Charlotte de Bourbon, princesse d'Orange. Delaborde Jules

Charlotte de Bourbon, princesse d'Orange - Delaborde Jules


Скачать книгу
tout en la meilleure part, et moïenner les choses de sorte, qu'avec la liberté de sa conscience elle puisse servir à Dieu, vous obéyr et jouyr de ses biens, selon les édicts du roy; à quoy je vous prierois davantage, si je ne craignois de mettre par là en doubte la bonne affection paternelle que portez à ladite vostre fille, laquelle je sçay vous estre par trop bien recommandée. Par tant je feray fin de ceste présente; priant Dieu, monsieur mon cousin, vous donner en santé bonne et heureuse vie. De Heidelberg, le 15e jour de mars 1572.»

      Que ressort-il de cette lettre, dont le ton était à la fois si digne et si conciliant?

      Une sérieuse manifestation du bienveillant intérêt que l'électeur portait à Charlotte de Bourbon, à raison de sa bonne affection à la gloire de Dieu, point capital sur lequel il était parfaitement à même de se prononcer, et de son respect filial pour le duc;

      La revendication, en faveur de la pieuse fugitive, d'une situation qui assurât la liberté de sa conscience et lui permît de concilier avec l'exercice du culte évangélique, qu'avant tout elle entendait professer sans contrainte restrictive, le respect qu'elle ne cesserait de porter à son père;

      L'espoir que le duc, avec sa prudence et sa bonté accoutumées, accueillerait cette légitime revendication.

      Mais, qu'attendre, en fait de prudence et de bonté, de la part d'un homme à idées rétrécies et grossières, violent, haineux, tel que le duc de Montpensier? rien, absolument rien. Sa conduite et son langage, depuis l'évasion de sa fille, ne le prouvèrent que trop, ainsi qu'on va pouvoir en juger.

      CHAPITRE II

      Colère et menaces du duc de Montpensier à la nouvelle du départ de sa fille. – Sa réponse à la lettre de l'électeur palatin. – Une information judiciaire a lieu à Jouarre. Dépositions importantes des religieuses. – Négociations entamées à Heydelberg pour obtenir le renvoi de Charlotte de Bourbon en France. – Fermeté de l'électeur. – Lettre de Jeanne d'Albret. – Charlotte demeure à Heydelberg sous la protection de l'électeur et de l'électrice. – Dernière lettre de Jeanne d'Albret à Charlotte. – Douleur de celle-ci en apprenant la mort de la reine de Navarre, et, bientôt après, les massacres de la Saint-Barthélemy. – Charlotte vient en aide aux Français qui se réfugient à Heydelberg. – Ses procédés généreux à l'égard de l'apostat Sureau du Rosier. – Ses intéressantes relations avec Pierre Boquin, Doneau, François Dujou, Jean Taffin et autres personnages distingués, ses compatriotes. – Sa correspondance avec les fils de l'amiral de Coligny. – Intervention des ambassadeurs polonais auprès du roi de France en faveur de Charlotte de Bourbon. – Passage à Heydelberg de Henri, élu roi de Pologne. Double incident qui s'y rattache. – Joie que Charlotte éprouve du séjour de son cousin, le prince de Condé, à Heydelberg. – Mme de Feuquères et Ph. de Mornay à Sedan. – Mort du duc de Bouillon en décembre 1574. – Affliction que causa à Charlotte de Bourbon le veuvage de la duchesse, sa sœur.

      Au milieu de l'émotion causée par la fuite de Charlotte de Bourbon, l'une de ses sœurs, abbesse de Farmoutiers, était accourue à Jouarre, et avait aussitôt informé le duc de Montpensier de la disparition de sa fille, sans avoir pu, du reste, lui donner le moindre renseignement, soit sur ses intentions, soit sur la direction qu'elle avait prise.

      Le duc était alors en Auvergne, où le retenaient ses devoirs militaires. A l'ouïe de l'événement inopiné qui le blessait au vif dans ses préjugés et son autocratie, il frémit de colère et déclara: qu'il fallait que chacun s'employât «pour sçavoir où la fugitive s'estoit retirée, afin de trouver moyen de luy faire quelque bon admonestement»; ajoutant qu'il fallait aussi qu'on l'aidât, «pour qu'elle pût estre trouvée, en quelque part qu'elle fût, dedans ou dehors le royaume, et ramenée, vive ou morte, afin que l'injure et déshonneur faits à son père par elle et ceulx qui l'avoient induite, conseillée et favorisée à commettre ceste faute, fussent réparés, avec une pugnition et chastiment si exemplaires, que la mémoire en demeureroit perpétuelle, à l'advenir40».

      Le 17 mars, le duc ignorait encore ce qu'était devenue Charlotte, ainsi qu'il l'annonçait, d'Aigueperse, ce même jour, «à son bon seigneur, parent et amy, le duc de Nemours41».

      La réception de la lettre de l'électeur palatin mit un terme à son incertitude; mais, en même temps, excita en lui un redoublement de colère.

      Les sentiments désordonnés auxquels il était alors en proie se traduisirent avec amertume dans une réponse qu'il adressa, le 28 mars, à l'électeur42.

      Il ne s'en tint pas à cet acrimonieux factum: il écrivit au roi, à la reine mère, et à divers personnages sur le concours desquels il croyait pouvoir compter43. Il provoqua, d'un côté, une enquête, et, de l'autre, des négociations ayant pour objet le retour de sa fille en France, même par voie de contrainte. Il insistait, dans ses accès de fureur, sur le châtiment exemplaire qu'il lui réservait.

      Ses démarches et ses menaces n'aboutirent pas, au gré de ses désirs.

      En effet, en premier lieu, une information secrète, dirigée à Jouarre même, sur l'ordre du premier président du Parlement de Paris, n'eut d'autre résultat, que la constatation réitérée de la brutale pression dont Charlotte de Bourbon avait été victime, le 17 mars 1559.

      Sans se laisser intimider par la présence ni par les interpellations du magistrat chargé de les interroger, six religieuses, autres que celles dont les déclarations avaient été recueillies, le 25 août 1565, confirmèrent pleinement ces déclarations par des dépositions empreintes de sympathie pour la jeune princesse, qui, durant son long séjour à l'abbaye de Jouarre, s'était constamment montrée affectueuse et bonne pour chacune d'elles.

      L'information secrète dont il s'agit est d'une si haute portée, qu'il faut en reproduire ici la teneur exacte. La voici44:

      «Information secrète, faicte par nous, Nicolas de Gaulnes, lieutenant-général de monsieur le bailly de Juere (Jouarre), appelé avec nous, Pierre Desmolins, greffier de ce bailliage, et ce, à la postulation et requeste de noble homme, Me Pierre André, sieur de La Garde, advocat en la Cour de Parlement de Paris, et superintendant des affaires de Monseigneur le duc de Montpensier; joinct le procureur desdites religieuses et couvent dudict lieu, aux fins de trouver la vérité de ceux qui ont suborné madame Charlotte de Bourbon, abbesse de Jouarre, fille de mondit seigneur le duc, pour la tirer hors de ladite abbaye, pour la conduire hors de ce royaume, comme aussi des occasions qui peuvent avoir induict icelle dicte dame d'avoir laissé son habit qu'elle avoit porté par l'espace de douze à treize ans, sans en avoir faict plainte ni doléance à mondict seigneur ou à aultre, ainsi que prétend ledict André; joinct qu'elle n'avoit faict protestation contraire à la profession par elle faicte; de façon que, si aulcune se trouvoit, qu'elle seroit sans cause, faulte d'induction, séduction, force, contrainte et menaces, tant dudict seigneur duc, que de deffuncte madame sa mère, ou autres ses supérieures; à la vérification desquelles choses, pour servir auxdicts procureur, seigneur duc, ou à ladicte dame de Juere ce que de raison, avons vacqué comme s'en suit:

      »Du 28e jour d'apvril, l'an 1572.

      »1o. – Vénérable religieuse Catherine de Richemont, religieuse en l'abbaye de Juere, âgée de soixante-quatre ans ou environ, laquelle, après serment par elle faict, a dict que, plus de cinquante ans a, qu'elle est religieuse en ladite abbaye, mais qu'elle ne sçait qui a sollicité ny fait sortir hors de ce royaume de France madame Charlotte de Bourbon, abbesse de ladite abbaye, sinon qu'elle pense que Françoys et Georges d'Averly luy pourroient bien avoir sollicité de ce faire, parce que journellement ils hantoient et fréquentoient en ladite abbaye, où icelle madite dame leur monstroit grande faveur. On ne sçayt personne qui sceust aucune chose de l'occasion pour laquelle elle a délaissé sadite maison, sinon que icelle portoit son habit à contre-cœur, parce qu'elle n'a esté religieuse que par le commandement de madame sa mère, laquelle la faisoit importuner et solliciter


Скачать книгу

<p>40</p>

Lettre du duc de Montpensier à sa fille, l'abbesse de Farmoutiers (ap. dom Toussaint Duplessis, Hist. de l'église de Meaux, in-4o, 1731, t. II, Pièces justificatives, no 5).

<p>41</p>

Bibl. nat., mss., f. fr., vol. 3.353, fo 23.

<p>42</p>

Cette réponse, démesurément longue, est intégralement reproduite avec les annotations qu'elle nécessite, au no 2 de l'Appendice, dans la rudesse de ses assertions, pour la plupart outrageantes et mensongères.

<p>43</p>

«Le duc de Montpensier lors emplissoit la cour de plaintes, pour sa fille, l'abbesse de Jouarre, qui, se voyant menacée, s'enfuit à Heidelberg.» (D'Aubigné, Hist. univ., t. II, liv. 1er, ch. II.)

<p>44</p>

Bibl. nat., mss., f. fr., vol. 3,182, fos 58 et suiv. – Au dos du document ci-dessus transcrit se trouve la mention suivante: «Par commandement de messieurs le premier président et Boissonnet, conseiller, ceste information faicte par les officiers de Jouerre.»]