La dégringolade. Emile Gaboriau

La dégringolade - Emile Gaboriau


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le but qu'il se proposait. Il avait dû venir dans la journée reconnaître le terrain.

      Il attira les jeunes gens derrière un épais rideau d'arbres verts, et leur montrant un banc vermoulu au milieu des broussailles:

      – Asseyez-vous là, leur dit-il.

      – Soit! et ensuite?

      – Ensuite? Il ne s'agit plus que d'ouvrir les yeux et les oreilles. Regardez…

      De l'endroit où ils étaient postés, les jeunes gens apercevaient, à une vingtaine de mètres, la portion du mur de clôture qui longe la rue de Maistre.

      Entre eux et le mur, le terrain était plat et nu, et ils n'y voyaient rien qu'une tombe. Cette tombe était en réparation. La pierre tumulaire avait été déplacée, et on discernait l'ouverture d'un étroit caveau.

      Les ouvriers avaient dû y travailler dans la journée, et même, circonstance singulière, ils y avaient laissé leurs outils.

      – Et maintenant… commença le docteur.

      – Maintenant… dit rudement l'homme, vous allez me faire l'amitié de vous taire et de ne plus bouger…

      Après avoir tant accepté, ce n'était plus le lieu ni l'instant de discuter. Les deux jeunes gens se turent et attendirent, troublés, anxieux, se demandant s'ils veillaient ou s'ils étaient le jouet d'un cauchemar; si c'était bien vrai qu'ils étaient là, en pleine nuit, dans ce cimetière, où ils avaient été introduits ils ne savaient comment, par cet inconnu, rencontré dans un bal public, et encore vêtu de sa livrée de carnaval…

      Mais cet inconnu, tout à coup, eut un tressaillement et une exclamation sourde:

      – Silence! fit-il d'une voix qui, pour la première fois, trahit une émotion; le mur, regardez le mur…

      Au-dessus de ce mur, lentement, méthodiquement, une forme humaine s'élevait… C'était bien un homme, et il faisait assez clair pour reconnaître qu'il était coiffé d'une casquette et vêtu d'une longue blouse de couleur sombre.

      Ayant atteint le chaperon du mur, il s'y mit à cheval, et se penchant du côté de la rue, il attira à lui une échelle qu'il fit basculer avec précaution et glisser ensuite du côté du cimetière.

      Épouvantés cette fois, Raymond et le docteur se rapprochèrent de leur guide pour l'interroger. Mais lui, leur prenant les poignets et les étreignant:

      – Chut! donc, tonnerre de ciel! fit-il. Ceci n'est encore rien.

      En effet, sur le chaperon du mur, un second personnage se glissait, vêtu comme le premier. Ils semblèrent tenir conseil, puis descendant dans le cimetière, ils se mirent rôder de ci de là, prêtant l'oreille.

      Rassurés par leur inspection, ils revinrent à l'échelle et firent probablement un signal convenu, car presque aussitôt un troisième individu apparut.

      Ce dernier, autant qu'on en pouvait juger d'après ses vêtements et ses façons, devait appartenir aux plus hautes sphères sociales.

      Il était, en tout cas, le maître des deux autres, on en était certain rien qu'à son attitude et à la leur. Il les interrogeait, c'était visible, et satisfait sans doute de leur réponse, il fit un signe du côté de la rue.

      Trois secondes après, la silhouette d'une femme se dressait au-dessus du mur.

      – Ah! tonnerre! gronda l'homme de la Reine-Blanche, elle a de l'aplomb, celle-là!..

      Elle était vêtue de noir et portait un voile si épais que, même en plein jour, on n'eût pas distingué ses traits.

      L'homme au vêtement élégant lui ayant tendu la main pour l'aider à passer le mur, elle l'écarta, traversa seule et se laissa légèrement glisser dans le cimetière…

      Aussitôt ces quatre complices s'approchèrent jusqu'à la tombe en réparation, si près de la cachette du docteur et de Raymond, qu'on y entendait distinctement leurs moindres paroles.

      – C'est ici! fit l'homme qui semblait diriger cette expédition.

      – Eh bien! dit la femme d'un ton impérieux, faisons vite…

      Comme s'ils n'eussent attendu que cet ordre, les deux hommes en blouse ramassèrent à terre un levier oublié, et en un instant, sans bruit, achevèrent de desceller les pierres du caveau…

      Cela fait, ils se baissèrent ensemble vers le trou béant, et réunissant leurs forces, ils remontèrent à fleur du sol un cercueil…

      Debout, près de la femme voilée, l'homme qui les commandait avait suivi leur travail:

      – Maintenant, madame la duchesse, prononça-t-il, vous allez voir si je vous ai trompée. Allez, vous autres…

      Avec une rare dextérité, les deux hommes introduisirent entre les planches le bout de leur levier, et, pesant ensemble, ils firent sauter le couvercle, qui éclata avec un bruit sinistre…

      Aussitôt, cette femme que les autres appelaient Mme la duchesse, bondit jusqu'au cercueil, se pencha au-dessus, y plongea le bras avec une précipitation folle; puis d'un accent de joie délirante:

      – Vide!.. s'écria-t-elle, son cercueil est bien vide!..

      Immobiles derrière le rideau de cyprès qui les cachait, le docteur et Raymond Delorge attendaient un mot qui leur révélât le sens de cette scène inouïe, un mot qui leur apprît à quelles sources d'intérêt et de passion puisaient leur audace ces gens qui osaient ainsi en plein Paris escalader les clôtures sacrées d'un cimetière et violer le secret d'un tombeau.

      Ce mot ne fut pas prononcé…

      C'est sans échanger une parole que l'homme aux vêtements élégants et la femme en noir, la duchesse, regagnèrent l'échelle et disparurent de l'autre côté du mur.

      Les complices subalternes, les deux hommes en blouse, restaient seuls dans le cimetière.

      Rapidement ils rajustèrent les planches du cercueil et le redescendirent dans le caveau, après quoi, tant bien que mal, ils remirent en place les pierres qu'ils avaient descellées, effaçant vaille que vaille toute trace d'effraction…

      Cette besogne terminée, le plus tranquillement du monde, ils regagnèrent le mur, retirèrent leur échelle et disparurent…

      De la scène dont le docteur et Raymond venaient d'être témoins, nul vestige ne restait plus qui leur en attestât la réalité… Tout s'était évanoui comme une de ces visions qu'enfantent les ténèbres et que dissipe le jour…

      Il était d'ailleurs temps que tout finît. Raymond n'en eût pu supporter davantage, tant depuis un moment toutes ses facultés s'exaltaient jusqu'à un degré presque insoutenable.

      Saisissant par le bras, rudement, l'homme de la Reine-Blanche:

      – Maintenant, lui dit-il, tu vas nous expliquer pourquoi tu nous as fait assister à cet abominable sacrilège. Qui sont ces gens qui violent les tombeaux? Qu'est-ce que ce cercueil qui est vide? Que veut-on de moi? Parle! Des faits, des noms, et vite…

      Tranquillement, l'homme s'était dégagé.

      – Vous vous trompez d'adresse, bourgeois, répondit-il de son accent d'insouciance narquoise. Les gens qui m'ont payé pour vous amener ici ne m'ont pas dit leurs secrets. Je ne sais rien… Mais j'ai idée que tout ce que vous demandez doit être écrit sur la pierre tombale…

      Le docteur et Raymond eurent le même mouvement:

      – C'est pourtant vrai!..

      Et abandonnant l'homme, ils bondirent jusqu'à la pierre.

      Elle était petite et humble, comme si elle eût été marchandée sou à sou au marbrier funèbre. Au milieu, on lisait:

MARIE SIDONIEMORTE A VINGT-SEPT ANSPriez pour elle!

      – Eh bien? demanda le docteur.

      Raymond semblait abasourdi.

      – Pas de nom de famille! murmurait-il, et ce nom de


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