Souvenirs de Charles-Henri Baron de Gleichen. Gleichen Charles Henri

Souvenirs de Charles-Henri Baron de Gleichen - Gleichen Charles Henri


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je me hâte de vous faire tous les remercîments que méritent votre attention et les marques d'amitié que vous nous donnez. J'y suis, je vous assure, infiniment sensible, parce que je suis convaincue quelles viennent du cœur, et je ne doute pas que M. de Choiseul ne partage toute ma reconnaissance à ce sujet. Quant à l'objet de vos craintes, je vous supplie de vous rassurer, parce que: 1o je ne les crois pas fondées, et qu'en second lieu, le pis qui en pourrait arriver serait d'aller vivre tranquillement à Chanteloup, où je serais trop heureuse, si mon mari n'était pas malheureux. Cependant, comme sa reconnaissance pour le meilleur des maîtres qui l'a comblé de bienfaits, exige qu'il lui sacrifie son repos tant que ses services pourront lui être agréables, je ne puis désirer sa retraite; mais je ne puis aussi la craindre qu'autant que l'on aurait altéré dans l'esprit du Roi la pureté de sa conduite, de ses intentions et de son respectueux attachement pour sa personne, ainsi je vous serai très-obligé de vouloir bien continuer de prendre à cet égard toutes les informations que vous pourrez avoir. C'est contre ce malheur seul que notre sentiment ne nous permet pas d'être sans inquiétude, pour le reste nous laisserons faire. Adieu, monsieur le baron.»

      Et quelques jours après, de Versailles:

      «Je n'ai pas voulu donner la peine à votre valet de chambre, monsieur le baron, d'attendre ma réponse, que je ne pouvais faire qu'après avoir communiqué votre lettre à M. de Choiseul. Vous ne trouverez dans cette réponse que les sentiments auxquels vous deviez vous attendre, les remercîments que nous vous devons, et la reconnaissance et la sensibilité extrême que nous avons de l'amitié et de l'intérêt que vous nous marquez. Pour le fond, même indifférence; et pour la forme, même vivacité; mais nous avons cependant lieu de croire par différentes informations que nous avons eues d'ailleurs, qu'il y a plus de vanité et même de vanterie dans les parents, que de réalité dans le fond des choses. Ainsi rassurez-vous, mon cher baron, mais continuez toujours à nous donner toutes les informations que vous pouvez avoir; cela conduit toujours à savoir à qui l'on a affaire, et il est toujours bon de le savoir.

      «Adieu, monsieur le baron, on me presse pour partir, je ne puis vous en dire davantage. On m'assure que M. de Praslin est furieux du manque de foi, mais qu'il a la parole pour la seconde. Dieu veuille que ce ne soit pas encore: Ah! le bon billet qu'a La Châtre.»

      Cependant le duc de Choiseul n'avait pas été inactif à Copenhague. Gleichen, qui d'abord avait été renvoyé sans aucun égard, fut nommé, le 13 juillet 1770, ministre à Naples, et M. de Bernstorff, paraît-il, n'avait pas été étranger à cette nomination; il lui écrivait de Traventhal, sa maison de campagne, le 23 juillet 1770:

      «Je dégage ma parole en vous envoyant aujourd'hui, et ainsi avant la fin de ce mois, vos nouvelles lettres de créance. J'y ajoute la décharge que vous avez désirée relativement au ministère que vous avez rempli en France, et des instructions pour celui que vous allez remplir, telles qu'on a coutume de les adresser aux ministres qui partent. Elles ne sont conçues que dans des termes généraux et dans le style ordinaire, mais vous voudrez bien, en même temps, jeter les yeux sur celles que j'ai dressées, le 28 avril 1766, pour le comte d'Osten.

      «La position entre les deux cours étant à peu près la même qu'elle était alors, je n'ai pas trouvé à y changer, et je suis autorisé à vous prier de les regarder comme si elles avaient été faites aujourd'hui pour vous.

      «Il me reste le plaisir de vous dire que le Roi vous accorde 3000 écus pour votre voyage et pour votre établissement. C'est la somme la plus forte qui ait jamais été donnée en pareille occasion. Je me flatte d'avoir ainsi rempli à tout égard ce que je vous avais promis, et de vous avoir prouvé la vérité de mon désir de vous voir satisfait. Puissiez-vous l'être toujours, et convaincu par les faits des sentiments, avec lesquels j'ai l'honneur d'être, etc., etc.»

      P. S. M. d'Osten appréhende que vous l'arrêterez trop à Naples, mais je le rassurerai en lui faisant part de la promesse que vous m'avez faite, que vous seriez avec lui au plus tard à la mi-novembre.

      A ce même moment, M. de Bernstorff était disgracié; le baron d'Osten, que Gleichen remplaçait à Naples, devenait ministre des affaires étrangères; et Struensée, l'obscur médecin du roi, premier ministre.

      Cependant Gleichen, résigné à son mauvais sort, était parti pour Naples, où la duchesse de Choiseul lui écrivait de Paris, le 30 octobre 1770:

      «Je ne peux pas me résoudre à vous écrire, mon cher baron, sans pouvoir vous mander: votre affaire est faite; soyez libre, soyez heureux, et faites le bonheur de vos amis en venant les rejoindre. Je ne peux pas non plus me résoudre à garder un plus long silence, qui pourrait ou vous laisser douter de vos amis, ou vous les faire oublier. Je vous écris donc, mon cher baron, sans avoir autre chose à vous dire, si ce n'est que je suis fâchée de ne vous rien dire. Vous avez entendu les bruits de guerre qui nous menacent, ils auront retenti jusqu'au fond de l'Italie; ils nous donnent bien du travail, bien de l'humeur, et pour le moment, ils ferment la porte aux grâces, même à la justice. C'est votre mauvaise étoile qui nous a soufflé ces mauvais bruits de guerre; ils s'opposent autant à nos plaisirs qu'ils sont contraires à vos intérêts.

      «Quoi qu'il en soit, celui qui s'en est chargé ne les prend pas moins à cœur, et celle qui les sollicite, n'y met pas moins d'ardeur; rien ne refroidira, mon cher baron, le désir que j'ai de vous revoir, de contribuer à votre bonheur, et de vous convaincre de tous mes sentiments pour vous.»

      Il est difficile d'indiquer exactement à quoi la duchesse de Choiseul faisait allusion dans cette lettre; on va voir que vraisemblablement il ne s'agissait de rien moins que de faire passer Gleichen du service du roi de Danemark à celui du roi de France. Mais, moins de deux mois après, le 24 décembre, le duc de Choiseul était renvoyé du ministère et exilé. La duchesse de Choiseul, arrivée le 26 à Chanteloup, écrivait dès le 31 à Gleichen:

      «Vous êtes en droit, mon cher baron, de vous plaindre de votre étoile. Votre roi arrive à Paris pour donner à M. de Bernstorff occasion de vous prendre en grippe. Il vous ôte du poste de France, le seul auquel vous étiez attaché, et il est lui-même chassé du ministère, au moment où il songeait à réparer le tort qu'il vous avait fait, et vous laisse chancelant dans le poste de Naples. Une seule ressource vous restait: un ami qui paraissait tout-puissant, qui aurait voulu employer toute sa puissance à vous être utile, voulait changer et assurer votre sort; vous touchiez au moment du bonheur, votre affaire était dans le portefeuille, le travail devait se faire samedi; mardi, je comptais vous écrire la plus jolie lettre du monde, et lundi matin cet ami n'existait plus pour l'utilité de personne. Cette nouvelle vous sera sûrement déjà parvenue avant que vous receviez ma lettre, et je crains bien qu'elle n'ait excité votre verve et déjà produit un poëme plus long que l'Iliade et plus ennuyeux que l'Odyssée. J'ai emporté, mon cher baron, le regret de n'avoir pu vous être utile, le seul qui ait affecté mon cœur et qui sera éternel, si ce malheur me prive à jamais du bonheur de vous revoir dans ce pays-ci. Vous savez que je ne suis pas de ceux avec qui les absents ont tort; si je perds le plaisir de vous voir, je ne perdrai jamais, mon cher baron, celui de vous aimer.

      «J'envoie ma lettre à la petite-fille (Mme du Deffand) pour qu'elle vous la fasse tenir par une occasion sûre. Ne me répondez pas sur votre affaire. Je vous avertis que je n'écrirai plus. M. de Choiseul me charge de vous faire mille tendres compliments.»

      Gleichen eût pu se consoler à Naples de sa mauvaise fortune, au sein des arts et des débris de l'antiquité qu'il aimait tant, et dans la société d'un autre exilé de Paris, l'abbé Galiani. Mais un des premiers actes de M. d'Osten, après son entrée au ministère des affaires étrangères, fut de supprimer ce poste diplomatique, dont, mieux que personne, il connaissait l'inutilité pour le Danemark. Gleichen, après un an de séjour à Naples, fut nommé ministre à Stuttgart, à la place de M. d'Asseburg, qui, Allemand comme lui, n'avait pas eu plus que lui à se louer du service du Danemark, et passait à celui de Catherine. Gleichen ne pouvait se résigner à aller végéter dans la triste résidence du duc de Wurtemberg. Sur son refus d'accepter ce poste si inférieur, il fut mis à la retraite; mais il dut renoncer à la pension de mille thalers que lui accordait M. d'Osten, parce que ce ministre y joignait la condition par trop onéreuse de résider en Danemark.


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