Les esclaves de Paris. Emile Gaboriau

Les esclaves de Paris - Emile Gaboriau


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malheur, c'est chez un épicier qui nous connaît, un certain Mélusin, que Rose était allée changer le billet de 500 francs que nous avait prêté M. Tantaine. C'est ce misérable qui a soulevé l'opinion contre nous. N'a-t-il pas osé dire qu'un agent de police chargé de nous arrêter, s'est présenté chez lui.

      Mieux que Paul, B. Mascarot connaissait l'histoire et savait au juste ce qu'avait pu dire Mélusin: cependant il interrompit son protégé.

      – Entendons-nous, fit-il, la violence de votre chagrin trouble vos idées, et je ne vous comprends plus bien. Y a-t-il eu, oui ou non, un vol de commis?

      – Eh! monsieur, comment vous le dire!.. Je n'ai pas revu M. Tantaine, et il n'a pas reparu à l'hôtel du Pérou. On prétend, est-ce vrai? que des valeurs importantes lui ont été enlevées, et que, par suite de ce malheur, il est en prison.

      – Pourquoi n'avez-vous pas dit la vérité?

      – A quoi bon? Il est prouvé que je ne connaissais pas M. Tantaine, que jamais je ne lui ai adressé la parole. Ou m'aurait ri au nez si j'avais dit: Hier soir, tout à coup, il est entré chez moi, et là, de but en blanc, il m'a offert 500 francs, et je les ai acceptés.

      Le digne placeur avait la physionomie sérieuse de l'homme qui cherche la solution d'un difficile problème.

      – Il me semble, fit-il enfin, que je comprends tout, et cela tient à la connaissance exacte que j'ai du caractère de Tantaine.

      Paul écoutait comme si sa vie eût dépendu d'une parole.

      – Tantaine, reprit B. Mascarot, est le plus honnête homme que je sache et le meilleur cœur qui soit au monde, mais il a des lacunes dans le cerveau. Il a été riche autrefois, et sa générosité l'a ruiné. Il est pauvre comme Job, maintenant, et il a, comme autrefois, la passion de rendre service quand même.

      – Cependant, monsieur…

      – Laissez-moi finir. Le malheur est que dans la petite situation qu'il occupe, et qu'il me doit, il a des fonds en maniement. Saisi de pitié à la vue de votre profonde misère, il a disposé du bien d'autrui comme du sien propre. Mis en demeure de rendre ses comptes le soir même, se trouvant en face d'un déficit, il a perdu la tête et a déclaré qu'on l'avait volé. On est allé aux informations, vous êtes son voisin, on vous a vu de l'argent, dont on ne s'explique pas l'origine, les soupçons se sont portés sur vous.

      C'était net, précis, indiscutable. Paul frissonnait, une sueur froide trempait ses cheveux, il se voyait arrêté, jugé, condamné.

      – Cependant, ajouta-t-il, M. Tantaine a un billet de moi qui est une preuve de ma bonne foi.

      – Pauvre enfant!.. croyez-vous donc que, s'il espère se sauver en vous accusant, il laissera voir ce billet?

      – Mais vous savez la vérité, vous, monsieur, heureusement!..

      Le digne placeur hocha tristement la tête.

      – Me croirait-on? répondit-il. La justice est une institution humaine, mon ami, c'est dire qu'elle est sujette à l'erreur. Ayant à choisir entre la vérité et le mensonge, elle ne peut se décider que pour la vraisemblance. Or, dites-moi si toutes les probabilités ne sont pas contre vous?

      Cette logique impitoyable devait écraser Paul.

      – Je n'ai donc plus qu'à mourir, balbutia-t-il, si je veux échapper au déshonneur.

      La combinaison imaginée par l'honorable placeur pour s'emparer de Paul Violaine était d'une simplicité véritablement enfantine, mais il l'avait jugée suffisante et il avait bien jugé.

      Paul avait été si complétement étourdi, qu'entre le prêt si extraordinaire d'un billet de 500 francs et l'accusation de vol basée sur le change de ce même billet, il n'avait pas aperçu le trait-d'union qui pourtant sautait aux yeux.

      Facile à épouvanter, comme tous ceux qui ne sont pas bien sûr de leur conscience, il avait commencé par fuir et maintenant il venait se livrer pieds et poings liés.

      C'était là ce qu'avait voulu, prévu et préparé B. Mascarot.

      Le chirurgien qui se décide à une périlleuse opération commence par affaiblir son malade. Avant d'entreprendre sérieusement un sujet, l'ami d'Hortebize s'applique à briser les derniers ressorts de sa volonté. Or, Paul en ce moment, ne s'appartenait plus. Il gisait là, éperdu, anéanti, inerte, ne voyant d'autre issue que le suicide à la plus épouvantable des situations.

      Le moment était venu de frapper les derniers coups.

      – Voyons, mon enfant, commença le placeur, il ne faut pas vous désespérer ainsi.

      Pas de réponse. Paul entendait-il ou non? A coup sûr, il semblait hors d'état de comprendre.

      Mais le digne placeur voulait qu'il entendît et comprît. Il allongea le bras et le secoua assez rudement.

      – Morbleu!.. disait-il, où donc est votre courage? C'est dans les situations difficiles qu'un homme fait ses preuves.

      – A quoi bon!.. gémit Paul. Ne venez-vous pas de me démontrer que jamais je ne réussirai à établir mon innocence?

      Cette faiblesse impatienta terriblement B. Mascarot, mais il dissimula.

      – Non, répondit-il, non. J'ai tenu simplement à vous exposer les côtés fâcheux de votre affaire.

      – Elle n'en a pas de bons.

      – Mais si!.. Seulement vous ne m'avez pas laissé finir. J'ai tout mis au pis, mais je dois me tromper. D'abord, l'accusation existe-t-elle réellement? Nous supposons que Tantaine a disposé de fonds à lui confiés. Est-ce démontré? Nous l'imaginons arrêté. L'est-il? Nous admettons qu'il a rejeté la faute sur vous. Est-ce vrai? Avant de jeter le manche après la cognée, que diable! on vérifie.

      A mesure que parlait le digne placeur, Paul revenait à lui.

      – C'est vrai, murmura-t-il, on peut vérifier.

      – Certainement. Sans compter que je pense avoir assez d'influence sur Tantaine pour lui faire confesser la vérité.

      Les natures nerveuses comme celles de Paul ont ceci de précieux que si, au moindre souffle du malheur, elles ploient, elles relèvent au plus léger rayon d'espérance.

      Paul, qui, la minute d'avant, se jugeait perdu, se vit sauvé.

      – Oh! monsieur! s'écria-t-il, me sera-t-il jamais donné de vous prouver l'étendue de ma reconnaissance!

      B. Mascarot souriait paternellement.

      – Peut-être, répondit-il, peut-être. Et, pour commencer, il faut prendre sur vous d'oublier le passé. Le jour venu, on chasse le souvenir des mauvais rêves de la nuit, n'est-ce pas? Je vous éveille pour une vie nouvelle; soyez un autre homme.

      Paul soupira profondément.

      – Oublier Rose!.. murmura-t-il.

      L'honnête placeur fronça le sourcil à ce nom.

      – Quoi! s'écria-t-il, vous pensez encore à cette créature! Il est, je le sais, des gens qui se consolent aisément d'être dupés, dont l'amour même redouble à chaque trahison. Si vous êtes de cette pâte facile, serviteur, nous ne nous entendrons jamais. Courez après votre infidèle, jetez-vous à ses pieds, suppliez-la de vous pardonner votre pauvreté.

      Sous le fouet de l'ironie, Paul se cabra.

      – Je prétends au contraire me venger d'elle! fit-il avec emportement.

      – C'est aisé: oubliez-la.

      En dépit du ton résolu de Paul, on lisait dans ses yeux une certaine hésitation qui déplut à Mascarot.

      – Voyons, reprit-il, vous êtes ambitieux, vous voulez parvenir?

      – Oh!.. oui, monsieur, oui…

      – Et vous songez à vous embarrasser d'une femme comme Rose!.. Il faut avoir les deux bras libres, mon garçon, si on veut jouer probablement des coudes dans la mêlée. Que diriez-vous d'un coureur qui,


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