Charlotte de Bourbon, princesse d'Orange. Delaborde Jules

Charlotte de Bourbon, princesse d'Orange - Delaborde Jules


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un fils, Maurice, et deux filles, Anne et Émilie.

      La marche des événemens ayant, d'année en année, aggravé la situation générale des Pays-Bas, Guillaume de Nassau provoqua, avec d'autres seigneurs, le renvoi du cardinal Granvelle, comme troublant ces pays par sa désastreuse administration.

      On vit alors le prince se consumer en de longs efforts dans une lutte engagée contre la politique persécutrice de Philippe II, et s'attacher à apaiser la fermentation des esprits justement indignés.

      Quand, pour opprimer les populations et les livrer en proie aux horreurs de l'inquisition, le duc d'Albe se dirigea vers les Pays-Bas, à la tête d'une armée, Guillaume écrivit à Philippe qu'il se démettait de toutes ses charges et se retirait dans le comté de Nassau.

      Sommé de comparaître devant le conseil des troubles, surnommé le conseil de sang, il répondit par un refus formel de se soumettre à cette juridiction monstrueuse, qui aussitôt fulmina contre lui une condamnation, et il proclama hautement que les Espagnols voulaient, à force d'excès, pousser les Pays-Bas à la révolte, afin de les décimer par une répression sanguinaire.

      En concours avec le conseil de sang agissait le saint-office qui, aux termes d'une sentence du 16 février 1568, confirmée par décision royale du 26 du même mois, condamna à mort tous les habitans des Pays-Bas, à titre d'hérétiques89. La cruauté se confondait ainsi, chez les persécuteurs, avec le délire.

      Le jeune comte de Buren, fils aîné de Guillaume, fut arraché à l'université de Louvain et entraîné en Espagne.

      Atteint ainsi comme père, proscrit, dépouillé de ses biens par voie de confiscation, mis hors la loi, mais fort de sa conscience, de son patriotisme et de sa sympathie pour la cause de la réforme, dont il faisait désormais sa propre cause, Guillaume s'érigea résolument, contre la tyrannie, en défenseur des droits de la nation et des sectateurs de la religion réformée, à laquelle il déclarait expressément adhérer.

      Ce fut là plus qu'un pas décisif dans sa carrière: ce fut un acte d'une immense portée; car la foi chrétienne, en s'emparant alors de son âme, lui imprima une direction suprême et le doua d'une indomptable énergie dans l'accomplissement des devoirs ardus qui s'imposaient à lui.

      Bientôt il leva, à ses frais, une armée en Allemagne, et la fit entrer en Frise sous le commandement de son frère, Louis de Nassau, qui, quels que fussent ses valeureux efforts, essuya une défaite.

      Sans se laisser décourager par cet insuccès, Guillaume leva, toujours à ses frais, une autre armée, à la tête de laquelle il entra dans le Brabant, mais sans réussir à attirer le duc d'Albe au combat.

      Suivi par douze cents hommes qu'il s'était réservés, et accompagné de ses frères Louis et Henri, il se joignit au duc de Deux-Ponts, qui s'avançait en France, au secours des réformés, y prit part à divers combats, et ne se retira momentanément dans le comté de Nassau que pour y préparer, en faveur des Pays-Bas, une nouvelle levée de troupes.

      Le conseil que l'amiral de Coligny donna alors à Guillaume d'organiser un armement maritime fut éminemment utile à ce courageux chef; car, avec l'appui des gueux de mer, plus heureux dans leurs entreprises que ne l'avaient été jusque-là les gueux de terre, il s'assura la possession de la Hollande et de la Zélande, dont les états le reconnurent pour leur gouverneur.

      De leur côté, les villes de la Gueldre, d'Overyssel, de la province d'Utrecht, et les plus importantes d'entre celles de la Frise, ne tardèrent pas à se ranger sous l'autorité du prince.

      La prolongation de la lutte contre d'implacables ennemis nécessitait, de la part de Guillaume, un redoublement d'énergie.

      Vainqueurs en Hainaut, les Espagnols se reportèrent sur les provinces que gouvernait le prince, et se ruèrent successivement sur trois villes, Harlem, Alckmaar et Leyde, à la défense desquelles il dut pourvoir.

      Harlem, après une résistance héroïque, tomba au pouvoir des assiégeants. Loin de plier sous le poids de ce douloureux événement, Guillaume écrivit à son frère Louis90: «J'avois espéré vous envoyer de meilleures nouvelles; cependant, puisqu'il en a plû autrement au bon Dieu, il faut nous conformer à sa divine volonté. Je prends ce même Dieu à témoin que j'ai fait, suivant mes moyens, tout ce qui étoit possible pour secourir la ville.»

      Alkmaar étant, à quelque temps de là, investie, que n'avait pas à redouter Guillaume, en s'efforçant d'en soustraire les habitants aux horreurs d'un siège! Les anxiétés de son lieutenant Dietrich Sonoy, à cet égard, étaient grandes; le prince les dissipa par ces simples paroles91: «Puisque malgré nos efforts, il a plû à Dieu de disposer de Harlem selon sa divine volonté, renierons-nous pour cela sa sainte parole? Le bras puissant de l'Éternel est-il raccourci? Son église est-elle détruite? Vous me demandez si j'ai conclu quelque traité avec des rois et de grands potentats: je vous réponds qu'avant de prendre en main la cause des chrétiens opprimés dans les provinces j'étois entré dans une étroite alliance avec le roi des rois, et je suis convaincu qu'il sauvera par son bras tout-puissant ceux qui mettront en lui leur confiance. Le Dieu des armées suscitera des armées afin que nous puissions lutter contre ses ennemis et les nôtres.»

      Quelle foi que celle du héros chrétien et de tant d'êtres opprimés qui, comme lui, s'attendaient à l'Éternel! Aussi, des prodiges d'abnégation et de courage furent-ils, de même qu'à Harlem accomplis à Alkmaar. Redoutant un désastre final, les Espagnols se virent contraints de lever le siège de cette seconde place.

      Bientôt ils entreprirent celui de Leyde.

      Guillaume comptait, pour être secondé dans ses combinaisons relatives à la défense de cette ville, sur un corps d'armée que son frère Louis lui amenait d'Allemagne; mais ce corps fut défait à Mookerheyde, dans un combat où Louis et Henri de Nassau perdirent la vie. Déjà un autre frère de Guillaume, le comte Adolphe de Nassau, avait trouvé la mort, en 1558, à la bataille de Heyligerlée.

      Frappé au cœur par la mort de ses trois frères, dont l'un surtout, Louis, avait été pour lui constamment un appui précieux, le prince ne se laissa pourtant pas abattre92 et consacra au secours de Leyde tout ce qui lui restait de force et d'activité.

      Une nouvelle épreuve lui était réservée. Écrasé par le fardeau de préoccupations incessantes, il fut saisi d'une violente fièvre qui mit ses jours en danger; toutefois, quelque menaçantes que devinssent, de moment en moment, les étreintes du mal93, il n'en concentrait pas moins toutes ses pensées sur la délivrance de Leyde, et, malgré l'extrême faiblesse à laquelle il était réduit, continuait à donner toutes les instructions, tous les encouragements qu'il jugeait être nécessaires. Lorsque enfin il eut commencé à se relever de son état de faiblesse, il se porta partout où sa présence et ses directions pouvaient venir en aide aux assiégés. Sous son inspiration, les habitants de Leyde supportèrent avec un admirable courage le poids d'horribles souffrances, auxquelles, sans lui, ils eussent succombé; et sous son inspiration aussi, le valeureux amiral Boisot accomplit, à la tête de ses marins, l'un de ces prodiges de dévouement, de bravoure et d'habileté qui commandent à jamais l'admiration et la reconnaissance. Refoulés loin de Leyde, les Espagnols laissèrent libre l'accès de cette noble cité à Guillaume, qui y fut acclamé comme il méritait de l'être.

      Peu de jours avant celui où il lui fut possible d'entrer à Leyde en libérateur, Guillaume avait écrit au comte Jean de Nassau, son frère94: «Je me remetz du tout à Dieu, bien asseuré qu'il ordonnera de moy comme pour mon plus grand bien et salut il sçait estre utile, et ne me surchargera de plus d'afflictions que la débilité et fragilité de cette nature en pourra porter.»

      Guillaume se trouvait alors atteint dans sa vie privée par de poignantes afflictions.

      En effet, non seulement il souffrait de la captivité de son fils aîné, en Espagne, et de la


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<p>89</p>

J. – F. Lepetit, la Grande chronique de Hollande, Zélande, etc., in-fo, t. II, p. 174, 175, 176.

<p>90</p>

Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. IV, p. 175. Lettre du 22 juillet 1573.

<p>91</p>

P. Bor, Historie der Nederlandtsche Oorlogen, Seste Boek, p. 447, 448, 9 Augusti 1573.

<p>92</p>

Il écrivait au comte Jean de Nassau, à propos de la mort de Louis et de Henri: «Je vous confesse qu'il ne m'eust sçeu venir chose à plus grand regret; si est-ce que tousjours il nous faut conformer à la volonté de Dieu et avoir esgard à sa divine providence, que celui qui a respandu le sang de son fils unique, pour maintenir son église, ne fera rien que ce qui redondera à l'avancement de sa gloire et maintenement de son église, oires qu'il semble au monde chose impossible. Et combien que nous tous viendrions à mourir, et que tout ce pauvre peuple fust massacré et chassé, il nous faut toutefois avoir cette asseurance, que Dieu n'abandonnera jamais les siens, dont voyons maintenant si mémorable exemple en la France, où après si cruel massacre de tant de seigneurs, gentilshommes et autres personnes de toutes qualitez, sexe et âge, et que chacun se proposoit la fin et une entière extirpation de tous ceux de la religion, et de la religion mesme, nous voyons ce néantmoins, qu'ils ont derechef la teste eslevée plus que jamais, se trouvant le roy en plus de peines et fascheries que oncques auparavant, espérant que le seigneur Dieu, le bras duquel ne se raccourcit point, usera de sa puissance et miséricorde envers nous.» (Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. IV, p. 386, 387.)

<p>93</p>

Voir Appendice, no 3.

<p>94</p>

Lettre du 7 septembre 1574 (Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. V, p. 53).