Robinson Crusoe. II. Defoe Daniel

Robinson Crusoe. II - Defoe Daniel


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leurs ustensiles et leurs meubles, et de les laisser se tirer d'affaire comme ils pourraient; mais, n'ayant pas d'ordre, il laissa toutes choses comme il les trouva, et, ramenant la pinace, il revint à bord sans eux.

      Ces deux hommes joints aux autres en élevaient le nombre à cinq; mais les trois coquins l'emportaient tellement en scélératesse sur ceux-ci qu'après qu'ils eurent passé ensemble deux ou trois jours, ils mirent à la porte les deux nouveau-venus, les abandonnant à eux-mêmes et ne voulant rien avoir de commun avec eux. Ils refusèrent même long-temps de leur donner de la nourriture. Quant aux Espagnols, ils n'étaient point encore arrivés.

      Dès que ceux-ci furent venus, les affaires commencèrent à marcher; ils tâchèrent d'engager les trois scélérats d'Anglais à reprendre parmi eux leurs deux compatriotes, afin, disaient-ils, de ne faire qu'une seule famille; mais ils ne voulurent rien entendre: en sorte que les deux pauvres diables vécurent à part; et, voyant qu'il n'y avait que le travail et l'application qui pût les faire vivre confortablement, ils s'installèrent sur le rivage nord de l'île, mais un peu plus à l'ouest, pour être à l'abri des Sauvages, qui débarquaient toujours dans la partie orientale.

      Là ils battirent deux huttes, l'une pour se loger et l'autre pour servir de magasin. Les Espagnols leur ayant remis quelque peu de blé pour semer et une partie des pois que je leur avais laissés, ils bêchèrent, plantèrent, firent des clôtures, d'après l'exemple que je leur avais donné à touts, et commencèrent à se tirer assez bien d'affaire.

      Leur première récolte de blé était venue à bien; et, quoiqu'ils n'eussent d'abord cultivé qu'un petit espace de terrain, vu le peu de temps qu'ils avaient eu, néanmoins c'en fut assez pour les soulager et les fournir de pain et d'autres aliments; l'un d'eux, qui avait rempli à bord les fonctions d'aide de cuisine, s'entendait fort bien à faire des soupes, des puddings, et quelques autres mets que le riz, le lait, et le peu de viande qu'ils avaient permettaient d'apprêter.

      C'est ainsi que leur position commençait à s'améliorer, quand les trois dénaturés coquins leurs compatriotes se mirent en tête de venir les insulter et leur chercher noise. Ils leur dirent que l'île était à eux; que le gouverneur, – c'était moi qu'ils désignaient ainsi, – leur en avait donné la possession, que personne qu'eux n'y avait droit; et que, de par touts les diables, ils ne leur permettraient point de faire des constructions sur leur terrain, à moins d'en payer le loyer.

      Les deux hommes crurent d'abord qu'ils voulaient rire; ils les prièrent de venir s'asseoir auprès d'eux, d'examiner les magnifiques maisons qu'ils avaient construites et d'en fixer eux-mêmes le loyer; l'un d'eux ajouta en plaisantant que s'ils étaient effectivement les propriétaires du sol il espérait que, bâtissant sur ce terrain et y faisant des améliorations, on devait, selon la coutume de touts les propriétaires, leur accorder un long bail, et il les engagea à amener un notaire pour rédiger l'acte. Un des trois scélérats se mit à jurer, et, entrant en fureur, leur dit qu'il allait leur faire voir qu'ils ne riaient pas; en même temps il s'approche de l'endroit où ces honnêtes gens avaient allumé du feu pour cuire leurs aliments, prend un tison, l'applique sur la partie extérieure de leur hutte et y met le feu: elle aurait brûlé tout entière en quelques minutes si l'un des deux, courant à ce coquin, ne l'eût chassé et n'eût éteint le feu avec ses pieds, sans de grandes difficultés.

      Le vaurien furieux d'être ainsi repoussé par cet honnête homme, s'avança sur lui avec un gros bâton qu'il tenait à la main; et si l'autre n'eût évité adroitement le coup et ne se fût enfui dans la hutte, c'en était fait de sa vie. Son camarade voyant le danger où ils étaient touts deux, courut le rejoindre, et bientôt ils ressortirent ensemble, avec leurs mousquets; celui qui avait été frappé étendit à terre d'un coup de crosse le coquin qui avait commencé la querelle avant que les deux autres pussent arriver à son aide; puis, les voyant venir à eux, ils leur présentèrent le canon de leurs mousquets et leur ordonnèrent de se tenir à distance.

      Les drôles avaient aussi des armes à feu; mais l'un des deux honnêtes gens, plus décidé que son camarade et enhardi par le danger qu'ils couraient, leur dit que s'ils remuaient pied ou main ils étaient touts morts, et leur commanda résolument de mettre bas les armes. Ils ne mirent pas bas les armes, il est vrai; mais, les voyant déterminés, ils parlementèrent et consentirent à s'éloigner en emportant leur camarade, que le coup de crosse qu'il avait reçu paraissait avoir grièvement blessé. Toutefois les deux honnêtes Anglais eurent grand tort: ils auraient dû profiter de leurs avantages pour désarmer entièrement leurs adversaires comme ils le pouvaient, aller immédiatement trouver les Espagnols et leur raconter comment ces scélérats les avaient traités; car ces trois misérables ne s'occupèrent plus que des moyens de se venger, et chaque jour en fournissait quelque nouvelle preuve.

      Mais je ne crois pas devoir changer cette partie de mon histoire du récit des manifestations les moins importantes de leur coquinerie, telles que fouler aux pieds leurs blés, tuer à coups de fusil trois jeunes chevreaux et une chèvre que les pauvres gens avaient apprivoisée pour en avoir des petits. En un mot, ils les tourmentèrent tellement nuit et jour, que les deux infortunés, poussés à bout, résolurent de leur livrer bataille à touts trois à la première occasion. À cet effet ils se décidèrent à aller au château, – c'est ainsi qu'ils appelaient ma vieille habitation, – où vivaient à cette époque les trois coquins et les Espagnols. Là leur intention était de livrer un combat dans les règles, en prenant les Espagnols pour témoins. Ils se levèrent donc le lendemain matin avant l'aube, vinrent au château et appelèrent les Anglais par leurs noms, disant à l'Espagnol, qui leur demanda ce qu'ils voulaient, qu'ils avaient à parler à leurs compatriotes.

      Il était arrivé que la veille deux des Espagnols, s'étant rendus dans les bois, avaient rencontré l'un des deux Anglais que, pour les distinguer, j'appelle honnêtes gens; il s'était plaint amèrement aux Espagnols des traitements barbares qu'ils avaient eu à souffrir de leurs trois compatriotes, qui avaient détruit leur plantation, dévasté leur récolte, qu'ils avaient eu tant de peine à faire venir; tué la chèvre et les trois chevreaux qui formaient toute leur subsistance. Il avait ajouté que si lui et ses amis, à savoir les Espagnols, ne venaient de nouveau à leur aide, il ne leur resterait d'autre perspective que de mourir de faim. Quand les Espagnols revinrent le soir au logis, et que tout le monde fut à souper, un d'entre eux prit la liberté de blâmer les trois Anglais, bien qu'avec douceur et politesse, et leur demanda comment ils pouvaient être aussi cruels envers des gens qui ne faisaient de mal à personne, qui tâchaient de subsister par leur travail, et qui avaient dû se donner bien des peines pour amener les choses à l'état de perfection où elles étaient arrivées.

      BRIGANDAGE DES TROIS VAURIENS

      L'un des Anglais repartit brusquement: – «Qu'avaient-ils à faire ici?» – ajoutant qu'ils étaient venus à terre sans permission, et que, quant à eux, ils ne souffriraient pas qu'ils fissent de cultures ou de constructions dans l'île; que le sol ne leur appartenait pas. – Mais, dit l'Espagnol avec beaucoup de calme, señor ingles, ils ne doivent pas mourir de faim.» – L'Anglais répondit, comme un mal appris qu'il était, qu'ils pouvaient crever de faim et aller au diable, mais qu'ils ne planteraient ni ne bâtiraient dans ce lieu. – «Que faut-il donc qu'ils fassent, señor? dit l'Espagnol.» – Un autre de ces rustres répondit: – «Goddam! qu'ils nous servent et travaillent pour nous.» – «Mais comment pouvez-vous attendre cela d'eux? vous ne les avez pas achetés de vos deniers, vous n'avez pas le droit d'en faire vos esclaves.» – Les Anglais répondirent que l'île était à eux, que le gouverneur la leur avait donnée, et que nul autre n'y avait droit; ils jurèrent leurs grands Dieux qu'ils iraient mettre le feu à leurs nouvelles huttes, et qu'ils ne souffriraient pas qu'ils bâtissent sur leur territoire.

      – «Mais señor, dit l'Espagnol, d'après ce raisonnement, nous aussi, nous devons être vos esclaves. – «Oui, dit l'audacieux coquin, et vous le serez aussi, et nous n'en aurons pas encore fini ensemble», – entremêlant à ses paroles deux ou trois goddam placés aux endroits convenables. L'Espagnol se contenta de sourire, et ne répondit rien. Toutefois cette conversation avait échauffé la bile des Anglais, et l'un d'eux, c'était, je crois, celui qu'ils appelaient WILL ATKINS, se leva brusquement et dit à l'un de ses camarades:


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