Madame Putiphar, vol 1 e 2. Petrus Borel
il apparoissoit comme une figure cabalistique, ou comme l’inévitable voyageur pittoresque dont les peintres animent la solitude de leurs paysages.
Mac-Phadruig, ou Patrick Fitz-Whyte, étoit grand et d’une noble prestance; il avoit de beaux traits, des yeux bleus, un teint blanc, une chevelure blonde; des manières polies et bienséantes; rien de rustique, ni dans son port, ni dans sa voix. Pour posséder tout à fait l’allure d’un fils de château, il ne lui manquoit qu’une seule chose, un peu de grossière impudence.
Son costume simple, mais d’une riche tournure, se rapprochoit de l’ancien costume du pays. Il portoit de longues tresses blondes, en manière de gibbes ou coulins, et un bouquet de barbe sur la lèvre supérieure, en manière de crommeal. Ces modes irlandoises, proscrites depuis Henri VIII et depuis long-temps abandonnées, lui donnoient un air étranger au milieu de ses compatriotes dressés à l’angloise.
Cette chose si louable, de se rapprocher le plus possible de ses ayeux qu’on aime, de se faire le culte vivant d’un temps qu’on regrette, n’étoit ni comprise ni goûtée; loin de là, elle le faisoit passer pour un fou. Déborah seule l’applaudissoit en cela; pour tout au monde elle n’auroit pas voulu voir son Coulin affublé en Londrin, en cokney.
Les jeunes filles, autrefois, appliquoient ainsi le nom de Coulin à leur bien-aimé. Déborah, éprise de ce vieux mot d’amour, se complaisoit à le donner à Patrick; et ce mot, dans sa bouche, devenoit une caresse. Celui qui a surpris sur les lèvres d’une Provençale le doux nom de Caligneiro, celui-là seul peut concevoir touts les charmes de Coulin dans la bouche de Debby. Il y a de certains mots si suaves, modulés par une amante, que nul instrument ne pourroit soupirer une note plus mélodieuse. Ce sont de dangereux parfums qui enivrent. Ce sont les plus terribles armes des Dalilah.
Autant les petites modes hebdomadaires, créées à l’usage des mirliflores et des muguets, sont pitoyables choses, autant les modes autocthones ou indigènes, patrimoniales et nationales, sont de hautes et de graves questions. Les tyrans et les conquérants les ont toujours envisagées ainsi, et ils les ont justement envisagées. Un peuple en captivité qui ne parle point la langue de ses vainqueurs, qui garde religieusement le costume de ses pères, est un peuple libre, un peuple invaincu, un peuple indomptable. Ce ne sont pas les citadelles qui défendent un territoire, ce sont les mœurs de ce territoire. Si les législateurs avoient eu la finesse des tyrans, ils auroient classé dans les traîtres à la patrie, et puni de mort, quiconque change et modifie le costume de sa nation ou singe celui des peuples étrangers. L’incorporation du peuple conquis au peuple conquérant ne se fait point par l’alliance et le croisement des races, mais par l’unité du costume et du langage. Quand les Moscovites défendoient leur barbe et leur robe contre le czar Pierre, ce n’étoit pas leur barbe et leur robe qu’ils disputoient, mais leur liberté. L’abandon de leur costume, où a-t-il conduit les Polonois? Quand Henri VIII proscrivoit les gibbes des habitants de la verte Erin, quand il proscrivoit leur langue et leurs minstrels, ce n’étoit pas cela qu’il proscrivoit, c’étoit la liberté de l’Irlande qu’il assassinoit sans retour. Quand aujourd’hui le sultan Mahmoud se morfond à russifier et à franciser ses Turks, il ne s’agit pas de turban ou de chapeau, de redingote ou de caftan, d’hydromel ou de vin, il ne s’agit rien moins que du meurtre de l’Orient!
Si le plus grand soin d’un tyran est de niveler les aspérités nationales et locales qui enrayent les roues de son char, le premier soin aussi d’une nation qui se réveille, d’une nation qui s’essaye à briser ses fers, est de reprendre ses dehors primitifs: ainsi les Moréotes évoquèrent jusqu’à leur nom d’Hellènes.
Lorsque les étudiants allemands cherchèrent à ressusciter l’ancienne allure germanique, ce que blâmoit fort M. de Kotzbue, ils frappèrent au cœur la tyrannie; et les tyrans, à ce manifeste, tremblèrent sur leurs trônes augustes, et décrétèrent de par Dieu la tonte des longues chevelures et des fines moustaches.
Le costume est la plus frappante manifestation des sentiments et de la volonté de l’individu et de la nation, c’est une permanente réclamation de leur valeur et de leurs droits.
Patrick avoit tout le bon du caractère des Irlandois, doux, polis, hospitaliers, généreux, patients à la souffrance, hardis à l’entreprise, courageux et impétueux à l’exécution; d’une naïveté spirituelle, et parfois satirique; plus faciles à tromper qu’à détromper; aimants, attachés, fidèles et vrais; ne se tenant jamais pour battus, ne pactisant jamais avec l’iniquité; la gorge sous le pied de leur ennemi rêvant encore l’insurrection. Pâte mauvaise à faire des esclaves, mais plantureuse à faire des commensaux. Religieux par désespoir, comme touts les opprimés; n’appréciant pas la vie, comme touts les misérables; de là, soldats inappréciables.
Le séjour de Patrick au château pendant son enfance, son contact avec des gents de qualité, l’éducation féminine qu’il avoit partagée avec son inséparable Déborah, lui avoient donné l’exquis du bon ton: une élocution facile et choisie, de la représentation et de la réserve: toutes choses contrastant avec ses vêtements rustiques.
Son amour pour Déborah n’étoit point le fruit de l’orgueil ou d’une sotte présomption. Il étoit fort antérieur à tout raisonnement, il datoit des premiers pas dans la vie. Une attraction fortuite, magnétique, avoit rapproché deux êtres isolés et frêles, voilà tout. Ils étoient passifs et sympathiques d’amour, mais non pas savants en amour. L’aimant subit sa loi naturelle sans plus de malice, sans savoir un mot de magnétisme: ce sont les savants, et non l’aimant, qui raisonnent. Quoique leur sentiment fût inaliénable, ils n’avoient eux-mêmes aucun document sur son intensité: ce n’est que par l’expérience et la comparaison qu’on arrive à fixer en son esprit la valeur des choses: toute valeur n’est que relative.
Leur amour n’avoit point les dehors d’une passion; il n’avoit point de symbole extrême et violent; c’étoit un état doux, égal, constant; c’étoit une affection stagnante qu’ils croyoient sans doute inhérente à leur nature, et, comme le souffle et la nutrition, une condition absolue de leur existence. Mais, non, à parler plus simplement, ils ne croyoient rien; nonchalants du pourquoi? ils n’analysoient rien; c’est moi rétheur, qui crois et qui analyse. Ils étoient passifs d’amour, et voilà tout!
Si la compagnie de Déborah avoit efféminé Patrick, celle de Patrick avoit donné à Déborah un peu de ce maintien cavalier, qui, bien loin de déparer les grâces pudiques, les rend plus amènes.
Déborah s’exprimoit mieux que Patrick, mais elle comprenoit moins bien; mais elle ne saisissoit pas un ensemble, mais elle ne résumoit pas. Elle s’enflammoit et exécutoit tout d’abord: Patrick pesoit tout d’abord, exécutoit quelquefois, et s’enflammoit à la longue. Toutes ses sensations étoient extrêmes, joie et douleur; elle se laissoit abattre volontiers: toutes les sensations de Patrick étoient profondes; le doute pouvoit l’atteindre et l’affecter, mais nulle chose au monde n’avoit puissance de l’abattre. De la sensibilité spontanée et exclamatoire de Déborah découloit sa raison: la raison de Patrick engendroit sa sensibilité tardive et froide: l’une étoit concrète et l’autre abstraite.
Les lignes des traits de Patrick étoient tangentes à la terre; celles des traits de Déborah tangentes à l’opposite. Son incarnat étoit brun pour une Anglo-Irlandoise, ses yeux et ses sourcils étoient noirs; et si ses cheveux n’avoient pas été échafaudés, saupoudrés, enrubanés, elle auroit eu le plus beau diadême, une longue chevelure de jayet.
En somme, elle étoit plus constamment active que Patrick, plus déterminée par moins de prévoyance et, comme lui, rêveuse d’aventures.
Après un long intervalle silencieux, Patrick, cessant d’errer dans les genêts, s’approcha de sa noble amie, toujours immobile et toujours accoudée sur le roc, comme une pleureuse de marbre sur un cénotaphe, comme une des lugubres statues des tombeaux de Canova.
Et, lui prenant doucement la main, il s’assit auprès d’elle.
– Oh! combien la nuit et l’ombre portent au recueillement, Debby! Oh! qu’à regret on trouble de