Journal du corsaire Jean Doublet de Honfleur, lieutenant de frégate sous Louis XIV. Doublet Jean

Journal du corsaire Jean Doublet de Honfleur, lieutenant de frégate sous Louis XIV - Doublet Jean


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de miracle il nous survint un petit vent qui nous mit en état de gouverner, et dont notre timonnier se prévalut sy à propos qu'il nous fit revirer de bord en un instant que l'ennemy nous abordoit et ne nous peut joindre que par la poupe qui est pointüe et ne donna lieu qu'à trois Maures de sauter dans nous, dont je tuay un d'un (coup de) pistolet. Et nos décharges se firent sy à propos que nous leur tuasmes beaucoup des leurs, et que autour d'eux la mer en étoit rougie de sang. Il leur en tomba beaucoup à la mer qui étoient sur leur proüe pour sauter dans nous; nous les voyons repescher avec leur chaloupe, sur quoy nous tirasmes toujours; et nous les avions désemparées de leur pointe de la voille de misenne ou le trinquet, ce qui les empeschoit de gouverner leur bâtiment pour revenir sur nous. Il y eut un des trois Maures qui avoit sauté dans nous qui se jetta à la mer croyant regagner à son bord, mais je fits tirer dessus et il fut tué, et le 3e je le fits sauter dans rejoufond de cale. La seitie racomodoit le point d'écoute de sa misenne pour nous revenir à la charge. Je mits en résolution de revirer sur eux pour ne leur donner loisir à se racomoder. L'on me fit un peu d'opposition. Et ayant fait connoistre que si nous leurs donnions ce tems qu'ils n'aloient pas manquer à nous aborder une seconde fois et nous enleveroient, nos forces étant trop inégalles, et que j'aimois autant hasarder la vie que tomber esclave et qu'il n'y auroit de ransson suffisant pour m'en tirer, veu que j'aurois passé pour propriétere des effects que nous avions. Et j'encouragé notre équipage et revirasmes dessus nos ennemis qui nous tiroient du canon mais lentement, ce que je fis remarquer. Et je ne voulu faire tirer que lorsque nous serions à portée d'un bon pistolet, ce qui fut bien exécuté. Et nous les désolâmes. Je continué une seconde décharge, et nous les entendismes crier: «Quartier, quartier, crétiens.» Et sy j'avois eu une trentaine d'hommes, je les aurois enlevées. Mais quelle aparence avec quinze hommes et un mousse de s'y hasarder. Encore trop heureux d'en avoir échapé comme nous fismes. Notre contremestre nommé Anthoine Animou se trouva très blessé à l'épaule droite d'un coup de mousquet, et Pierre Caillau, matelot, d'un demi-pique qu'il receut de moy au costé gauche lorsqu'il voulut se sauver dans la calle, et moy j'en fut quite par une grosse contusion à la cuisse droitte proche l'aine, ayant trouvé la poche de ma culote en fasson de gousset à l'espagnole toute rompue où étoit ma tabattière de vermeil doré toute brisée qu'on n'a pas pu racomoder et à quoy on at atribué m'avoir sauvé la cuisse. – Et quant nous quitasmes l'ennemy, il étoit autour de sept heures du soir, et continuasmes notre route jusque vers les 9 à 10 heures que je fits gouverner en changeant d'un rumb et demy de la bussole, crainte qu'il ne revienne après nous. Et ne dormismes que très peu pandant la nuit. Et au matin nous fusmes très joyeux de ne plus voir nos ennemis. Mon équipage me fit mile caresses, ainsy que l'Espagnol qui me présenta une joli boette d'or à la condition que je donnerois la mienne à la Vierge où nous ferions nos actions de grasces, et je luy promis de plus que ma boette je donnerois un devant d'hautel d'un beau tissu d'or. Ce qui fut exécuté le landemain de notre arrivée à l'ille de Ténérif. Nous fusmes à un monastère de Dominicains où l'église est fondée à Notre-Dame de la Chandeleur, à trois lieux du port, où nous fusmes pieds nuds faire chanter une grande messe, et y fusmes bien traitées par les religieux qui ne manquèrent d'enregistrer nos déclarations atribuées au miracle. Et pendant la route je penssé mes blessés avec du charpy oint de cire blanche neuve fondue en huille d'olive et un jaune d'œuf broyé, ce qui entretint la playe de mon contremestre en bonne supuration, et le coup de pique fut en dix jours guéry, ayant rencontré une côte, et comme je n'avois point de chirurgien ny onguents je fit de mon mieux. Et dès que je fus arrivé à Ténérif, je fis débarquer mon blessé chez un chirurgien bayonois étably là. Il fit plusieurs grandes ouvertures autour de la playe et en tira une balle d'une once qui avoit esté mordüe, ce qui causa bien de la pouriture et long à guérir. Il m'en couta 125 piastres, mais notre Maure nous deffraya, en l'ayant vendu trois cents vingt-cinq piastres à un riche habitant qui avoit son frère esclave à Maroc, en espérant en faire échange pour son frère. Et lorsqu'il se vit vendu il se déclara estre le lieutenant de la sietie, ce qu'il m'avoit toujours caché, et que je le laissey à la gamelle des matelots, et il releva beaucoup les actions de notre conduite dans notre rencontre. Il nous resta trois bons sabres de ceux qui avoient sauté à l'abordage. J'en donnay un à mon passager et un à Mr le vice-roy, lieutenant général de ces illes, et j'en fut fort conssidéré et de la noblesse et des principaux habitants qui n'aimoient pas notre nation.

      Et le 27e j'arrivé heureusement à l'ille de Ténérif à la rade et devant la ville de Ste-Croix où je débarqué. Je trouvé sur le rivage un vice-consul de notre nation pour servir de guide et truchement pour bien faire les déclarations tant à la Doane qu'au gouverneur, après quoi l'on loua des chevaux ou des bouriques pour monter en haut de la ville de la Laguna, à deux lieux de chemin, où l'on va chez le consul qui vous conduit chez le Grand Inquiziteur et puis à l'Evesque et au Général commandant toutes ces illes. L'on fait les déclarations conformes à celles d'en bas.

      C'est l'ille où est ce fameux pic ou prémontoire que j'ay découvert en y venant étant éloigné de soixante et six lieux, me trouvant le travers de l'ille de Lancerotte; nous l'avons veu fixement de dessus notre pont quoyque en un petit bâtiment, Ténérif ets où il croits la meilleure malvoizie; puis à l'ille de Palme ets un autre sorte de vin, cepandent qu'à douze lieux de distance, etc.

      Je fits débarquer nos marchandizes a la Doane pour estre visitées et payer en espesce les droits, et ensuite mis en magasin que j'avois loué, mais je trouvois peu de débit à cause que Mrs les négossiants Anglois ont des grands magasins remplis de toutes sortes d'effects et lesquels vendent à crédit aux Espagnols à compte de leurs récoltes des meilleures malvoizies, et aussy sur les retours de trois ou quatre navires qui arrivent d'ordinaire des isles Havana en l'Amérique. Et comme mes ordres portoient de ne vendre qu'en argent, qui y est fort rare, excepté des petits réaux dont il en faut 34 pour pezer une piastre en lieu qu'aux réaux d'Espagne il n'en faut que huit à la piastre, je me trouvay très embarassé, et de faire séjourner le navire qui auroit tout conssomé. J'apris que le trésorier des Bulles pour les dispences de manger des viandes, avoit besoin d'un moyen navire pour en envoyer prendre à Caddix, je luy affrétay ma Tartane et dans la vüe de donner advis à mes marchands de l'état de nos affaires: le fret conclu par quatre cens cinquante piastres pour l'aler et revenir, et dépeschay incontinent, et restay à Ténérif atandant le retour et des ordres, étant stipulé que mon navire seroit expédié en 15 jours à Cadix, et s'il y est retardé plus, il nous sera compté huit piastres par jour.

      Sur la fin de juillet, je me trouvay au port et ville de Lorotava où Mrs les Anglois résident ordinairement pour le négosse des bons voisins, Me Jean Penderne, bon gentilhomme Anglois qui parloit bon françois, me fit la proposition d'aler par curiosité sur le sommet du Pic, et qu'il ferait toute la dépense nécessaire pour la noriture et conduite. J'acxepta le party. Il commanda à deux neigres ses deux domestiques de nous préparer des mulles, avec de bonnes provisions et une tente de coitil, et partismes le 7e aoust. Nous montasmes pendant deux jours sur nos mulles et quelquefois à pied à cause des précipices, mais la troisième à cause du trop rapide nous fusmes à pied, ayant chacun un nègre devant armé d'un baston ferré qu'il piquoit pour s'assurer sa marche, et autour de luy avoit une ceinture dont le bout pendoit derrière luy, que nous entortillons à une de nos mains qui nous atiroit et le suivions pas à pas. Et lors que nous eusmes atrapés la région glaciale qui sont des neiges que le soleil fonds et que la nuit se gellent, forme un verglas fort dur et glissant, mais les neigres avec leur baston ferrés faisoient des trous pour placer leurs pieds où après nous plassions les nostres en les suivant tenant toujours leurs ceintures, ce qui étoit fort ennuyeux et fatiguant. Nous suyons par le corps et le visage, et les oreilles étoient coupées du froid aspre et vif qui nous obligea de nous lier la teste avec notre mouchoir où j'aurois creu perdre mes oreilles. Et après avoir surmonté ces glaces nous trouvasmes une terre aride avec beaucoup de moyennes pierres bruslées remplies de concavitées comme ce qui sort des forges, et à notre troisiesme journée, sur les 4 à 5 heures du soir, nous gagnasmes sur le sommet d'un temps très serein et très clair, mais un froid fin et très piquant. Nous nous mismes à plat cul sur terre pour reposer, contemplant l'air et la mer et les autres illes adjacentes qui nous paraissoient très petites, et les gros navires qui étoient à la rade de Lorotava nous paraissoient comme des corbeaux,


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