La dégringolade. Emile Gaboriau

La dégringolade - Emile Gaboriau


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meublés bourgeoisement.

      Sur la porte, un gros homme, le ventre ceint d'un tablier bleu, à pièce, fumait sa pipe.

      – Vous êtes le maître de la maison, monsieur? lui demanda le docteur.

      – Bien à votre service, répondit-il en retirant sa casquette de l'air le plus gracieux.

      – Nous aurions besoin d'un renseignement… Il vient d'entrer chez vous un homme vêtu d'un mac-farlane…

      – Et donnant le bras à une dame, n'est-ce pas?

      – Précisément… Nous aurions, mon ami et moi, à les entretenir d'une affaire excessivement importante, d'une affaire où il y aurait beaucoup d'argent à gagner…

      Le maître du garni avait levé les bras au ciel.

      – Pas de chance!.. s'écria-t-il.

      – Pourquoi?

      – M. Potencier – c'est le nom de ce monsieur – n'est plus mon locataire depuis le quinze du mois dernier…

      – Qu'importe, puisqu'il vient d'entrer chez vous…

      L'hôtelier souriait.

      – Il n'y est déjà plus, répondit-il… M. Potencier et sa dame n'ont fait que traverser la maison, qui a deux issues, comme vous pouvez le voir…

      Et se dérangeant un peu, il montrait un couloir interminable, au fond duquel on apercevait une autre rue.

      Ce fut comme un seau d'eau froide tombant de haut sur la tête de Raymond et du docteur Legris. Avoir pris tant de peine pour aboutir à un tel échec, c'était humiliant et irritant. Mais le docteur savait se contraindre:

      – Si M. Potencier n'est plus votre locataire, dit-il au maître du garni, il a dû vous laisser sa nouvelle adresse…

      – Lui!.. jamais de la vie. C'est un homme très caché, voyez-vous, qui n'aime pas qu'on se mêle de ses affaires…

      – De sorte qu'il vous est impossible de nous dire où le trouver…

      – Oh! tout à fait impossible.

      Le docteur avait tiré son portefeuille, et tout en semblant y chercher quelque chose, il remuait trois ou quatre billets de banque de cent francs qui s'y trouvaient, et il les maniait si habilement qu'ils paraissaient se multiplier et foisonner sous ses doigts.

      – C'est une belle occasion, fit-il, que M. Potencier perd de gagner une grosse somme… Mais tenez, voici enfin ce que je cherchais… faites-le tenir, s'il se peut, à votre ex-locataire, en le prévenant que je désire lui parler…

      Et ce disant, il tendait à l'hôtelier une de ses cartes de visite:

LE DOCTEUR VALENTIN LEGRISplace du Théâtre, à MontmartreCONSULTATIONS TOUS LES JOURS, DE UNE HEURE A TROIS(gratuites le lundi et le jeudi)

      La vue de la quantité de billets de banque que lui avait paru remuer le docteur avait rendu fort sérieux le patron du garni.

      – Je ne pense pas, dit-il, que je puisse jamais faire cette commission. Je garde pourtant cette carte, et si je venais à savoir où demeure M. Potencier…

      – Vous la lui remettriez, c'est entendu. Et sur ce, au plaisir! cher monsieur…

      Assurément, le docteur n'espérait pas que sa carte lui attirât jamais la visite de M. Potencier. Mais il était de ceux dont l'avis est qu'il faut toujours aider le hasard et lui laisser ouvertes le plus de portes possible.

      – Cet homme nous échappe, dit-il à Raymond, tandis qu'ils regagnaient leur voiture; nous ne le reverrons plus désormais, que s'il le veut bien.

      – Qui sait? prononça Raymond.

      Et s'arrêtant court au milieu de la rue:

      – Il m'est venu une idée, docteur. Pendant que vous parliez à cet hôtelier moi je songeais. Comment, me disais-je, cet homme s'y est-il pris pour nous introduire dans le cimetière? Il a présenté un papier que le gardien a lu et serré ensuite dans sa poche. Donc, ce papier devait être un permis donné par l'administration, supérieure, sous un prétexte que j'ignore, mais qu'il m'est aisé d'imaginer…

      – Jusqu'ici très bien, approuva le docteur. Cette opinion est si bien la mienne que j'en ai déduit l'expédient qui nous a rendu la liberté…

      – Eh bien! ce permis porte nécessairement le nom de la personne à qui il a été délivré, de sorte que si le gardien l'avait encore en sa possession, et qu'il consentît à nous en laisser prendre connaissance…

      Le docteur se frappa le front.

      – Comment, diable! n'avais-je pas songé à cela! interrompit-il. Venez vite!

      Mais le cocher qui les avait amenés n'était guère disposé à les reconduire.

      Sa remise était à deux pas, disait-il, et son pauvre cheval, qui avait passé la nuit, ne tenait plus debout.

      Ils perdirent donc une heure à chercher un autre fiacre qu'ils ne trouvèrent pas. Ils mirent un bon quart d'heure à découvrir un commissionnaire qu'ils envoyèrent, rue Blanche, porter à Mme Delorge une lettre qui lui expliquait l'absence de son fils.

      Enfin, comme ils étaient exténués de fatigue et de besoin, ils rentrèrent au café Périclès, où Justus leur servit une tasse de chocolat. Et ils y furent retenus un bon moment par le journaliste Peyrolas, lequel était aux anges, ayant, l'avant-veille, publié un article qui allait, espérait-il, lui valoir un mois de prison, c'est-à-dire le poser dans le monde et le classer parmi les hommes d'État de l'avenir.

      Si bien qu'il était plus de dix heures quand Raymond et le docteur tournèrent le coin de l'avenue du cimetière du Nord.

      – Avançons avec précaution, avait dit le docteur, et avant de nous adresser au gardien, sondons un peu le terrain aux environs.

      Jamais circonspection ne reçut plus vite sa récompense.

      Ils avaient à peine dépassé la grande porte, qu'ils aperçurent, au milieu du rond-point, un groupe de gardiens et de sergents de ville causant et gesticulant avec une animation extraordinaire.

      – Oh! fit M. Legris en serrant le bras de Raymond, il y a quelque chose… Tâchons de savoir ce dont se préoccupent tous ces gens. Mais prenons garde…

      C'est avec la plus sage lenteur, en effet, et par une manœuvre tournante des plus habiles, qu'ils s'approchèrent du groupe.

      Un vieux gardien à barbe blanche avait la parole.

      – Ma foi! disait-il, j'y aurais été pris tout comme mon camarade. Comment soupçonner une scélératesse pareille? Trois hommes se présentent en pleine nuit à la porte du cimetière, ils montrent un papier de la Préfecture, où il est expliqué qu'ils sont inspecteurs de la police de sûreté, et où il est dit qu'il faut les laisser entrer, leur prêter main-forte au besoin, et même leur obéir… Dame! on leur dit: Donnez-vous donc la peine de passer!..

      – Pas quand le permis est faux! objecta un brigadier.

      – Comment le deviner? Il y avait un en-tête de la Préfecture de police.

      – C'est vrai, cet imprimé a dû être volé dans les bureaux. Mais les signatures, les cachets, tout est contrefait, et si grossièrement que la contrefaçon saute aux yeux…

      – Aux vôtres, peut-être, qui êtes de la partie… Mais non pas à ceux d'un pauvre diable qu'on éveille en sursaut…

      Pour justifier leur présence et leur immobilité près du groupe, au cas où on viendrait à les remarquer, Raymond et le docteur avaient pris chacun un cigare, qu'ils feignaient de ne pouvoir allumer, tout en brûlant force allumettes.

      Cependant, un sergent de ville poursuivait:

      – Sait-on du moins ce qu'ils voulaient, ces brigands-là?

      – Voler, parbleu! interrompit un autre.

      – Qui sait! fit


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