Introduction à la vie dévote. Saint de Sales Francis

Introduction à la vie dévote - Saint de Sales Francis


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C'est là une vérité que tout le monde sait, mais à laquelle on ne fait pas assez d'attention. Les aveugles ne voyant pas un prince qui leur est présent, ne laissent pas de se tenir dans le respect, s'ils sont avertis de sa présence; mais la vérité est que parce qu'ils ne le voient pas, ils oublient aisément qu'il est présent, et l'ayant oublié, ils perdent plus aisément encore le respect qui lui est dû. Hélas! Philothée, nous ne voyons pas Dieu qui est présent, et bien que la foi nous avertisse de sa présence, comme nos yeux ne le voient pas, nous nous en oublions bien souvent, et nous nous comportons comme s'il étoit bien loin de nous. Car, encore que nous sachions qu'il est présent partout, si de fait nous n'y pensons pas, c'est comme si nous ne le savions pas. C'est pourquoi, toujours avant l'oraison, il faut exciter notre ame à la pensée forte et attentive de cette présence de Dieu. C'étoit bien là ce qui occupoit David, lorsqu'il s'écrioit: Si je monte au Ciel, ô mon Dieu, vous y êtes; si je descends aux enfers, vous y êtes encore. Nous pouvons aussi faire usage des paroles de Jacob, qui, après avoir vu l'échelle sacrée: Que ce lieu est terrible! disoit-il; vraiment Dieu est ici, et je n'en savois rien. Il veut dire qu'il n'y pensoit pas: car il ne pouvoit ignorer que Dieu fût en tout et partout. Venant donc à faire oraison, il vous faut dire de tout votre cœur et à votre cœur: O mon cœur! mon cœur! Dieu est vraiment ici.

      Le second moyen de se mettre en cette sainte présence, c'est de penser que non-seulement Dieu est dans le lieu où vous êtes, mais qu'il est encore très-particulièrement dans votre cœur, et au fond de votre esprit, qu'il anime et vivifie de sa divine présence, étant là comme le cœur de votre cœur, et l'esprit de votre esprit. Car comme l'ame étant répandue par tout le corps, se trouve présente sur tous les points, et réside cependant dans le cœur d'une manière spéciale; de même, Dieu étant très-présent à toutes choses, remplit néanmoins notre esprit d'une présence plus parfaite. C'est pour cela que David appeloit Dieu, le Dieu de son cœur, et que saint Paul, en parlant aussi de Dieu, disoit, qu'en lui nous avons la vie, le mouvement et l'être. Ayant donc bien en vue cette vérité, vous exciterez dans votre cœur un grand respect pour Dieu, qui lui est si intimement présent.

      Le troisième moyen, c'est de considérer notre Sauveur en son humanité sainte, regardant du haut du Ciel toutes les personnes du monde; mais plus particulièrement les chrétiens, qui sont ses enfans, et plus particulièrement encore ceux qui sont en prière et dont il observe toutes les actions et tous les manquemens. Or, ceci n'est pas une simple imagination de ma part, mais une vérité positive; car bien que nous ne le voyions pas comme saint Étienne au temps de son martyre, il n'en est pas moins certain que du haut de sa gloire il a constamment les yeux fixés sur nous. Nous pouvons donc dire avec l'épouse du Cantique: C'est lui-même qui est derrière notre muraille, regardant par la fenêtre et à travers le treillis.

      La quatrième manière consiste simplement à s'imaginer que le Sauveur est présent à côté de nous dans son humanité sainte, comme nous avons coutume de nous représenter nos amis, et de dire: Je m'imagine voir un tel faire ceci et cela, il me semble que je le vois, ou autre chose semblable. Mais si le très-saint Sacrement de l'autel étoit présent, alors cette présence seroit réelle et non purement imaginaire: car les espèces et apparences du pain sont comme une tapisserie derrière laquelle notre Seigneur se cache, et d'où il nous voit et nous considère très-bien, quoique nous ne le voyions pas en sa propre forme. Vous userez donc de l'un de ces quatre moyens, pour mettre votre ame en la présence de Dieu avant l'oraison; et ne songez pas à les vouloir employer tous ensemble, mais un seulement à la fois, et cela encore brièvement et simplement.

      CHAPITRE III.

      De l'invocation; second point de la préparation

      L'invocation se fait en cette manière: votre ame se sentant en la présence de Dieu, se pénètre d'un grand respect à la vue d'une si souveraine Majesté, et se reconnoît très-indigne de demeurer devant elle. Puis faisant réflexion que la divine bonté le permet ainsi, elle lui demande la grâce de la bien servir et adorer dans cette méditation. Que si vous le voulez, vous pourrez user de quelques paroles courtes et enflammées, comme sont celles-ci de David: Ne me rejetez pas, ô mon Dieu! de devant votre face, et ne m'ôtez pas votre Saint-Esprit: faites briller votre face sur votre servante, et je considérerai vos merveilles. Donnez-moi l'intelligence, et je scruterai votre loi, et je la garderai de tout mon cœur. Je suis votre servante, répandez sur moi votre esprit. Il vous sera bon aussi d'invoquer votre ange gardien, et les saintes personnes qui auront eu quelque part au mystère que vous méditez. Si, par exemple, vous faites votre oraison sur la mort de Notre-Seigneur, vous pourrez invoquer la sainte Vierge, saint Jean, sainte Magdeleine, le bon larron, afin que les sentimens et les mouvemens intérieurs qu'ils reçurent alors vous soient communiqués: si c'est sur votre mort que vous méditez, vous pourrez invoquer votre bon ange qui y sera présent, afin qu'il vous inspire les résolutions convenables, et de même pour les autres sujets de méditation.

      CHAPITRE IV.

      De la proposition du mystère; troisième point de la préparation

      Après ces deux points ordinaires de la préparation, il en est un troisième, qui n'est pas commun à toutes sortes de méditations, et qu'on appelle soit composition du lieu, soit représentation intérieure. Ce n'est pas autre chose qu'un certain exercice de l'imagination, par lequel on se fait un tableau du mystère ou du fait que l'on médite, comme s'il se passoit réellement sous nos yeux. Par exemple, si vous voulez méditer sur Notre-Seigneur en croix, vous vous imaginerez que vous êtes au mont Calvaire, et que vous assistez à tout ce qui fut dit et fait le jour de la passion; ou bien encore, ce qui est tout un, vous vous imaginerez qu'au lieu même où vous êtes, se fait le crucifiement de Notre-Seigneur, avec toutes les circonstances décrites par les évangélistes. J'en dis autant, quand vous méditerez sur la mort, ainsi que je l'ai indiqué dans la méditation qui y a trait, comme aussi quand vous méditerez sur l'enfer, ou sur tout autre semblable sujet où il s'agira de choses visibles et sensibles: car pour les autres qui traitent de choses invisibles, comme sont ceux de la grandeur de Dieu, de l'excellence des vertus, de la fin de notre création, il n'est pas question de vouloir employer cette méthode. Il est vrai qu'on peut encore se servir de quelques comparaisons pour rendre les considérations plus faciles, mais cela même a ses difficultés, et je ne veux traiter avec vous que fort simplement, et en sorte que votre esprit ne se fatigue pas trop en inventions. Or, par le moyen de l'imagination, nous enfermons notre esprit dans le mystère que nous voulons méditer, et nous l'empêchons ainsi de courir çà et là, à peu près comme on fait pour un oiseau que l'on enferme dans une cage, ou pour un épervier que l'on attache à ses longes, afin qu'il demeure sur le poing. Quelques-uns vous diront néanmoins qu'il vaut mieux dans la représentation des mystères user de la simple pensée de la foi, et de la simple vue de l'esprit, ou bien encore considérer que les choses se passent dans votre esprit. Mais cela est trop subtil pour le commencement, et jusqu'à ce que Dieu vous élève plus haut, je vous conseille, Philothée, de vous tenir bonnement dans la basse vallée que je vous indique.

      CHAPITRE V.

      Des considérations; seconde partie de la méditation

      Après l'action de l'imagination, vient l'action de l'entendement, que nous appelons méditation, et qui consiste à faire une ou plusieurs considérations capables d'élever notre cœur en Dieu, et de nous faire prendre goût aux choses saintes et divines. Or, c'est en cela que la méditation est fort différente de l'étude, car la fin de l'étude est de devenir savant, habile à écrire ou à disputer; au lieu que la fin de la méditation est d'acquérir la vertu et le saint amour de Dieu. Après donc que vous aurez renfermé votre esprit dans le sujet de méditation, soit par l'imagination, si le sujet est sensible, soit par la simple proposition, s'il ne l'est pas, ainsi que je l'ai dit plus haut, vous commencerez à faire sur ce sujet quelques considérations, comme vous en trouvez des exemples dans les méditations que je vous ai données. Que si votre esprit trouve assez de goût, de lumière et de fruit dans l'une de ces considérations, il faut vous y arrêter, sans passer outre, faisant en cela comme les abeilles, qui ne quittent point une fleur, tant qu'elles y trouvent du miel à cueillir. Mais si vous ne trouvez pas votre nourriture en l'une de ces considérations, après en avoir quelque temps essayé, vous passerez à


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