Charlotte de Bourbon, princesse d'Orange. Delaborde Jules

Charlotte de Bourbon, princesse d'Orange - Delaborde Jules


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un an, de 1572 à 1573, les protestants français, qu'on croyait d'abord perdus sans retour, avaient relevé la tête; La Rochelle, Nîmes, Montauban, Sancerre et d'autres villes encore avaient tenu en échec les troupes royales; la cour s'était résignée à certaines concessions inscrites dans le traité dit de La Rochelle, concessions envisagées bientôt comme insuffisantes par les assemblées de Milhau, de Montauban et de Nîmes, qui, en les répudiant, avaient élevé, dans une série d'articles que leurs députés présentèrent au roi, des revendications dont l'étendue et la hardiesse effrayèrent Catherine de Médicis elle-même.

      Cette étendue et cette hardiesse étaient parfaitement justifiées par la gravité des circonstances.

      Il avait fallu composer avec des adversaires comptant désormais non seulement sur leurs propres forces, mais en outre sur l'appui que leur prêtait le parti des politiques, ayant à sa tête les Montmorency et Cossé. La question d'une pacification avait été vainement agitée: la mauvaise foi et l'insatiable ambition de la reine mère avaient mis obstacle à sa solution, et provoqué, de la part des mécontents, un mouvement dont ils espéraient que le duc d'Alençon, le roi de Navarre et Condé prendraient la direction. Les deux premiers de ces princes ayant échoué, en mars 1574, dans une tentative d'évasion, étaient retenus à la cour, en une sorte de captivité, tandis que les maréchaux de Montmorency et de Cossé demeuraient incarcérés à la Bastille. La formation en Normandie, en Poitou, en Dauphiné et en Languedoc de divers corps d'armée destinés à agir contre les protestants et leurs alliés venait d'être ordonnée, et un nouveau conflit allait s'engager.

      Ce fut alors que Condé ayant, en avril, par une fuite que tout légitimait, recouvré sa liberté d'action, rompit avec la cour et se posa résolument, vis-à-vis d'elle, en défenseur des opprimés.

      De la Picardie, où il était en tournée, comme gouverneur titulaire de cette province, il réussit à gagner le territoire du duché de Bouillon, fut rencontré, entre Sedan et Mouzon par Duplessis-Mornay, qui l'accompagna jusqu'à deux lieues au delà de Juvigny71, et finalement il arriva à Strasbourg, avec l'un des Montmorency, Thoré.

      A son arrivée dans cette ville, il fit publiquement, en l'église des Français72, profession de son retour à la religion réformée, jura d'en soutenir, à l'exemple de son père, les sectateurs contres leurs adversaires, et il informa les églises tant du Languedoc, que d'autres provinces, de l'engagement solennel qu'il venait de contracter.

      Préoccupé du soin de réunir les ressources nécessaires à la levée des troupes destinées à composer une armée qui pût, un jour, marcher au secours des réformés français, il rechercha, sous ce rapport, des appuis en Suisse, en Allemagne, et spécialement le concours de l'électeur palatin, auprès duquel il se rendit en mai73 et en juillet.

      L'accueil qu'à Heydelberg Charlotte de Bourbon fit à son cousin fut naturellement des plus expansifs. On se représente aisément la joie qu'elle éprouva à nouer avec Henri de Bourbon des entretiens dont la franche intimité atténua momentanément, pour elle comme pour lui, les rigueurs de l'expatriation.

      Condé dut bientôt quitter le Palatinat, revenir à Strasbourg et de là aller se fixer, pour plusieurs mois, à Bâle, résidence qui, mieux que toute autre, pouvait faciliter ces communications simultanées avec la France, la Suisse, l'Alsace et l'Allemagne.

      Du fond de sa retraite d'Heydelberg, Charlotte de Bourbon s'associait, de cœur, à l'existence que menaient, au loin, sa sœur aînée et son beau-frère, aux relations qu'ils soutenaient avec autrui, au bien qu'ils faisaient, à leurs joies, à leurs épreuves, à la sollicitude dont ils entouraient leurs enfants. Les circonstances ne lui ayant pas permis de se fixer à Sedan, comme elle en avait eu le vif désir, en quittant Jouarre, elle cherchait du moins à se rapprocher d'eux, en pensée, à titre de sœur aimante et dévouée.

      Elle savait que, surtout depuis 1572, se manifestait, au point de vue de la large hospitalité accordée aux réfugiés français, une véritable similitude entre Heydelberg et Sedan, et que dans cette dernière ville se trouvait une jeune femme française d'une haute distinction, Mme veuve de Feuquères74, qui, ayant échappé au massacre de la Saint-Barthélemy, était, ainsi qu'elle se plaisait à le dire75, «receue avec beaucoup d'honneur et d'amytié par M. le duc et Mme la duchesse de Bouillon.» La princesse savait, de plus, qu'à Sedan se trouvait également un jeune Français singulièrement recommandable par la noblesse de ses sentimens et par la rare maturité de son caractère, Philippe de Mornay, seigneur du Plessis, Marly, etc., etc., investi de la confiance du duc et de la duchesse, dont il avait conquis l'affection76; qu'il soutenait d'excellents rapports, avec nombre de personnes notables de la ville et du dehors; «qu'il étoit aussi visité journellement de plusieurs ministres et autres gens de lettres; et qu'il ne se passoit affaires, tant pour les troubles de France et la cause de la religion, que pour l'estat particulier de M. de Bouillon, qui ne luy feust communiqué77

      Charlotte de Bourbon, connaissant les liens étroits qui attachaient à sa sœur et à son beau-frère Mme de Feuquères et Philippe de Mornay, se félicitait de leur présence à Sedan, et se reposait sur eux du soin de continuer à assister de leur affection et de leur dévouement ces deux membres de sa famille qui lui étaient particulièrement chers.

      Vers la fin de l'année 1574, elle eut la douleur de voir brisé pour toujours le bonheur domestique de sa sœur, par la mort du duc de Bouillon78.

      Un fait qui précéda de bien peu les derniers moments de ce prince, demeurera dans l'histoire comme un titre d'honneur indissolublement attaché à sa mémoire, ainsi qu'à celle de sa fidèle et courageuse compagne. Voici ce fait, tel que Mme de Feuquères le consigna dans ses Mémoires79, alors qu'elle était devenue Mme de Mornay:

      «Tout cest hyver M. de Bouillon ne feit que languir et traisner; et estoit tout commun qu'il ne pouvoit reschapper, et qu'il avoit esté empoisonné au siège de La Rochelle. Cependant Mme de Bouillon, sa mère, l'estoit venu voir, et craignoit-on fort que, survenant la mort de M. de Bouillon, son filz, elle se saisist du chasteau de Sedan, attendu mesmes que plusieurs avoient mauvaise opinion du sieur des Avelles, qui en estoit gouverneur. L'église de Sedan estoit belle par le nombre des réfugiés. M. Duplessis (Ph. de Mornay), qui en prévoyoit avec beaucoup de gens la dissipation, après avoir tenté plusieurs et divers moyens, s'avisa d'en communiquer avec le sieur de Verdavayne, mon hoste, médecin de mondit seigneur de Bouillon, homme fort religieux et zélé. Ilz prinrent résolutions que le sieur de Verdavayne déclareroit à Mme de Bouillon, sa femme, qui estoit lors en couche, l'extrême maladie de M. de Bouillon, son mary, et le danger qu'il y avoit, en cas qu'il pleust à Dieu de l'appeler, que madame sa belle-mère, qui estoit fort contraire à la religion80, par le moyen du sieur des Avelles, ne se saisist de la place, pour en faire selon la volonté du roy81. – Elle, après l'avoir ouy, toute affligée qu'elle estoit, se délibéra d'en escrire à M. de Bouillon qui estoit en une autre chambre, lequel, après avoir veu sa lettre, la voulant voir pour en communiquer avec elle, elle se feit doncq porter en sa chambre, et après résolution prise entr'eux, fut reportée en son lict. – Le lendemain M. de Bouillon envoyé quérir ses plus confidens, particulièrement fait prier M. Duplessis de s'y trouver, et avec eux esclarcit les moyens d'effectuer sadicte résolution; puis appelle tous ceux de son conseil et les principaux de sa maison, et leur déclare que, pour certaines causes, M. des Avelles ne pouvoit plus exercer sa charge, et pour ce, sur-l'heure mesme, luy ayant demandé les clefz, les mit ès mains de MM. Duplessis, de La Laube, d'Espan, d'Arson, et de La Marcillière, conseiller au grand conseil, pour, appelés les officiers et gardes du chasteau, leur déclarer l'intention dudict seigneur duc de Bouillon, et les remettre ès mains dudict sieur de la Lande, lieutenant


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<p>71</p>

Mém. de Mme Duplessis-Mornay, édit. de 1824, t. Ier, p. 80. —Histoire de la vie de messire Philippe de Mornay, Leyde, 1647, in-4o, p. 28.

<p>72</p>

«Condœus prœsens nuper publice processus est, in ecclesia gallica quæ est Argentorati, se gravissime Deum in eo offendisse, quod post illam parisiensem stragem, metu mortis, ad sacra pontificia accesserit, et petiit à Deo et ab ecclesia ut id sibi ignosceretur.» (Huberti Langueti Epist., lib. Ier, p. 19, 24 junii 1574.)

<p>73</p>

Lettre de Guillaume Ier, prince d'Orange, au comte Jean de Nassau, du 7 mai 1574. (Groen van Prinsterer, Correspondance de la maison d'Orange-Nassau, 1re série, t. IV, p. 385.) – Cette lettre, dans laquelle Guillaume parle de l'arrivée de Condé à Heydelberg, contient ce passage remarquable: «Il nous faut avoir cette assurance que Dieu n'abandonnera jamais les siens; dont nous voyons maintenant si mémorable exemple, en la France, où, après si cruel massacre de tant de seigneurs, gentilshommes et autres personnes de toutes qualitez, sexe et aage, et que chacun se proposoit la fin et une entière extirpation de tous ceux de la religion, et de la religion mesme, nous voyons ce néantmoins qu'ils ont de rechef la teste eslevée plus que jamais.»]

<p>74</p>

Charlotte Arbaleste de La Borde, veuve de Jean de Pas, seigneur de Feuquères. Elle était en 1572, âgée de vingt-deux ans.

<p>75</p>

Mém. de Mme de Mornay, édit. de 1824, t. Ier, p. 71.

<p>76</p>

Philippe de Mornay, en 1572, était âgé de vingt-trois ans.

<p>77</p>

Mém. de Mme de Mornay, édit. de 1824, t. Ier, p. 82.

<p>78</p>

Henri-Robert, duc de Bouillon, mourut le 2 décembre 1574. Il eut pour successeur Guillaume-Robert, son fils aîné, âgé de douze ans.

<p>79</p>

Mém. de Mme de Mornay, édit. de 1824, t. Ier, p. 84, 85. – Voir aussi l'Histoire de la vie de messire Philippe de Mornay, Leyde, in-4o.

<p>80</p>

Elle était fille de Diane de Poitiers, et avait hérité de la haine de celle-ci contre les protestants, ainsi que de l'âpre cupidité qui la poussait à s'enrichir de leurs dépouilles.

<p>81</p>

On voit par là que Mme de Bouillon mère était de la même école que le duc de Montpensier, et qu'elle n'avait pas plus de ménagements pour son fils, que Louis de Bourbon II n'en avait pour sa fille aînée; car, si la duchesse de Bouillon était exposée aux obsessions tenaces de son père, en matière religieuse, le duc de Bouillon, de son côté, avait à redouter et à déjouer les coupables manœuvres de sa mère, hostile à la religion réformée qu'il professait, et, par voie de conséquence, aux droits dont il était investi, dans l'étendue de son duché.