Introduction à la vie dévote. Saint de Sales Francis
se réjouira de votre bonheur: c'est alors qu'au milieu des saints cantiques d'une allégresse sans égale, tous donneront à votre cœur guéri et réconcilié le doux baiser de l'amitié et de la paix.
O Dieu! Philothée, qu'il est admirable ce contrat par lequel vous donnant à la divine Majesté, elle se donne à vous et vous rend la vie éternelle! Il ne reste plus maintenant qu'à prendre la plume en main, et à signer de bon cœur l'acte de votre protestation: après quoi allez à l'autel, où Dieu à son tour signera et scellera votre grâce, et la promesse qu'il vous a faite de son paradis, en se mettant lui-même sur votre cœur par la communion, comme un cachet et sceau divin.
C'est ainsi, ce me semble, Philothée, que votre ame sera délivrée du péché, et de toutes les affections du péché. Mais comme ces affections renaissent aisément dans l'ame, à cause de notre infirmité naturelle et de nos passions, qui peuvent bien être enchaînées ici-bas, mais qui ne sont jamais entièrement détruites, je vous donnerai quelques avis, avec lesquels vous vous préserverez désormais du péché mortel et de toutes affections à ce péché, de manière à ce qu'il ne puisse jamais entrer en votre cœur. Or, ces mêmes avis vous serviront encore à une purification plus parfaite; c'est pourquoi, avant de vous les donner, je veux vous dire quelque chose de cette plus absolue pureté, à laquelle je désire vous conduire.
CHAPITRE XXII.
Qu'il faut se délivrer de toute affection aux péchés véniels
A mesure que le jour croît, nous voyons plus clairement dans le miroir les taches et les souillures de notre visage: de même, à mesure que la lumière intérieure du Saint-Esprit éclaire nos consciences, nous voyons plus distinctement les péchés, les inclinations et les imperfections qui peuvent nous empêcher d'atteindre à la vraie dévotion; et cette même lumière, en nous faisant voir nos défauts, nous anime du saint désir de nous en corriger.
Vous découvrirez donc, ma chère Philothée, qu'outre les péchés mortels et l'affection aux péchés mortels, dont vous avez été délivrée par les pratiques ci-dessus indiquées, vous avez encore dans votre ame beaucoup d'inclination et d'affection aux péchés véniels: je ne dis pas que vous découvrirez des péchés véniels, mais je dis que vous découvrirez de l'inclination et de l'affection à ces sortes de péchés. Or, l'un est bien différent de l'autre: car nous ne pouvons jamais être entièrement purs de péchés véniels, ou du moins nous ne pouvons pas persévérer long-temps dans cet état; au lieu que nous pouvons bien n'avoir aucune affection aux péchés véniels. Ainsi autre chose est de mentir une fois ou deux de gaîté de cœur en matière peu importante, autre chose de se plaire à mentir, et d'être affectionné à cette sorte de péché.
Et je dis maintenant qu'il faut nettoyer son ame de toutes les affections qu'elle peut avoir au péché véniel; c'est-à-dire qu'il ne faut point nourrir volontairement le dessein de persévérer dans tel ou tel péché véniel, car aussi ce seroit une trop grande lâcheté que de garder sciemment dans sa conscience une chose aussi capable de déplaire à Dieu que la volonté de lui déplaire. Le péché véniel, quelque petit qu'il soit, déplaît à Dieu, bien qu'il ne lui déplaise pas jusqu'à nous attirer sa malédiction éternelle. Mais si le péché véniel lui déplaît, il en résulte que l'affection du péché véniel est une résolution de vouloir toujours lui déplaire: et seroit-il possible qu'une ame bien née, non-seulement déplût à son Dieu, mais encore mît son plaisir à lui déplaire toujours?
De telles affections, Philothée, sont directement opposées à la dévotion, comme les affections au péché mortel le sont à la charité. Elles énervent les forces de l'esprit, empêchent les consolations divines, et ouvrent la porte aux tentations; et bien qu'elles ne tuent pas l'ame, elles la rendent extrêmement malade. Les mouches mourantes, dit le Sage, font perdre au baume son odeur et sa vertu. Il veut dire que si les mouches s'arrêtent peu sur le baume, et y goûtent seulement en passant, elles ne gâtent que ce qu'elles prennent, et le reste demeure intègre: au lieu que si elles meurent au beau milieu du baume, elles le gâtent beaucoup et lui ôtent de son prix. De même les péchés véniels arrivant en une ame dévote et ne s'y arrêtant pas long-temps, ne l'endommagent qu'assez peu; mais si ces mêmes péchés demeurent dans l'ame par l'affection qu'elle y met, ils lui feront perdre comme au baume sa suavité, c'est-à-dire la sainte dévotion.
Les araignées ne tuent pas les abeilles; mais elles gâtent et corrompent leur miel, et quand elles s'attachent à la ruche, elles en embarrassent si fort les rayons avec leurs toiles que les abeilles ne peuvent plus y faire leur ménage. Ainsi le péché véniel ne tue pas notre ame, mais il gâte la dévotion; et quand il s'y attache par l'habitude et par l'affection que nous y mettons, il embarrasse tellement les puissances de l'ame, qu'elle ne peut plus agir avec cette ferveur et cette promptitude de charité, qui est le propre de la vraie dévotion. Ce n'est rien, Philothée, de dire un petit mensonge, de se dissiper légèrement en paroles ou en actions, d'avoir un peu de curiosité dans les regards, un peu de vanité dans les habits; de se plaire à tel jeu, à telle frivolité, à telle danse, pourvu que, dès que les araignées spirituelles seront entrées dans notre ame, nous les en chassions aussitôt, comme les abeilles s'efforcent de chasser les araignées corporelles; mais si nous les laissons s'arrêter dans notre cœur, et non-seulement cela, si nous nous plaisons à les y retenir et à les y multiplier, bientôt nous verrons notre miel perdu, et la ruche de notre conscience empestée et détruite. Or, je le dis encore une fois, ce ne sera jamais une ame généreuse qui se plaira ainsi à déplaire à son Dieu, et qui mettra son affection à ce qu'elle sait lui être désagréable.
CHAPITRE XXIII.
Qu'il se faut défaire de l'affection aux choses inutiles et dangereuses
Les jeux, les bals, les festins, les parures, les comédies, en soi ne sont pas de mauvaises choses, mais bien des choses indifférentes, dont on peut faire un bon ou un mauvais usage. Toutefois il s'y trouve toujours plus ou moins de danger, et le danger devient encore bien plus grand, lorsqu'on s'y affectionne. Ainsi, Philothée, encore qu'il soit permis de jouer, de danser, de se parer, d'entendre d'honnêtes comédies, d'assister à un festin, je dis que de mettre à cela son affection, c'est faire une chose contraire à la dévotion, une chose très-nuisible et périlleuse. Ce n'est pas mal de le faire, mais c'est mal de s'y affectionner. Et vraiment c'est grand dommage de semer en la terre de notre cœur des affections si frivoles: car elles prennent la place du bon grain, et empêchent que notre ame ne porte de bonnes inclinations.
Ainsi les anciens Nazaréens s'abstenoient, non-seulement de tout ce qui peut enivrer, mais encore de raisin et même de verjus. Non pas que le raisin et le verjus enivrent; mais ils craignoient que le verjus ne leur donnât le goût du raisin, et le raisin le goût du vin. Or, je ne dis pas que nous ne puissions jamais user des choses dangereuses, mais je dis que nous ne pouvons jamais y mettre notre affection sans compromettre la dévotion. Les cerfs qui sont trop en venaison se retirent et se cachent dans leurs buissons, sentant bien que leur graisse les charge, et qu'ainsi ils ne pourroient courir, s'ils venoient à être attaqués; de même le cœur de l'homme, chargé d'affections inutiles et dangereuses, ne peut courir après son Dieu avec cette promptitude, cette aisance et cette ardeur qui sont le vrai point de la solide dévotion. Que de petits enfans s'attachent et s'échauffent à la poursuite des papillons, personne ne le trouvera mauvais, parce que ce sont des enfans; mais, n'est-ce pas une chose ridicule, ou plutôt lamentable, de voir des hommes faits se préoccuper et se passionner pour des bagatelles aussi petites que celles que j'ai nommées, lesquelles, outre leur inutilité, ont encore le danger de dérégler et de perdre ceux qui les poursuivent? J'ai donc raison de dire, ma chère Philothée, qu'il se faut défaire de telles affections; car bien que les actes n'en soient pas toujours contraires à la dévotion, néanmoins l'affection qu'on y met lui cause toujours un grand préjudice.
CHAPITRE XXIV.
Qu'il se faut défaire des mauvaises inclinations
Nous avons encore, Philothée, certaines inclinations naturelles qui, n'ayant point leur source dans nos péchés particuliers, ne sont pas proprement péchés, ni mortels, ni véniels, mais s'appellent seulement imperfections; et leurs actes, défauts ou manquemens. Par exemple, sainte Paule, comme le