Madame Putiphar, vol 1 e 2. Petrus Borel

Madame Putiphar, vol 1 e 2 - Petrus  Borel


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je suis mère! vous parlez d’une façon exécrable.

      – Combien l’avez-vous vendue à M. Pat? Vous complotiez avec lui, vous facilitiez ses attentats, tandis que vis-à-vis de moi vous protestiez de son innocence, et repoussiez loin mes trop justes soupçons. Vous appelez cela de la finesse, sans doute. Madame, cette finesse-là mène à Newgate.

      – Comte, vous m’outragez!.. vous m’accusez à faux!..

      – Vous mentez, madame!

      – D’où vous viennent ces idées monstrueuses?

      – Monstrueuses! vous l’avez dit… Chris, cette nuit, a suivi votre fille dans le parc, et l’a vue avec Pat faire la tourterelle; il l’a entendue disant à ce bouvier: «Ne restons pas ici, ma mère m’a bien recommandé de nous tenir sur nos gardes…» Voici, mylady, d’où viennent ces idées monstrueuses! Qu’en dites-vous?

      – Je vous supplie seulement de m’écouter, monseigneur; et vous verrez, malgré ces apparences, que ma conduite à été pure. – Quoique je ne pusse croire aux rapports de Chris, votre valet, craignant toutefois que vos soupçons ne vinssent à se confirmer, par foiblesse maternelle, j’avertis Déborah de vos doutes à son égard pour lui épargner les peines que lui feroit porter votre juste colère. Je l’interrogeai; elle m’avoua toute sa faute: depuis un an elle revoyoit Patrick, surtout au parc, dans des rendez-vous nocturnes: mais, en tout respect et tout honneur.

      – Vous croyez!.. Baste!..

      – Ne calomniez pas ma fille, mylord; faites le joli plaisant, n’avez-vous pas honte de votre esprit grossier? Jamais vous n’avez pu comprendre le chaste commerce de deux âmes; pour vous l’amour n’a jamais été qu’un faune ou un satyre.

      – Un faune ou un satyre, en tout respect et tout honneur, mylady.

      – Après les reproches et les avis que mes devoirs de mère me dictèrent, je la suppliai de rompre avec Patrick: elle me le promit à une seule condition: celle d’aller pour la dernière fois à un rendez-vous qu’elle avoit hier au soir même, afin de lire à Patrick son arrêt et de lui dire un éternel adieu. Elle m’accordoit tant que je ne pouvois lui refuser si peu. Je lui recommandai donc de se tenir sur ses gardes pour éviter vos espions, et ne pas perdre, par maladresse dans cette dernière entrevue, le fruit de ses bonnes résolutions. Voilà tout mon crime, j’en prends Dieu à témoin! jugez-le dans votre cœur. Quant à Déborah, je réponds d’elle, sur ma tête, à l’avenir.

      – Sur votre tête!

      – Elle a rompu à jamais ses relations avec Patrick; pour ce qui est de ses liens moraux… je ne sais: Dieu seul peut lire en notre âme!

      – Elle a rompu à jamais ses relations!

      – Oui, mylord.

      – Vous croyez?

      – Pour certain!

      – Je suis ravi de cela, comtesse.

      – On obtient plus par la douceur et les prières, que par les menaces et les mauvais traitements.

      – Vous croyez?

      – Pourquoi ces airs goguenards, mylord, je vous parle sérieusement: vous riez.

      – Je souris du contentement que j’éprouve à penser que voici Déborah changée tout à mes vœux, tout à la gloire de ma race.

      – Vous avez été mauvais fils: vous êtes mauvais époux, vous serez mauvais père, mylord.

      VII

      Lord Cockermouth avoit touts les dehors d’un vrai pourceau d’Épicure. Quoique grand, il étoit d’une circonférence inconnue sur le Continent: deux hommes n’auroient pu l’entourer de leurs bras. Sa panse retomboit comme une outre énorme et lui battoit les jambes: il y avoit bien quinze ans qu’il ne s’étoit vu les genoux. Sa tête, tout à fait dans le type anglois, sembloit une caboche de poupard monstrueux. La distance de sa lèvre supérieure à son nez, court et retroussé, étoit hideusement démesurée, et son menton informe se noyoit dans une collerette de graisse. Il avoit le visage violet, la peau aduste et rissolée, les yeux petits et entrebâillés; et suoit le roastbeef, le vin et l’ale par touts les pores. En un mot, cette lourde bulbe humaine se mouvant encore avec assez d’aisance et d’énergie, étoit un de ces polypes charnus, un de ces gigantesques zoophytes fongueux et spongieux, indigènes de la Grande-Bretagne.

      Pour raviver ses revenus, épuisés par une jeunesse crapuleuse, lord Cockermouth, sur le retour de l’âge, quoique Anglois de pur sang, avoit épousé la fille d’un riche Anglo-Irlandois.

      Sir Meadowbanks, son beau-père, s’étoit promptement repenti de lui avoir livré sa fille par vanité d’une alliance honorable; et pour réparer ses torts avoit déposé une généreuse affection sur Déborah. Durant les absences de son gendre, plusieurs fois il étoit venu habiter Cockermouth-Castle, et plusieurs fois il avoit emmené ses enfants dans son manoir de Limerick. Il avoit été long-temps consul des marchands anglois à Livourne, parloit parfaitement l’italien, et s’étoit plu à l’enseigner à Déborah, qui l’avoit à son tour enseigné à son ami Patrick. A sa mort, par testament olographe, sir Meadowbanks lui avoit fait la donation de touts ses domaines et le legs de sa bibliothèque italienne et de sa collection de tableaux, dont quelques-uns, des grands-maîtres, valoient leur pesant d’or. Enfin, sans déférence pour lord Cockermouth, il avoit donné la curatèle de cet héritage à un membre du barreau irlandois, M. Chatsworth, jeune homme d’un caractère probe et d’une fermeté inflexible, dont le nom seul faisoit trembler le vieux commodore.

      Depuis son mariage, lord Cockermouth avoit été nommé gouverneur de plusieurs places dans les Indes, et, plusieurs fois, commandant ou commodore de petites escadres. Ces années d’absence avoient été les seules années de trêve et de consolation de son épouse. Dans touts ses gouvernements, il s’étoit fait abhorrer, lui, son nom et sa mémoire. Non pas qu’il fût injuste, mais parce qu’il avoit, au suprême degré, le caractère national, parce qu’il étoit inhumain. Il n’auroit point frappé l’innocent, mais il éprouvoit une joie sourde et féroce à suivre la loi le plus littéralement possible. Il n’auroit pas poussé au crime; mais, quand on avoit failli, il n’y avoit pas d’échappatoire possible, il poussoit à la mort. Dans touts les cas, il infligeoit le maximum des peines et des supplices. – Sur mer, il s’étoit acquis une réputation non moins effroyable. La seule vue de sa cornette rouge au grand mât, donnoit l’horripilation aux écumeurs. Malheur aux forbans qui se laissoient capturer par lui! – Aussitôt pris, aussitôt pendus. En vérité il étoit rare de voir son brick, en chasse ou en croisière, sans quelques douzaines de squelettes flottants parmi les vergues et les mâtures. Son fidèle Chris, ancien corsaire converti, et rentré dans le sentier de la vertu, étoit, par goût naturel, un de ses plus fervents pendeurs de pirates. Souvent, aussi, pour se donner quelques plaisirs, lord Cockermouth s’étoit fait octroyer des lettres-de-marque, et à ses frais et risques avoit armé en course. – Il posoit en principe philosophique que la race humaine est la race la plus féconde, et par conséquent celle de moindre valeur, et que sa fécondité étant toujours en raison du sang humain versé, il faut regarder à deux fois, non pour abattre un homme, mais un chêne. – Au demeurant, comme tous les êtres cruels envers les autres, il était fort complaisant pour sa personne et d’un égoïsme qui le faisoit remarquer même par ses compatriotes, passés maîtres en égoïsme. Éternellement gorgé de bonne chair, et presque toujours entre deux vins, dans ses moments d’abandon et de fines facéties, quelquefois, avec un rire, véritable onomatopée d’une serrure de prison de mélodrame, il se frappoit sur la panse en disant: Maudit ventre! déjà tu me reviens à plus de cent mille livres sterling.

      Ajoutez à tout cela des prétentions aristocratiques outrées; un orgueil impudent; une morgue insoutenable; et une gravité phlegmatique, qui l’eût fait prendre pour un penseur, à ceux qui estiment profonds les gents taciturnes, et qui, à ce prix, sans doute, eussent faits moins de cas de saint Anthoine que de son compagnon.

      Voilà,


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