Charlotte de Bourbon, princesse d'Orange. Delaborde Jules
cousine, je croy que vous avez maintenant receu mes lettres, et monsieur le comte, les remercimens que je luy fais de vous avoir receue; ce que mon filz continuera, à sa venue. Quant à vostre affaire, j'ay monstré à la royne, mère du roy, celles-ci que m'a escript monsieur le comte, et sur cela ay adjousté ce que j'ay pensé vous pouvoir servir; mais je n'ay eu telle responce que j'eusse désiré. Vous avez beaucoup de gens qui ont pitié de vous, mais peu qui osent parler, pour l'aigreur en quoy monsieur de Montpensier tient tous ceux de ceste court. Cependant je ne craindray chose qui puisse me fermer la bouche. Je m'employeray de cœur et d'effect en tout ce que je verray de pouvoir faire et que vous congnoistrez que j'en auray le moyen. J'ay eu mes deux enfans extrêmement malades: Dieu les a encores conservez pour sa gloire. Ma cousine, faictes estat de mon amitié, de mes moyens et biens; et sur cela, je prie Dieu, ma cousine, vous donner sa saincte grâce et assistance, en toute et si grande affaire.
A un mois de là, une mort inopinée ravit à l'affection de Charlotte de Bourbon cette parfaite amie, qui s'était montrée pour elle une seconde mère, et à laquelle l'attachaient des liens devenus de jour en jour plus étroits49. Cette séparation déchirante la plongea dans une affliction dont la correspondance de Frédéric III atteste la profondeur50.
Quel surcroît de douleur la jeune princesse n'eut-elle pas à subir, peu de temps après, quand parvinrent à Heydelberg les premières nouvelles des effroyables massacres commis à Paris et dans les provinces de France lors de la Saint-Barthélemy! Elle en fut frappée de stupeur et navrée.
Mais bientôt, se relevant de ses souffrances morales, sous l'impulsion d'un grand devoir à remplir, elle concentra ses pensées sur l'adoption immédiate de moyens propres à soulager ceux de ses compatriotes qui, ayant échappé au fer des égorgeurs, viendraient chercher un refuge dans les États de l'électeur palatin. Plusieurs y vinrent, en effet, et ne tardèrent pas à se ressentir des bienfaits du ministère de charité et de consolation qu'elle remplit auprès d'eux: pieux ministère, dans l'accomplissement duquel, associée aux efforts et aux généreux procédés de l'électeur et de l'électrice adoption, que, dès le premier moment, ils lui avaient accordé.
Aimée par eux, que ne l'était-elle aussi par son père? Que ne pouvait-elle le convaincre non seulement de son respect pour lui, mais, en outre, de l'énergique besoin qu'elle éprouvait de gagner son affection et de lui faire sentir la sincérité de celle, qu'en retour, elle lui porterait? Question douloureuse pour le cœur anxieux de Charlotte de Bourbon, mais en présence de laquelle elle ne désespérait cependant pas de l'avenir; et pourquoi? parce qu'il lui semblait impossible que Dieu ne répondît pas, un jour, à ses prières, en touchant le cœur du duc, en lui inculquant un sentiment de justice envers une fille qui n'avait, en rien, démérité de lui, et en lui inspirant enfin pour elle une affection vraiment paternelle. On verra plus loin combien Charlotte de Bourbon, inébranlable dans sa foi et fidèle aux pressentiments de sa confiance filiale, eut raison de n'avoir jamais désespéré de gagner le cœur de son père.
Cependant, que faisait celui-ci, alors qu'il continuait à la délaisser?
Selon son habitude, il menait de front les assiduités d'un homme de cour et les plates obsessions d'un esprit formaliste et intolérant. Il se complut, notamment, à reprendre, dans les derniers mois de 1572, ses menées de convertisseur, à l'égard de sa fille la duchesse de Bouillon. Il détacha vers elle le jésuite Maldonat et le ministre apostat Sureau du Rosier51; mais tous deux échouèrent dans leur mission: Maldonat en dépensant son argumentation en pure perte, et du Rosier en n'affrontant la présence de la duchesse que pour subir les légitimes reproches qu'elle lui adressa sur son infidélité.
Revenu à résipiscence, l'apostat se rendit à Heydelberg, où Charlotte de Bourbon put lire, dans un écrit qu'il y publia52, cet aveu, précédé de bien d'autres: «Le duc de Montpensier m'avoit envoyé, le mardi 4 novembre 1572, avec Maldonat, jésuite, pour aller à Sedan vers madame de Bouillon, pour la ramener à l'obéissance du pape. J'escrivis lettres à ladite dame, à Sedan, par le commandement de monsieur son père, pour la tirer à cest estat: lui faisant une triste et pauvre recongnoissance de l'humanité receue de sa part, tant par moy que par plusieurs autres, aux troubles de l'an 1568.»
Bourrelé de remords, sous le poids des lâchetés dont il s'était rendu coupable, du Rosier avait eu finalement le courage d'avouer publiquement l'énormité de ses méfaits et d'exprimer un repentir dont il n'était guère permis de révoquer en doute la sincérité. La loyale et compatissante Charlotte de Bourbon y crut pleinement; et, se représentant les angoisses qui torturaient l'âme du malheureux, elle s'empressa au nom de sa sœur, la duchesse, dont elle connaissait les sentiments élevés, de couvrir d'un généreux pardon l'offense commise à Sedan. Ce fut là pour du Rosier, dans sa détresse, un réel bienfait, sous l'impression duquel il se retira à Francfort, où, trois ans plus tard, il termina sa triste existence.
Combien différaient de du Rosier, par leur valeur morale et intellectuelle, certains Français, théologiens, prédicateurs, savants de divers ordres, tels, par exemple, que Pierre Boquin, François Dujon, Jean Taffin, Hugues Doneau, dont Frédéric III aimait à s'entourer et dont il avait vu le nombre s'accroître, à Heydelberg, à dater de 1572! Cédant à l'attrait qu'exerçaient la complète affabilité et la vive intelligence de Charlotte de Bourbon, ces hommes distingués avaient noué, sous les yeux de l'électeur et de l'électrice, de sérieuses et consolantes relations avec leur gracieuse compatriote. On la vit, charmée elle-même de les connaître, s'entretenir avec eux de leurs affections domestiques, de leurs intérêts personnels, de leurs travaux, puis aussi et surtout de la France, de cette patrie commune à laquelle tous demeuraient profondément attachés, dans la crise terrible qu'elle traversait et dont ils suivaient, de cœur et de pensée, les incessantes péripéties.
Pierre Boquin, professant depuis 1557 la théologie à Heydelberg, avait rarement quitté cette ville, et était ainsi demeuré à l'écart des événements qui, dans le cours des quinze dernières années, s'étaient accomplis de l'autre côté du Rhin. Dans ses entretiens avec lui, la jeune princesse se reportait, de préférence, vers le passé; elle se plaisait à l'entendre parler d'une mission dont l'électeur palatin l'avait chargé, en 1561, et à l'occasion de laquelle il avait, à l'issue du colloque de Poissy, vu, à Saint-Germain, une foule de hauts personnages, et, plus particulièrement que tous autres, l'amiral de Coligny et divers membres de sa famille53.
Charlotte de Bourbon portait un vif intérêt aux récits de Boquin.
Pour être d'une nature différente, ceux que lui faisaient d'autres Français ne l'intéressaient pas moins.
Le célèbre jurisconsulte Doneau, récemment appelé par l'électeur à occuper, à Heydelberg, une chaire de droit54 dont il venait d'inaugurer avec éclat la prise de possession, entretenait la princesse des scènes sanglantes dont Bourges et le Berri avaient été le théâtre, lors de la Saint-Barthélemy, et auxquelles il n'avait échappé qu'à grand'peine; de ses dangereuses pérégrinations à travers la France, et du triste sort d'une masse de victimes de la persécution, en proie à la misère, à des perplexités, à des souffrances de tout genre, et cherchant au loin un refuge. Détournant ensuite du tableau de tant d'infortunes les pensées de son interlocutrice, il les reportait sur des sujets religieux, historiques ou littéraires, qu'il savait être de nature à captiver son attention. Il n'y avait qu'à gagner dans les familières communications d'un tel homme, doué de vastes connaissances, que son esprit judicieux et lucide mettait avec aisance à la portée d'autrui.
L'énergique et docte François Dujon, connu dans le monde littéraire sous le nom de Junius, parlait à Charlotte de Bourbon de l'actif et périlleux ministère qu'il avait, comme pasteur, exercé jusqu'en 1566, dans les Pays-Bas, et de la confiance dont Frédéric III
49
Jeanne d'Albret succomba, à Paris, le 9 juin 1572. – Voir sur ses derniers moments et sur sa mort, notre publication intitulée:
50
Lettre de l'électeur Frédéric III, à J. Junius, de juin 1572 (ap. Kluckhohn,
51
Benoit,
52
53
Relation, ap. Kluckhohn,
54
Doneau fut appelé, le 19 décembre 1572, à Heydelberg, pour y enseigner le droit romain.