Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome IV. Bussy Roger de Rabutin
à elle, elle le recevoit à bon compte; et si la jalousie ne s'y fût mêlée, elle n'auroit jamais été si satisfaite de l'amour du grand Alcandre. Au fond elle étoit jalouse d'elle-même, car la comtesse n'étoit là qu'un fantôme; elle n'y étoit qu'en idée, et les plaisirs qu'elle goûtoit avec le Roi étoient tout-à-fait réels. Aussi voulant y répondre de son côté, elle l'embrassoit avec beaucoup de tendresse, et lui faisoit entendre par ses regards, plutôt que par ses paroles, qu'elle étoit aussi contente que son amant.
Après ces félicitations muettes qu'ils se faisoient l'un à l'autre de leur commun bonheur, il fallut se séparer; un bruit importun, que ces deux amants entendirent, troubla cette petite fête. La dame, qui ne vouloit pas être découverte, sortit promptement de ce cabinet, et, traversant l'allée qui le joignoit, vint par un autre chemin se joindre à la compagnie.
Elle ne sortit pas pourtant si secrètement, que le comte de L… mari de la comtesse, ne s'en aperçut. Il alloit avec la comtesse sa femme, vers ce même endroit, d'où on lui avoit dit qu'une femme, qui ressembloit à la sienne, étoit sortie assez en désordre la nuit précédente, ayant un homme avec elle. Il vit en effet que celle qui venoit de sortir de ce cabinet de verdure avoit le port et la taille de la comtesse, et portoit des habits tout-à-fait semblables. Cette vue le frappa d'abord, non pas qu'il eût aucun soupçon de sa femme, qui ne l'avoit point quitté, mais il crut qu'il y avoit quelque chose de mystérieux dans cette ressemblance; et, tirant dans ce moment sa femme à l'écart, il lui fit part de ce qu'il venoit de voir, et de l'avis qu'on lui avoit donné quelques heures auparavant. Ils ne savoient l'un et l'autre que penser de tout cela; mais cette conformité d'habillement leur fit soupçonner quelque malice. Alors la comtesse se ressouvenant du discours que le Roi lui avoit tenu le matin, ne douta point que ce prince n'eût été dupé, et qu'il n'eût pris pour elle une autre qui lui avoit été plus favorable, comme elle en pouvoit juger par les discours que le Roi lui avoit tenus. Ce qu'elle trouvoit de fâcheux pour elle, c'est qu'elle voyoit que, par une noire malice, on vouloit commettre sa réputation dans le temps qu'on trompoit le Roi, et qu'on abusoit de sa ressemblance pour la faire passer pour ce qu'elle n'étoit pas.
Voilà ce que la comtesse pensa de cette aventure; mais il étoit de sa prudence de n'en rien dire à son mari, ne jugeant pas que cela fût nécessaire. Elle lui dit seulement qu'il falloit tâcher de découvrir ce mystère. – «Si nous savions, dit-elle, quel est l'homme qui étoit avec cette femme, nous pourrions peut-être avoir un plus grand éclaircissement. – Je ne sais que vous en dire, répartit le comte, mais si j'ose vous dire ma pensée, je crois que c'est le Roi; j'ai remarqué tantôt qu'il s'est écarté, et il alloit, ce me semble, vers l'endroit d'où j'ai vu sortir cette femme, et je ne l'ai pas vu depuis.»
Le comte n'eut pas plus tôt achevé de dire ces paroles, que le Roi, qu'on ne pouvoit méconnoître, parut, venant de ce même endroit, ce qui acheva de les confirmer dans la pensée du comte. Si ce dernier fut surpris quand il vit sortir de ce cabinet une femme qui ressembloit si fort à la sienne, le grand Alcandre ne le fut pas moins, quand il vit sa chère comtesse tête à tête avec un homme. – «Je ne me trompe pas, disoit-il, c'est elle-même, c'est elle qui vient de me quitter, ce sont les mêmes habits.» Il avoit raison en effet de la prendre pour la comtesse; mais il se trompa quand il crut que c'étoit celle qui venoit de lui donner tant de plaisir dans ce petit cabinet; elle étoit bien loin de là; car la Montespan, de peur d'être découverte, alla incontinent changer d'habit et de masque. Croyant donc que c'étoit la même personne, il sentit d'abord quelques mouvements de jalousie. Mais cette passion fit bientôt place à une autre. Le comte et la comtesse s'étant donné à connoître au grand Alcandre, ce prince fut tout remis de voir que c'étoit le mari de la comtesse, qu'il regarda d'abord comme un rempart à ce qu'il craignoit, et à l'aventure secrète qu'il croyoit avoir eue avec sa femme. Dans cette pensée, il se mit en humeur de railler, et il dit agréablement au comte et à la comtesse, qu'apparemment ils ne s'étoient pas déguisés pour chercher quelque bonne fortune, puisqu'il les voyoit ensemble. – «Il est vrai, répondit le comte, que ma femme n'a jamais voulu me quitter; je ne sais si elle a cru que j'eusse quelque dessein amoureux qu'elle ait voulu empêcher. Mais si de son côté elle avoit eu quelque intrigue, elle pouvoit bien cacher son jeu; car je viens de voir passer une femme vêtue et masquée comme elle, et je suis bien sûr que je m'y serois trompé, si je ne l'avois eue près de moi.»
Конец ознакомительного фрагмента.
Текст предоставлен ООО «ЛитРес».
Прочитайте эту книгу целиком, купив полную легальную версию на ЛитРес.
Безопасно оплатить книгу можно банковской картой Visa, MasterCard, Maestro, со счета мобильного телефона, с платежного терминала, в салоне МТС или Связной, через PayPal, WebMoney, Яндекс.Деньги, QIWI Кошелек, бонусными картами или другим удобным Вам способом.