Charlotte de Bourbon, princesse d'Orange. Delaborde Jules

Charlotte de Bourbon, princesse d'Orange - Delaborde Jules


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car, quant à Messieurs, frères de Vostre Excellence, elle ne voudroit ni Vostre Excellence ni eux discommoder. Car elle ne s'arreste nullement sur ce point, ains le remet aussi bien que les autres à la discrétion et prudhommie de Vostre Excellence, laquelle elle s'asseure bien d'avoir puissance d'y pourvoir autrement. Il ne reste donc sinon la déclaration de Vostre Excellence là dessus, et qu'icelle ordonne du reste qu'il luy plaise que par la permission du conte palatin Madamoiselle face. Car il nous semble estre chose superflue que Vostre Excellence renvoye pour cest affaire au roy; ains suffit de la response susdite; veu aussi que le conte palatin attend de jour en autre la response du frère du roy et du roy de Navarre, ausquels le conte palatin a escrit de vouloir consentir à ce mariage, et adoucir le duc de Montpensier, son père, qu'il le trouve bon.»

      La solution affirmative de la grande question du consentement fut aisément suivie de celle des questions secondaires qui s'y rattachaient, et Charlotte de Bourbon vit, non sans émotion, approcher le moment où elle devrait se séparer de l'électeur et de l'électrice. Sa gratitude envers eux était profonde, et toujours elle sut en prouver la sincérité.

      Heureusement fixé sur la réalisation de ses vœux par la lettre de Zuliger, Guillaume, à qui la gravité des événements s'accomplissant alors au sein de sa patrie ne permettait pas de s'absenter du territoire de celle-ci, pour se rendre à Heydelberg, voulut du moins, qu'en quittant cette résidence, sa noble fiancée, sur le voyage de laquelle se concentrait sa sollicitude, ne s'acheminât vers les Provinces-Unies, que sous la protection d'un personnage dévoué et vigilant. Il avisa, en outre, à ce que son beau-frère le comte de Hohenloo joignit son appui personnel à celui que la princesse devait recevoir de Marnix de Sainte-Aldegonde102.

      Mû par son infatigable dévouement aux intérêts de Guillaume et à ceux de Charlotte de Bourbon, Sainte-Aldegonde vint immédiatement dans le Palatinat se mettre à la disposition de la princesse, et, d'accord avec elle, il prit, sous les yeux de l'électeur et de l'électrice, toutes les mesures nécessaires à l'organisation de son départ, avant que le comte de Hohenloo, dont il ignorait d'ailleurs la mission, fût arrivé à Heydelberg.

      Au moment où il allait quitter cette ville avec la princesse, Sainte-Aldegonde adressa, le 2 mai, au comte Jean de Nassau une lettre étendue103 qui témoignait de son zèle à seconder les intentions du prince dans l'observation des égards et des ménagements auxquels sa noble fiancée avait droit.

      Tandis qu'accompagnée du loyal ami du prince, Charlotte de Bourbon entreprenait un long et fatigant voyage, Guillaume, promptement informé de son départ, en donna avis au comte Jean, en ces termes104:

      «Monsieur mon frère, la présente servira seulement pour vous advertir que, suivant la charge que j'avois donnée à M. de Sainte-Aldegonde, de contracter le mariage entre Madamoiselle de Bourbon et moy, je luy avois de mesme commandé que, tout aussitost qu'il auroit le consentement de ladite damoiselle, qu'il se mettrait avecq elle en chemin, pour la mener pardeçà. Or, depuis, craignant que le retour de M. Sainte-Aldegonde ne seroit encoires sitost, j'avois prié M. le comte Wolfgang de Hohenloo, partant d'icy vers l'Allemaigne, de vouloir passer à Heydelberg pour porter mon consent à Madamoiselle de Bourbon. Sur ces entrefaites ledit sieur de Sainte-Aldegonde est retourné à Heydelberg, où il trouvoit le consentement du comte palatin et de Madamoiselle de Bourbon. Suivant donc la première charge, il s'est mis en chemyn avec elle, pour la conduire pardeça, ignorant entièrement la requeste que j'avois faicte à mondict beau-frère le comte de Hohenloo; ce que je vous ay bien voulu faire entendre, à cause que je suis adverty que vous avez mandé à M. de Sainte-Aldegonde, qu'il retourneroit avecq Madamoiselle de Bourbon à Heydelberg; que ce néantmoins, sur le premier commandement qu'il avoit, il est passé oultre, dont je suis certes bien aise pour plusieurs raisons, et advoue entièrement ce qu'il en a faict; dont vous ay bien voulu advertir, afin que ne luy sachiez mauvais gré et que vous n'estimiez ne pensiez qu'il ait surpassé sa charge et commission.»

      De Heydelberg, Charlotte de Bourbon et Sainte-Aldegonde s'étaient dirigés vers Embden, où avaient ordre de les attendre des vaisseaux de guerre fortement armés, que Guillaume de Nassau avait envoyés au-devant d'eux105, pour protéger leur trajet par mer jusqu'à l'une des côtes des Provinces-Unies.

      Certaines mesures officielles furent prises, dans ces provinces, en l'honneur de la princesse dont on attendait la prochaine arrivée. Voici, quant à la Hollande, celles que nous font connaître les procès-verbaux des résolutions de ses états106:

      «Séance du 4 juin 1575. – Étant représenté aux états, que, pour répondre à de hautes convenances, ils ne peuvent se dispenser de congratuler, à son arrivée, la princesse, future épouse de Son Excellence qui a si bien mérité de la patrie, et de lui offrir quelque don de joyeuse entrée; que, dès lors, il y a lieu de déterminer où et de quelle manière la princesse sera receue; – en conséquence, il est résolu qu'on informera Son Excellence de la décision prise par les états de congratuler la princesse, au lieu même de son arrivée, et de l'accompagner jusqu'au lieu où Son Excellence a l'intention de célébrer les fêtes de noces; ce dont les états s'enquerront auprès de Son Excellence; à l'effet de quoi sont députés vers elle les sieurs Culemburgh, Kenenburgh, Swieten et l'avocat Buijs.»

      «Séance du 6 juin 1575. – Étant fait rapport aux états de la congratulation adressée à Son Excellence, à raison de sa nouvelle alliance, et étant offerts de la part des états, tous les bons offices du pays, Son Excellence les en a remerciés et a déclaré qu'elle espéroit que cette nouvelle alliance contribueroit à la prospérité dudit pays. Son Excellence n'avoit pas encore décidé où les fêtes de noces seraient célébrées; mais elle avoit l'intention d'attendre l'arrivée de la princesse à La Brielle. Du reste, on avoit pu s'apercever qu'il seroit agréable à Son Excellence que la princesse fût receue à La Brielle même par les états. – Sur ce, il est résolu par les états, que, de leur part, seront envoyés à La Brielle divers députés, savoir: les sieurs Vankenenburg, Swieten, ceux de Dordrecht, d'Alckmaar, M. Pieter de Rycke, avec ceux de La Brielle; qu'après les noces, on offrira à la princesse un banquet, quelques cadeaux et un don de six mille livres de quarante gros, dans l'espoir que Son Excellence prendra plus en considération l'affection que l'importance de l'offre, à raison des pesantes charges imposées aux états par suite de la longue durée de la guerre; ce que l'on aura soin de représenter107

      A peine cette délibération venait-elle d'être prise, que le prince eut le bonheur d'accueillir à La Brielle Charlotte de Bourbon, dont l'arrivée fut acclamée par la population et par les députés des états avec un enthousiasme qui émut profondément cette princesse.

      Dès le 7 juin furent arrêtées entre les futurs époux les conventions civiles qui devaient précéder leur union.

      L'acte dans lequel ils les consignèrent était d'une simplicité exceptionnelle, au double point de vue de la forme et du fond. Il mérite d'autant plus d'être connu, qu'il témoigne d'une complète réciprocité de désintéressement, en laissant apparaître l'absence de toute fortune personnelle, pour le moment du moins, du côté de l'une des parties contractantes, et l'exiguïté des seules ressources alors disponibles, du côté de l'autre108.

      Le 12 juin eut lieu, à La Brielle, la célébration du mariage. Il fut béni par le ministre Jean Taffin, que Guillaume de Nassau avait récemment pris pour chapelain, et qui, à ce titre, demeura désormais attaché à la maison du prince et de la princesse.

      Les nouveaux époux ne tardèrent pas à se rendre à Dordrecht, où, de même qu'à La Brielle, ils reçurent un chaleureux accueil, bientôt suivi de fêtes et de réjouissances, dans le cours desquelles d'ailleurs on s'abstint de danser109.

      On ne peut mieux, croyons-nous, se faire une idée de l'ardente sympathie dont Charlotte de Bourbon fut entourée, à La Brielle et à Dordrecht, qu'en se reportant à


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<p>102</p>

Voir Appendice, no 5.

<p>103</p>

Groen van Prinsterer, Correspondance, 1re série, t. V, p. 192.

<p>104</p>

Groen van Prinsterer, Correspondance, 1re série, t. V, p. 205.

<p>105</p>

«Charlotte van Bourbon quam over Embden, alwaer de prince de selve twe wel toegeruste Oorlog-schepen sond, diese brachten na de Mase, etc., etc.» (Voir Bor, Historie der Nederlandtsche Oorlogen, in-fo, t. Ier, p. 644.)

<p>106</p>

Archives générales du royaume de Hollande.

<p>107</p>

On lit dans le recueil des Résolutions des états de Hollande (Archives générales du royaume de Hollande): «Séance du 10 juin 1575. – Les villes et états de Hollande ayant résolu d'offrir à la princesse Charlotte de Bourbon, à titre de congratulation et de don, une somme de six mille livres, il sera demandé à Son Excellence en quoi elle désire que le don consiste, soit en numéraire soit en pierres précieuses.» «Séance du 16 juin 1575. – Son Excellence a déclaré désirer que le don destiné à la princesse lui soit offert en numéraire, afin qu'elle en puisse faire tel usage que bon lui semblera.»]

<p>108</p>

Voir Appendice, no 6.

<p>109</p>

Ce détail, ainsi que plusieurs autres, relatifs à l'entrée et au séjour de Charlotte de Bourbon à Dordrecht, est consigné dans la publication suivante: Dordrecht, door Dr G. V. J. Schotel, te Dordrecht bij H. Lagerewij, 1858, br. in-8o, p. 50 et suiv. (Komst van Charlotte van Bourbon te Dordrecht in 1575). Il y est parlé, notamment d'une association littéraire, dite des Rhétoriciens, ayant pour devise les «mots: joie pure, laquelle joua, pour le bon plaisir de Son Excellence, une moralité.»]