Charlotte de Bourbon, princesse d'Orange. Delaborde Jules
vivre, à l'une des filles issues de son mariage avec un prince duquel il sera bientôt parlé, il dit:
«Quand feue, de très bonne et très louable mémoire, la très illustre princesse, vostre mère, se retira totalement de la superstition et idolâtrie papistique, dont Dieu luy avoit donné bien bonne cognoissance, et qu'elle fuyoit la France comme le climat auquel, lors, tous ceux et celles qui vouloient servir purement à Dieu estoient grièvement persécutez, sans aucune distinction de sexe, d'aage, ni de condition, voire mesmes sans espargner les princes et princesses du sang royal, ce qu'elle estoit, non plus que ceux du commun populaire, je sçay, comme tesmoin oculaire, qu'elle prit la route de Sedan, vers feue, de très heureuse mémoire, la très illustre princesse, duchesse de Bouillon, sa sœur; et ce, d'autant qu'audit lieu, la parole de Dieu estoit purement annoncée, et les sacremens de la religion chrétienne administrés selon leur institution: qui estoit le bien à la participation duquel tendoit et aspiroit le principal désir de son âme. Mais lors elle reçut advis et conseil, fondé sur plusieurs notables considérations, de n'y venir point establir son séjour, ains de passer oultre, si elle vouloit vivre en pleine tranquillité. Comme donc il estoit question de l'adresser à quelque bon port, auquel, autant qu'on en pouvoit juger, elle peust avoir ung assez sûr abry, pour n'estre point agitée de tant d'orages et tempestes qu'elle l'eust peult-estre esté en d'autres, elle fut aussi prudemment que heureusement adressée à ce phœnix des princes de son temps, le très illustre et très puissant Electeur, Frédéric troisième, comte palatin du Rhin, comme à celui qui estant le parangon de toute piété et vertu, recevoit volontiers tous ceux que ces mesmes marques rendoient recommandables.»
Avec cet exposé de faits si précis concorde celui qui émane d'un autre écrivain, également digne de foi31.
Il nous suffira de détacher de son livre les lignes suivantes:
«Il est certain que cette princesse (Charlotte de Bourbon) étoit peu disposée à prendre le voile. Néanmoins sa vertu et son bon naturel la firent demeurer dans une déférence entière aux volontés paternelles, et patienter en sa condition jusques à ce que la Providence divine brisât miraculeusement les chaînes qui sembloient brider et asservir sa conscience. Les guerres civiles ayant, quelques années auparavant, rempli la France de confusion, les lieux les plus inviolables furent exposés à la violence des armes, et le monastère de Jouarre courut la mesme fortune. Cette occasion servit pour mettre cette princesse en liberté. De fait, elle ne trouva meilleur asyle, parmi ces désordres, que de se retirer vers une sienne sœur, mariée avec M. R. de Lamarck, duc de Bouillon et seigneur de Sedan. C'est par ce moyen qu'elle fut conduite, en fuite, à la cour palatine, à Heidelberg, et accueillie par Frédéric III, électeur palatin, avec l'honneur dû à une princesse de sa naissance. Ceste cour estant, en ce temps-là, une école de vertu, soubs un prince religieux, cette vertueuse princesse ne crut pas pouvoir trouver une retraite plus innocente.»
Rappeler ici ce que fut Frédéric III, c'est légitimer, par cela même le respect qui s'attache à sa mémoire et démontrer immédiatement combien il était apte à étendre sur Charlotte de Bourbon un patronage efficace.
Peut-être Frédéric III n'a-t-il jamais mieux justifié le surnom de pieux, que par sa noble attitude, d'une part, au foyer domestique, et, de l'autre, dans la série de ses généreux efforts en faveur des protestants français, cruellement persécutés. Ils étaient pour lui des frères en la foi; et il le leur prouva, soit en prenant leur défense contre leur souverain, dans d'énergiques représentations adressées à celui-ci, soit en cherchant à les arracher au supplice, comme il le fit pour Anne du Bourg32, soit en répondant à leurs appels par l'envoi de troupes en France, sous la conduite d'un de ses fils, soit enfin en repoussant, dans une protestation mémorable33, les censures que l'empire germanique fulminait contre lui à raison de l'appui qu'il prêtait à la réforme française, et en défendant, en face de cet empire, les droits imprescriptibles de la conscience chrétienne.
La chaleureuse sympathie de Frédéric III pour ses co-religionnaires de France, et surtout pour Coligny, éclate dans sa correspondance34. Réciproquement, les lettres adressées par Coligny, d'Andelot, Condé, et autres, à Frédéric III, prouvent en quelle haute estime ils tenaient ce prince, dont Hotman, de son côté35, caractérisait le sage gouvernement, en ces termes: «Il y a, ce croy-je, seize ans, prince très illustre, que Dieu a mis une bonne partie de la coste du Rhin sous le pouvoir et sauvegarde de Vostre Excellence, et depuis ce temps-là on ne sauroit croire, ni suffisamment exprimer, en quel repos et tranquillité on a vescu en tous les pays de vostre obéissance, ressemblant proprement à une bonace riante de la mer plate et tranquille où il ne souffle aucun vent, que doux et gracieux: tant toutes choses y ont toujours esté, moyennant vostre sage prévoyance, paisibles, saintement et religieusement ordonnées.»
Des pasteurs français exprimaient à Frédéric III leur gratitude et celle de leurs troupeaux, en lui écrivant36: «Nous osons avoir recours à vous, veu principalement que vous avez jà depuis longues années fait une singulière profession de la religion chrétienne, de laquelle une bonne partie est employée à l'aide de ceux qui sont affligés pour le nom de Dieu et au soulagement des misères et adversitez de tous fidèles. Nous vous remercions, tant qu'il nous est possible, de tant et si singuliers bénéfices que, ces années passées, avons reçus de vostre bénignité et splendeur, ayant si souvent usé de prières et supplications à l'endroit des rois, nos souverains, pour nos frères qui, pour le nom du Christ, souffroient martyres et tourmens37.»
Si, par ce qui précède, on est amené déjà à pressentir la nature de l'accueil que Charlotte de Bourbon devait recevoir, à la cour d'Heydelberg, on peut en outre, se convaincre de tout ce qu'il y eut de simple et de touchant dans cet accueil, en entendant J. Couet ajouter à son récit ces lignes expressives38: «Comme l'électeur Frédéric III étoit d'un vray naturel de prince, il receut aussi ceste princesse et la recommanda à la très illustre électrice, d'affection accompagnée de si graves propos concernans la condition de ceux qui préféroient Jésus-Christ à toutes les grandeurs et commodités desquelles ils pouvoient jouyr en ce monde, dont elle avoit devant ses yeux un bel objet, que ladite très illustre princesse a eu toute occasion de dire, comme souvent elle le disoit entre ceux qui luy estoient familiers, que Dieu, par sa singulière grâce et miséricorde, lui avoit fait rencontrer, en ce sien exil, un second père et une seconde mère, puis un domicile tellement orné de piété et de toute autre vertu, qu'il lui estoit plus agréable que n'avoit jamais esté celui de sa propre naissance.»
Frédéric III s'empressa d'informer le roi de France, la reine mère et le duc de Montpensier de l'arrivée de Charlotte de Bourbon à Heydelberg, et de l'accueil qu'il avait, ainsi que l'électrice, cru devoir lui faire.
Il est digne de remarque que sa lettre au duc portait la date du 15 mars 1572, mois qui était précisément celui dans le cours duquel, onze ans auparavant, avait eu lieu, à Jouarre, l'odieuse scène qualifiée d'entrée en religion. Asservie alors, Charlotte était libre désormais.
«Monsieur mon cousin, écrivait l'électeur au père de la jeune princesse39, ce gentilhomme, présent porteur, vous dira comme il a laissé ma cousine, vostre fille, en ma maison, où je l'ay receue et veue bien volontiers, pour la bonne affection que j'ay congneu qu'elle a, tant à la gloire de Dieu, que à vous rendre tous les devoirs d'obéissance et service; de quoy je vous ay bien voulu advertir, et, par mesme moïen, prier Dieu que le malcontentement que vous pourriez avoir de son absence, n'empêche point que vous ne la recongnoissiez pour ce qu'elle vous est; dont je m'asseure, puisque ceux à qui elle ne touche pas de si près en veulent bien prendre soing. J'ai faict sçavoir au roy et à la royne mère comment et pour quelle occasion elle soit venue pardeçà; et, comme je ne fais nul doubte que leurs royales dignitez estans informées de son faict, ne se sentent bien fort contentes et satisfaites, ainsi je me persuade
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De Thou,
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Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 6.619.
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Frédéric III s'est, en quelque sorte, peint lui-même dans cette vaste correspondance et dans son testament. En publiant l'une et l'autre, le savant et judicieux M. Kluckhohn a élevé un monument durable à la mémoire du prince électeur. Voir 1o
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Dédicace de son célèbre ouvrage, intitulé
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Frédéric III couronna sa carrière par une profession solennelle de sa foi qu'il consigna dans un testament du 23 septembre 1575, contenant d'ailleurs, sur des points divers, une longue suite de dispositions. L'une d'elles, notamment, atteste sa constante sollicitude pour les nombreuses victimes des persécutions religieuses, qui, à leur sortie de France ou d'autres pays, avaient trouvé dans le Palatinat un accueil hospitalier, et pour celles qui à l'avenir, y chercheraient un refuge; il voulait que les unes continuassent à jouir des avantages dont elles étaient pourvues, et que des secours fussent assurés d'avance aux autres. Sa sollicitude se portait aussi, dans l'intérêt des professeurs, des étudiants et étrangers, de toutes conditions, qui ne parlaient pas l'allemand, sur la continuation du service divin qui se célébrait,
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Bibl. nat., mss., f. fr., vol. 3.193, fo 62.