boussenard Louis,

Les français au pôle Nord - Boussenard Louis,


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avec l'idée du péril imminent.

      Aussi, la vigilance est extrême sur le pont du navire. Tous ceux qui ne sont pas de quart à la machine se tiennent en permanence à leur poste respectif, brandissant de longs crocs avec lesquels ils repoussent les glaçons qui, à chaque instant, menacent l'avant.

      En dépit d'efforts incessants et d'une attention qui ne se dément jamais, l'éperon heurte rudement un iceberg dont la base est cachée sous la vague et dont le sommet demeure invisible dans le brouillard.

      Le navire frémit, s'arrête un moment et repart, sans autre inconvénient que de secouer un peu trop rudement les chronomètres. Car tout ce qui est, à bord, susceptible de détérioration, a été soigneusement saisi et arrimé, de façon à permettre, plus tard, à la Gallia, de remplir sa fonction de bélier.

      Quant au capitaine, confiant dans la solidité de son bâtiment dont il éprouve à chaque instant la résistance, il conserve son impassibilité, et n'a qu'une seule idée en tête: faire de la route.

      Encouragés par la présence de leur chef qui prêche vaillamment d'exemple, les matelots supportent sans fléchir les écrasantes fatigues de ce rude noviciat et trouvent encore moyen de plaisanter.

      Jamais la gaîté gauloise ne se trouve à court, même dans les circonstances les plus difficiles; on pourrait dire qu'elle semble s'accroître avec elles.

      «Bon! crie une voix joyeuse, celle du Parisien qui vient de quitter sa chaufferie, encore de la glace!

      «Il y a donc des gens qui passent ici leur vie à en fabriquer!

      «Ma parole! si c'est pas à leur faire payer patente!»

      Le soleil luit, par hasard. On aperçoit l'ennemi arriver en colonnes serrées.

      «Empoigne un croc, bavard, et pique-moi cet obélisque, dont la pointe menace la vergue…

      «Tonnerre!..» interrompt le camarade, qui fait terriblement vibrer les R, et qu'à son accent on reconnaît pour un Basque.

      C'est en effet le baleinier Michel Elimberri, élevé depuis le départ de Julianeshaab à la dignité de «pilote des glaces»; ce que les Anglais appellent: «icemaster».

      Silencieux jusqu'à la taciturnité, le Basque, dont la vive intelligence n'avait pas eu jusqu'alors occasion de se produire, s'est tout à coup révélé au capitaine comme un homme absolument hors de pair pour tout ce qui a trait à la navigation dans les mers arctiques.

      Il a longtemps pratiqué la pêche à la baleine, connaît parfaitement les parages au moins jusqu'au détroit de Smith et la baie de Melville, où il a hiverné deux fois. Son instruction technique est bien supérieure à celle de la moyenne des matelots, à ce point qu'il a été embarqué une fois en qualité de second sur un baleinier.

      Le capitaine le jugea un soir, en l'entendant expliquer, à ses camarades, comment il comprenait l'expédition, et se convainquit de sa valeur après un entretien sommaire.

      «L'obélisque! riposte Plume-au-Vent, toujours goguenard, tu me fais penser à Paris, ma ville, où de bons licheurs toujours altérés, font en ce moment les yeux doux à des carafes frappées!

      «Et ici!.. oh!.. là! là!.. mince de frigorifique!

      «Faut croire que nous sommes à l'entrepôt général du grand magasin des degrés au-dessous de zéro.

      «Michel?

      – Après? répond brièvement le Basque.

      – Une idée! Si après la campagne nous frétions, avec nos parts, un joli bateau pour venir ici chercher de la glace et en vendre aux gens qui tirent la langue sous un Equateur quelconque?

      – Enfoncée, l'idée!

      – Ah! bah… ça se fait.

      – Oui! En Amérique… Dans la baie d'Hudson… des vapeurs… on coupe la glace comme des pavés… à la scie… on l'emballe dans du feutre et de la sciure de bois et on la porte aux Antilles… au Mexique… à la Louisiane… à Cayenne…

      – Ça doit coûter cher la livre, hein!

      – Quatre sous!

      – Pétard! Sont-y malins, ces Américains.

      «Michel!

      – Quoi encore?

      – Toi qui la connais dans les coins, la chose des glaces, tu devrais bien m'expliquer…

      – Pas le temps… faut ouvrir l'œil.

      – C'est pas une raison pour clore le bec et fermer les oreilles.

      «Ça m'empêche pas de turbiner, quand je parle, moi.

      «Tiens, vois, ça s'éclaircit un peu… y a relâche… nous sommes dans un chenal d'eau libre.

      – Je vois bien… mais, là-bas… par tribord… le floe

      – Tu dis?..

      – Floe… champ de glace marine… l'eau de mer gelée sur place… là!

      «La goélette devra le contourner… impossible de passer.

      – … Et là-bas… vois donc… à bâbord…

      «Des collines, des dunes, des rochers de glace… ça s'étend à perte de vue.

      «On dirait que ça rejoint le… le… floe, comme tu dis.

      – C'est un pack.

      «Glaces venues du Nord… mêlées par les courants et les tempêtes… entassées… superposées… gelées et réunies par le froid.

      «Le soleil fera tout craquer… partira en morceaux… icebergs qui s'en iront en dérive…

      – Tonnerre!.. y en a-t-y… mais y en a-t-y encore et toujours!

      «Et avec ça un froid qui me coupe le nez… preuve que mon piton est d'un cramoisi!

      – Thermomètre à 20° au-dessous de zéro.

      – Mais alors, tout va geler ici, et je ne m'explique pas comment le navire flotte encore.

      – Il y a le courant qui empêche l'eau de se prendre.

      – Mais, plus loin?

      – Nous trouverons le Pack du Milieu, la grande banquise formant barrière devant les eaux libres du Nord.

      – Comment passerons-nous?

      – Il y aura débâcle.»

      Et profitant de la loquacité insolite de son camarade auquel l'état de la mer donne un peu de répit, le chauffeur se fait expliquer ce qu'il ignore, s'étonnant de la forme et de la consonnance des mots servant à désigner la glace sous ses différents aspects, cherchant en vain leur équivalent dans notre langue.

      «Les étrangers… surtout les Anglais, sont venus les premiers, et ils ont donné aux choses des noms de chez eux.»

      Et le Basque, poursuivant ainsi son entretien à bâtons rompus, continue ses définitions, dont le Parisien, ennuyé de ne pas savoir, se promet de tirer bon profit.

      Plume-au-Vent apprend ainsi du baleinier, que le Pack du Milieu, ou comme il préfère l'appeler, la banquise, l'effroi des vaillants pêcheurs de cétacés, obstrue les détroits de Smith, de Jones et de Lancastre, même pendant l'été arctique, et qu'ils doivent, pour gagner l'espace libre des Eaux du Nord, contourner vers l'Est la terrible barrière afin de trouver le passage, trop heureux quand il n'est pas intercepté par la soudure de la banquise avec la glace des côtes qui, presque en tout temps, obstrue la baie de Melville.

      Que de fatigues, de peines et de dangers, pour atteindre cette portion de mer ouverte qui ne s'étend guère au Sud du soixante-seizième parallèle, et doit souvent être cherchée plus haut! Etant donné surtout que le redoutable pack, appelé aussi: Glace du Milieu, s'étend du 76e au cercle polaire! soit un espace d'environ huit degrés, près de 900 kilomètres, à travers lequel il faut cheminer, Dieu sait comment!

      Cet


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