Les français au pôle Nord. Boussenard Louis,

Les français au pôle Nord - Boussenard Louis,


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d'ailleurs le prouvent certains faits indéniables. Notamment la dérive extraordinaire du Fox, le petit vapeur monté en 1857 par Mac-Clintock, parti à la recherche de l'expédition Franklin. Le Fox, soudé à la banquise par le travers du cap York, descendit avec les glaces pendant neuf mois et ne fut délivré que sous le cercle polaire.

      Le Pack du Milieu, ou banquise, se forme donc, selon toute évidence, à l'extrême Nord, par l'agrégation des floes ou champs de glaces détachés, qui atteignent là-bas des hauteurs énormes, quarante et cinquante mètres, et viennent se souder à la barrière, après avoir notablement fondu en route, mais de façon à émerger encore de douze à quinze mètres et plus. Chaque floe qui constitue un des éléments de la banquise, a une configuration à peu près invariable. Il est profondément entaillé en plan horizontal au niveau des eaux, dont il subit continuellement l'action dissolvante, mais à une certaine profondeur il s'élargit énormément, de façon à posséder une base très considérable, et n'émerge jamais que du quart de sa hauteur totale.

      Que l'on juge par là des dimensions d'un glaçon qui se dresse à quinze mètres seulement au-dessus du niveau de la mer!

      Ainsi appelé par les circonstances à enfourcher son dada favori, le Basque devenait intarissable, peut-être pour la première fois.

      Et le Parisien jubilait de cette condescendance, et enrichissait sa prodigieuse mémoire de faits à ce point intéressants, qu'il ne s'apercevait pas du givre collé à ses sourcils, et des glaçons formant stalactites à chacun des poils de sa barbe.

      L'entretien se fût peut-être continué fort longtemps encore, s'il n'eût été brusquement interrompu par un cri bref du Basque, auquel succède une longue clameur d'étonnement, peut-être d'effroi.

      V

      Chute d'une montagne de glace. – Broyé ou submergé. – Un homme à la mer! – Héroïsme joyeux. – La récompense d'un brave. – Possessions danoises. – A travers la brume. – Dans le «Nid de Pie». – Regrets d'un pêcheur de baleines. – Toujours en avant! – Le comble de la misère humaine. – Près de pénétrer dans le cimetière des navires.

      Malgré le froid intense, les matelots, tout chauds encore du soleil natal, trouvent que cette monotonie, parfois si éclatante et plus souvent lugubre, est relevée par le charme de la nouveauté.

      Ils ont des étonnements naïfs, des admirations bruyantes, des métaphores audacieuses à l'aspect du tableau mouvant, si extraordinairement accidenté qui, bien que formé d'un seul élément, et n'affectant qu'une seule nuance, ne se ressemble jamais.

      C'est au point que leur vigilance est parfois en défaut, tant ce féerique décor, sans cesse modifié, surexcite leur curiosité jusqu'à leur enlever l'appréhension du danger.

      Du reste, ils n'ont pas eu le temps de se familiariser avec la configuration des icebergs ne montrant, comme on sait, au-dessus des eaux, que le quart de leur masse entière, et cachant sournoisement, sous les flots, une base très large, d'autant plus redoutable qu'on en ignore la forme et les dimensions.

      Aussi, arrivera-t-il qu'un monticule errant, passant à une quinzaine de mètres, et regardé comme inoffensif, eu égard à son éloignement relatif, heurtera, par un de ses prolongements sous-marins, les œuvres vives du navire.

      C'est ce qui se produit au moment où des cris violents interrompirent l'entretien du Basque et du Parisien.

      Le chenal où s'avançait la Gallia rasait de près un immense glacier collé aux falaises de la côte, et le courant, assez rapide, en érodait profondément l'invisible piédestal.

      Il y avait là des ébauches colossales d'une architecture fruste et tourmentée, où se confondaient, au milieu d'un pêle-mêle inouï, des piliers déjetés, des croupes de cathédrales, des tours balafrées de lézardes, des ogives rompues, des monolithes informes tombés on ne sait d'où, des pans ruinés, une cité de géants après un tremblement de terre.

      Toutes ces masses, reliées entre elles par le froid, et solidaires comme si le meilleur ciment les unissait, éprouvaient, par cela même, des trépidations violentes, quand l'effort incessant des eaux, sapant leur base, en détachait un fragment.

      Des craquements sonores, produits par le travail de désagrégation, retentissaient sans relâche, précédant, puis accompagnant la chute du bloc qui s'abîmait dans une pluie diamantée, puis soulevait une vague qui s'en allait mourir en clapotant sous les anfractuosités.

      En raison de cette solidarité, l'ébranlement se répercutait sur la totalité du glacier, produisant des dégringolades incessantes, et un fracas rappelant celui d'un champ de bataille, mais avec une sonorité en quelque sorte exaspérée.

      La goélette venait de s'écarter sur bâbord pour éviter l'approche d'un iceberg colossal, haut de plus de vingt mètres, taillé presque à pic, et dont la configuration bizarre rappelait celle d'un gigantesque bonnet de grenadier.

      Le navire allait le laisser à trente mètres environ sur tribord, quand tout à coup un pan tout entier se détache de la falaise de glace, tombe dans le chenal, s'enfonce, disparaît, puis émerge, en soulevant une vague monstrueuse.

      Celle-ci bondit et s'avance comme un mascaret, attaque le glaçon flottant, le fait osciller comme un fétu, et finalement le culbute sens dessus dessous.

      Cette scène, longue à raconter, n'a pas duré plus de quinze secondes, et provoqua le cri d'angoisse échappé aux matelots.

      Cependant, le navire n'eût couru aucun péril, sans la présence de l'iceberg malencontreusement placé par son travers.

      Mais la fatalité permit que, au moment précis où il culbutait sous l'irrésistible poussée de la lame, la portion immergée heurtât, dans son mouvement de rotation, la coque…

      La masse de bois gémit et semble près de se désarticuler. Les mâts oscillent, craquent jusque dans leur emplanture et menacent de venir en bas.

      Un faux mouvement, une seconde d'hésitation, un de ces incidents qui déroutent les prévisions humaines, et c'en est fait!

      La Gallia soulevée, puis brusquement jetée sur un de ses bords, va chavirer sur place.

      Un frisson rapide secoue les plus braves qui se cramponnent machinalement au premier objet venu, et jettent sur leur chef un regard angoissé.

      Le capitaine a vu et pressenti le danger.

      Impassible au milieu du cataclysme d'où surgit une effroyable menace d'anéantissement, il s'écrie d'une voix qui domine le tonnerre des glaces et le rugissement des flots:

      «Tiens bon, matelots!

      «La barre à bâbord!.. toute!..»

      Puis, il met la main sur le télégraphe de la machine, et commande:

      «A toute vapeur!»

      Pour la seconde fois l'organisme de bois et de métal frémit, et une poussée furieuse le projette d'arrière en avant.

      Pendant un instant bien court et qui paraît affreusement long, chacun entend la fausse quille racler la glace, et l'hélice tourbillonner à vide.

      Cela dure huit ou dix secondes à peine, mais quel moment terrible!

      Et brusquement, la Gallia qui, chose à peine croyable, a glissé sur l'obstacle, comme sur le plan incliné d'un chantier, se trouve soulevée par l'arrière, pique de l'avant et menace de s'abîmer.

      Par bonheur, l'iceberg est franchi au moment où la lame s'abat sur le gaillard d'avant.

      En un clin d'œil le spardeck se trouve submergé. Les matelots, qui étreignent les haubans, les étais, et tout ce qui peut leur donner prise, enflent le dos sous cette formidable douche. Les chiens, par bonheur attachés solidement, poussent un hurlement lugubre.

      La goélette, un moment alourdie, s'enfonce, puis se redresse à mesure que l'eau embarquée s'écoule par les dallots. Le pont est si parfaitement étanche que pas une goutte n'a pénétré dans l'intérieur.

      La


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