Charlotte de Bourbon, princesse d'Orange. Delaborde Jules
plonger dans un abîme de désordres auxquels il s'était vainement efforcé de l'arracher.
La culpabilité de l'épouse infidèle ressortait à la fois de témoignages accablants et de ses aveux personnels, ainsi que de ceux de son complice; témoignages et aveux que le magistrat compétent avait recueillis95, et à la vue desquels les représentants les plus considérables de l'autorité ecclésiastique, appelés à se prononcer, avaient déclaré que le prince, dont le mariage avec Anne de Saxe était désormais dissous, se trouvait légalement libre d'en contracter un autre96.
Telle était, à la fin de l'année 1574, la situation de Guillaume, au double point de vue de sa carrière publique et des douloureuses perturbations de son foyer domestique, lorsque le besoin de se créer un nouvel intérieur le porta à demander la main de Charlotte de Bourbon.
La grandeur de ses devoirs d'homme d'État ne lui permettant pas de se rendre à Heydelberg, il y envoya son fidèle ami Marnix de Sainte-Aldegonde, en le chargeant de remettre à la princesse une lettre dans laquelle il lui exprimait le plus cher de ses vœux et l'invitait à croire Sainte-Aldegonde, comme un autre lui-même, dans les franches communications qu'il lui adresserait, afin qu'elle pût apprécier sous toutes ses faces la portée d'une démarche qui impliquait la plus solennelle des questions, celle des bases de la félicité conjugale.
On ne connaît pas la teneur de la lettre dont Sainte-Aldegonde était porteur; mais il est facile de la deviner, en consultant le texte d'un mémoire que Guillaume remit au comte de Hohenloo97, lorsque, à quelque temps de là, il lui confia une mission confirmative de celle dont Sainte-Aldegonde s'était acquitté à Heydelberg.
Sincère dans sa recherche, le prince la caractérisait en homme de cœur, aux yeux de la jeune princesse, comme un hommage rendu par lui à l'élévation de ses sentiments, à ses vertus, à l'attrait de ses rares qualités, à l'irrésistible ascendant de son généreux caractère. Il plaçait dès lors en elle une confiance sans réserve.
Quant à lui, sous quel aspect, dans sa virile loyauté, se révélait-il à Charlotte de Bourbon? Il ne pouvait lui offrir ni fortune, puisque la majeure partie de ses biens demeurait affectée, soit à la conservation des droits de ses enfants, soit au service des Provinces-Unies; ni la perspective d'une existence paisible, car elle aurait à affronter les agitations, les labeurs et les périls de la sienne; mais il lui assurait du moins l'inébranlable dévouement d'une âme qui voulait se consacrer à elle, et la stabilité d'une gratitude qu'inspirerait à ses enfants, comme à lui, la tendresse maternelle dont elle les entourerait, en les adoptant. De plus, sympathique appréciateur de sa fidélité aux doctrines évangéliques, il présageait le bien sérieux qu'elle saurait accomplir, en contribuant, par la douce influence de ses conseils et de ses procédés, à resserrer les liens qui unissaient les réformés français à ceux des Provinces-Unies, et la France elle-même à ces provinces.
On ne sait rien des entretiens de Charlotte de Bourbon avec Marnix de Sainte-Aldegonde; mais on connaît du moins la lettre qu'à la suite de ces entretiens elle fit parvenir à Guillaume de Nassau. La voici dans sa gracieuse simplicité98:
«A monsieur le prince d'Orange.
»Monsieur, j'ay reçeu la lettre qu'il vous a pleu m'escrire et entendu de ce gentilhomme, présent porteur, l'affaire dont luy avés donné charge de me parler, quy est telle que je n'y puis faire réponce que par le conseil et commandement de monsieur l'Électeur et de madame l'Électrice, auxquels j'ay tout remis; car, me tenant lieu de père et de mère, et recevant de leurs Excellences les mesmes offices et bons traitemens, il est bien raisonnable que je leur rende le debvoir de fille, comme j'y suis obligée. Pour ce qui dépent de ma voullonté, monsieur, il ne sera jamais que je n'estime et honore beaucoup la vostre, avec desir de vous faire service, en ce que Dieu m'en donnera le moïen, lequel je vais supplier vous donner, monsieur, après vous avoir présenté mes bien humbles recommandations à vostre bonne grâce, en santé et prospérité, très heureuse et longue vie.
La délicate réserve dont ces lignes étaient empreintes n'excluait pas, aux yeux de Guillaume, la perspective d'un consentement qui, s'il était obtenu, assurerait son bonheur. Convaincu que la détermination à laquelle Charlotte de Bourbon s'arrêterait ne devait être que le résultat de mûres réflexions, il tint à la laisser s'y livrer à loisir, en demeurant, vis-à-vis d'elle, dans une silencieuse expectative, et à lui prouver, par cela même, combien il respectait la plénitude de sa liberté.
Les sentiments de la jeune princesse étaient à la hauteur de ceux de Guillaume99. Elle se sonda devant Dieu, n'aspirant qu'à connaître et qu'à suivre sa volonté. Vint le jour où, obtenant, dans le recueillement de la foi, une réponse à ses instantes prières, elle se sentit paternellement amenée par une direction suprême sur le seuil de la voie qu'elle devait suivre, et qu'aplanissait d'ailleurs, devant elle, l'affectueuse approbation de sa sœur aînée, de ses cousins, le roi de Navarre et le prince de Condé, de l'électeur palatin et de l'électrice. Alors elle accepta avec une confiante sérénité d'âme le rôle sacré de compagne d'un homme de foi et d'abnégation, et la mission touchante de maternelle protectrice de ses enfants. Préoccupations, labeurs, fatigues, périls, elle était prête à tout supporter, à ses côtés; car son cœur la portait à devenir pour lui ce qu'elle fut en effet, «une aide fidèle, lui faisant du bien, tous les jours de sa vie100.»
L'acceptation si vivement désirée par le prince intervint, à la fin du mois de mars 1575, dans des circonstances que Zuliger, l'un des principaux conseillers de l'électeur palatin, fit connaître à Guillaume, en lui expédiant, le dernier jour de ce même mois, la lettre suivante101:
«Monseigneur et très illustre prince, le seigneur Mine est revenu de France, portant la mesme résolution du roy de France et de la royne mère, comme Vostre Excellence l'a cognue par l'extrait des lettres dudit de Mine, lequel ay envoyé dernièrement à Vostre Excellence, à sçavoir que le roy ne se veut engager en cest affaire, comme estant contre sa religion; toutesfois que Mademoiselle seroit heureuse de rencontrer une si bonne partie; semblablement a fait la royne mère: et qu'en somme, ils ne trouveront point mauvais ce que Madamoiselle feroit par le conseil du conte palatin, et qu'elle verroit estre son bien, moyennant qu'il ne soit contre le service du roy; toutesfois que cela méritoit bien estre communiqué au duc de Montpensier, son père. Ce nonobstant, il a esté résolu, en présence du conte palatin, du chancelier Ehem et de moy, par Madamoiselle, qu'il ne fust besoing d'attendre le consentement du duc de Montpensier, à cause qu'il ne faut espérer de luy autre responce que du roy, estant de mesme religion, et qu'elle, aïant atteint son parfait âge, ne demande sinon d'obéir au conte palatin en tout ce qu'il luy plairoit de luy conseiller, lequel en cest affaire elle trouve pour père; et qu'ayant le conte palatin trouvé bon et déclaré qu'il ne luy sçauroit desconseiller un parti si honneste et estant de sa religion, Madamoiselle a simplement déclaré en cest affaire d'obéir au conte palatin, et vouloir donner son consentement; ce que le conte palatin m'a commandé de escrire à Vostre Excellence.
»Car, quant aux autres points, à sçavoir la déclaration de Vostre Excellence, qu'elle veut faire aux parens de l'autre partie, le conte palatin et Madamoiselle la remettent à la suffisance de Vostre Excellence, laquelle fera tout ce qu'elle trouvera convenable, tant pour appaiser lesdits parens, que pour garder l'honneur de Vostre Excellence et de Madamoiselle.
»Quant au douaire, le conte palatin et Madamoiselle ont entendu ce que Vostre Excellence a résolu touchant la maison de Middelbourg; mais comme Madamoiselle ne demande autre chose, sinon d'attendre et porter avec Vostre Excellence tout ce qu'il plaira à Dieu d'envoyer à Vostre Excellence et Madamoiselle, estant conjoints, ainsy Madamoiselle, comme aussy le conte palatin, ne font aucun doute que Vostre Excellence aura considération
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Voir, sur les divers points ci-dessus indiqués, les documents recueillis par M. Groen van Prinsterer dans la
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Autographe (archives de M. le duc de La Trémoille).
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Certains historiens des Pays-Bas qualifiaient la princesse de «vray miroir de toute vertu, et de princesse vrayment douée d'une piété singulière.» (Voir Lepetit,
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Groen van Prinsterer,