Les français au pôle Nord. Boussenard Louis,

Les français au pôle Nord - Boussenard Louis,


Скачать книгу
tous Français, mais pris un peu de tous côtés et offrant les échantillons les plus divers des races composant notre population maritime.

      Témoin la liste suivante, dressée par le maître d'équipage: 1o (A tout seigneur tout honneur) Guénic Trégastel, 46 ans, Breton. – 2o Fritz Hermann, 40 ans, Alsacien, maître mécanicien. – 3o Justin Henriot, 26 ans, Parisien, second maître mécanicien. – 4o Jean Itourria, 27 ans, charpentier, Basque. – 5o Pierre Le Guern, 35 ans, matelot baleinier, Breton. – 6o Michel Elimberri, 35 ans, matelot baleinier, Basque. – 7o Elisée Pontac, 33 ans, matelot baleinier, Gascon. – 8 °Constant Guignard, 26 ans, matelot, Normand. – 9o Joseph Courapied, dit Marche-à-Terre, 29 ans, matelot, Normand. – 10o Julien Montbartier, 30 ans, matelot, Gascon. – 11 °Chéri Bédarrides, 27 ans, matelot, Provençal. – 12o Isidore Castelnau, 31 ans, armurier, Gascon. – 13o Jean Nick, dit Bigorneau, 24 ans, chauffeur, Flamand. – 14o Arthur Farin, dit Plume-au-Vent, 25 ans, chauffeur, Parisien. – 15o Abel Dumas, dit Tartarin, cuisinier, Provençal.

      De cette collection très hétérogène de braves gens, tous francs matelots, avaient surgi, dès le premier jour, des types extraordinaires, comiques volontaires ou inconscients, qui promettaient à leurs camarades quelques bonnes heures de douce gaieté. Entre autres, Jean Nick, dit Bigorneau, un ancien mineur têtu, naïf, n'aimant rien au monde que sa chaufferie, heureux de tripoter le charbon, et avalant par douzaines les bourdes les plus insensées. Il y a encore Arthur Farin, dit Plume-au-Vent, un ancien virtuose de café-concert, cœur d'or et caractère de fer, mais blagueur enragé, mystificateur à froid, et cet épique Abel Dumas, dit Tartarin!.. Mossieu Dumasse!.. qui, comme le héros de Tarascon, court d'abord les aventures par gloriole, croit, en fin de compte, que c'est arrivé, s'emballe et accomplit des prodiges.

      On a pu voir précédemment combien, en dépit de la diversité de leur origine, ces hommes sont unis déjà dans une même pensée d'abnégation, et prêts, comme l'a déclaré Farin, dit Plume-au-Vent, l'orateur de l'équipage, à suivre toujours et quand même leur capitaine.

      Il est temps, pour finir ce rapide exposé, de présenter en deux mots le second capitaine, M. Berchou, un Havrais de 41 ans, le lieutenant, M. Vasseur, un Charentais de 32 ans, et le docteur Gélin, petit homme sec, grisonnant, vif comme un salpêtre, médecin distingué, chasseur intrépide, naturaliste éminent et connaissant à fond les questions polaires étudiées sur nature, soit à Terre-Neuve soit au Groenland, où il a longtemps stationné.

      Cependant, les dernières minutes s'écoulent, et la Gallia, dont la machine est en pression, frémit sur ses câbles d'amarrage. Guénic vient d'arriver du bureau de poste et rapporte une volumineuse correspondance. Il s'enlève à bord d'un seul élan par les tire-veilles et va prendre son poste.

      L'instant solennel est arrivé, car la mer est étale.

      Le capitaine fait hisser au mât de misaine le pavillon du Yacht-Club de France, une flamme tricolore avec une étoile blanche dans le bleu et le pavillon national à la corne, puis remet le commandement au pilote qui doit conduire le bâtiment en pleine mer.

      Les amarres sont larguées, un coup de sifflet strident retentit, la machine pousse un long halètement et la Gallia s'avance avec une prudente lenteur vers l'écluse qui s'ouvre devant elle.

      Elle traverse en biaisant le bassin de l'Eure, s'écluse de nouveau, gagne l'avant-port, accélère son allure, franchit l'entrée de la jetée, puis s'élance vers la haute mer, traînant à sa remorque le cotre du pilote qui bondit derrière elle sur les lames.

      III

      Le premier iceberg. – Enthousiasme du docteur pour les terres boréales. – Plume-au-Vent apprend ce que c'est que le Pôle. – Constant Guignard craint de ne pas trouver le cercle polaire. – A travers la brume. – Première escale. – Un pilote comme on en voit peu. – Julianeshaab.

      «Ma parole! c'est un glaçon… une véritable montagne de glace flottante, ce qu'en terme de baleinier on appelle un iceberg… pas vrai, Le Guern, toi qu'as pincé dans les temps de la grande pêche.

      – Foi de matelot! t'as raison, Parisien, c'est un iceberg!

      «Tonnerre de Brest! tu vois de loin, toi, pour un chauffeur… autant dire un rat de cambuse ou un terrien.

      – Moi! farceur, va!

      «A Paris, j'aperçois l'heure de l'Observatoire au Luxembourg… en tournant le dos à l'horloge.

      «Dis donc, le Maître a promis la goutte à celui qui signalerait la première glace… allons lui refiler la chose, hein!

      «Je t'invite à partager ma ration de tripoli.

      – Plume-au-Vent, t'es un frère!

      «Qué malheur que tu sois dans la machinerie! En dix ans, tu ferais un gabier de beaupré.»

      Puis, élevant la voix, il crie à tue-tête:

      «Glace par l'avant!

      «Maître, à nous la goutte.»

      Le lieutenant, alors de quart, fait aussitôt prévenir le capitaine qui déjeune avec le second et le docteur, et tous trois s'élancent sur le pont, une lorgnette à la main, pour reconnaître le premier ennemi.

      Heureux de cette apparition qui lui annonce la proximité du moins relative de la terre groenlandaise, le capitaine étend à l'équipage la largesse promise par Guénic et retourne au carré, terminer son repas.

      – Eh bien! docteur, dit-il au médecin qui vient de se hisser dans les premières enfléchures, vous laissez en souffrance le déjeuner?

      – Ma foi oui, capitaine, sauf toutefois votre bon plaisir.

      «Voyez-vous, je suis un hyperboréen passionné, moi, et vous l'avouerai-je, la vue de cet iceberg m'a positivement coupé l'appétit.

      «Il faut que je l'examine à l'aise, que je le voie s'approcher, que je le salue au passage, comme tant d'autres saluent la première hirondelle.

      – Faites donc comme vous l'entendrez.»

      Le capitaine était redescendu depuis deux minutes à peine, qu'on signalait, par tribord, une seconde masse flottante, mais infiniment moins volumineuse que la première. Puis une troisième, et bientôt une quatrième, également de petites dimensions.

      «Allons, ça va bien!.. ça va bien, murmurait le docteur tout radieux, sans se préoccuper de la bise aigre qui commençait à lui rougir le nez.

      – Paraît, dit à voix basse le Parisien, que le docteur a une passion folle pour le pays des engelures.

      – Mais oui, mon loustic, répond celui-ci, en homme habitué à percevoir les moindres bruits par l'auscultation, et possédant, de ce chef, une oreille superlativement fine.

      «Et vous l'aimerez comme moi, après votre première campagne, quand vous en aurez admiré la magnificence.

      – Faites excuse, monsieur, reprit le chauffeur un peu gêné malgré son aplomb habituel, je ne croyais pas que vous m'entendiez.

      – Il n'y a pas de mal, mon garçon.

      «Tiens!.. encore une autre là-bas… par tribord!

      «Ma parole! il en pleut!.. est-ce que la débâcle serait commencée?

      «Mais non, c'est impossible… nous ne sommes encore qu'au 15 mai.

      – Pardon, excuse, monsieur le docteur, dit en hésitant le Parisien qui n'ose interroger, mais voudrait bien savoir.

      – Quoi? mon garçon.

      – C'est donc véritablement beau, un pays tout en glaces…

      – Superbe! éblouissant! stupéfiant!

      «Vous trouvez là des collines, des montagnes, des précipices, des arches, des aiguilles, des clochers, un chaos de masses tourmentées, aux formes étranges, des flamboiements incomparables de lumière, que sais-je encore!..

      – Sauf vot' respect, monsieur le docteur, ce sera


Скачать книгу