Chronique de 1831 à 1862. T. 1. Dorothée Dino
a fait sauter sa flotte pour ne pas obéir à Capo d'Istria7.
Londres, 21 septembre 1831.– L'émeute a recommencé dimanche soir à Paris et a duré toute la matinée du lundi8, et il y avait de mauvais symptômes de tous les genres; l'aspect de la ville était grave à tous égards, et si les interpellations annoncées par Mauguin et Laurence avaient été remises de vingt-quatre heures, c'est qu'on croyait à une dislocation immédiate du ministère, si ce n'est entière, du moins partielle. Bonté divine! Où en sommes-nous et où allons-nous?
A propos de cela, on assure que les troupes qui sont à Madère sont prêtes à faire leur soumission à doña Maria. Ce nom de Madère, prononcé, jeté pour ainsi dire, il y a six mois sans grande réflexion, aura été une prédiction. C'est là que nous chercherons refuge!
C'est Jules Chodron9 qui est nommé second secrétaire de légation à Bruxelles.
Londres, 22 septembre 1831.– Les lettres de Vienne disent que le choléra y a paru le 9 de ce mois, et dans les premières vingt-quatre heures y a enlevé cinquante personnes.
Bülow a des nouvelles de Berlin du 16: il y avait eu jusqu'à ce jour-là trois cents malades sur lesquels deux cents avaient succombé. Il a beau s'étendre, ce vilain mal, il ne paraît pas s'endormir.
M. Martin, qui nous est arrivé hier, dit grand mal du Midi de la France: tout s'y divise en carlisme, bigotisme, républicanisme; de la raison, nulle part; une absence d'autorité locale déplorable, une confusion, une anarchie qui laisse le champ libre à tous les délits. Pauvre France!
Ici, on n'est guère mieux. J'ai été hier au soir à Holland-House où le ministère avait l'air consterné. Il se sent, je crois, un peu coupable; car, si ce pays-ci est menacé de scènes révolutionnaires, c'est que le ministère l'aura voulu. Pour intimider la Chambre des pairs et lui arracher le «Bill de réforme», il excite les meetings et les mouvements menaçants qui se préparent.
Lord Grey était particulièrement soucieux d'une réunion qui aurait eu lieu hier chez le duc de Wellington. Il ne sait pas s'il osera faire des pairs sans perdre des voix sur lesquelles il comptait, et qui se retireraient de lui si la Pairie était prostituée. Enfin, les embarras, d'une espèce et d'une autre, couvrent la terre.
Dimanche soir, on a promené dans Paris des bonnets de la liberté sur des piques et on a fait d'autres gentillesses du même genre. Les lettres de lundi, à deux heures, mandent que, dans la crainte de voir former des barricades, on avait enlevé tous les matériaux qui se trouvaient sur la place Louis XV et qu'on les avait entassés dans les cours des maisons voisines.
Londres, 23 septembre 1831.– Il a fait assez beau temps hier pour la fête de Woolwich à laquelle j'ai assisté. C'est très imposant de voir lancer un grand bâtiment de guerre et de le voir entrer ensuite dans le bassin où il doit être mâté.
Nous étions dans une tribune près de celle du Roi; il y avait du monde par torrents; des bateaux à vapeur, des barques en multitude, beaucoup de musiques, de cloches, de coups de canon, presque du soleil, des uniformes, de la parure, enfin de tout ce qui donne un grand air de fête.
Le Roi a mené un petit détachement du Corps diplomatique, dont je faisais partie, voir une frégate en miniature destinée en cadeau au Roi de Prusse et qui est charmante: toute en bois d'acajou et en cuivre. Puis il nous a conduits déjeuner à bord du Royal Sovereign, vieux yacht doré et chamarré du temps de George III. Le Roi m'a adressé un toast pour le Roi des Français, et à Bülow un autre toast pour Sa Majesté Prussienne. Il a oublié Mme Falk; la duchesse de Saxe-Weimar, qui ne prenait pas cet oubli en patience, s'est mise à fondre en larmes, ce qui a fait revenir la mémoire au Roi, et il a fait alors des excuses à Mme Falk en buvant à la santé du Roi de Hollande.
J'ai dîné avec le duc de Wellington, qui était de très bonne humeur; il espère que le «Bill de réforme» sera rejeté par la Chambre des pairs, à la seconde lecture qui aura lieu le 3 octobre. Lord Winchelsea a déclaré qu'il voterait contre; le ministère lui a alors demandé la démission de sa charge de Cour, que le Roi n'a pas voulu accepter.
Il est arrivé hier soir une estafette de Paris, du 20, pour dire que les émeutes étaient finies et que le ministère avait eu l'avantage dans la Chambre des députés; mais en même temps, on mande que ce qui s'est passé prouve qu'il faut avoir le traité belge sur les bases qui ont été proposées dans la dépêche du 12.
Londres, 25 septembre 1831.– Nous avons reçu les détails de la séance de la Chambre des députés dans laquelle le ministère a triomphé. Ce triomphe a été un ordre du jour, motivé d'une manière honorable pour le gouvernement, qui a eu une majorité de 85 voix. 357 votants: 221 pour M. Perier, 136 contre. Voilà, pour le moment, les choses remises dans une sorte d'équilibre, mais elles ne m'inspirent aucune confiance, car cette nouvelle Chambre a encore des preuves à donner, dans les questions de l'hérédité de la Pairie, de la liste civile, du budget, et je ne la trouve nullement préparée à bien dire ni à bien faire.
On écrit encore en rendant justice au courage de lion de M. Perier, en représentant le pays comme bien malade et Pozzo fort inquiet malgré le mariage de son neveu, qui le ravit.
Nous avons eu à dîner trois messieurs d'Arras, recommandés par le baron de Talleyrand, des Français, de ceux qui s'appellent de la classe moyenne, à laquelle ils se font gloire d'appartenir: parmi les trois, il y avait un petit monsieur de dix-sept ans, élève de rhétorique au lycée Louis-le-Grand, qui vient ici pour ses vacances et qui est déjà aussi bavard et aussi tranchant qu'on peut le souhaiter: il donne tout plein d'espérance d'être un jour un des hurleurs de la Chambre.
Londres, 27 septembre 1831.– Hier, la Conférence a adopté un protocole qui va produire Dieu sait quoi! Les Hollandais et les Belges n'ayant pu s'entendre en aucune manière, ni même se rapprocher, la Conférence, pour éviter la reprise des hostilités, terminer enfin cette difficile, délicate et dangereuse question, et arrêter la conflagration qu'elle est toujours au moment de produire, s'est constituée hier arbitre et va procéder à cet arbitrage, dont le résultat sera pris sous sa protection et garantie. Comment cela va-t-il être pris à Paris? M. de Talleyrand croit qu'on se fâchera d'abord, puis qu'on cédera, et que d'ailleurs il n'y avait pas de choix: «Ceci, dit-il, est la seule et unique manière d'en finir.»
Londres, 29 septembre 1831.– M. de Montrond est arrivé hier; il parle avec le dernier mépris de Paris et de tout ce qui s'y passe. Il annonce que le Roi va demeurer aux Tuileries, après une bataille très rude livrée par ses ministres, qui lui ont encore, dans cette occasion-ci, mis le marché à la main. Il leur a fallu aussi persuader la Reine qui y avait grande répugnance; cependant, ils ont vaincu toutes les déplaisances et cela va se faire.
Il paraît qu'au Palais-Royal, le Roi ne peut plus bouger sans être accueilli par les mots les plus durs; on lui crie: «Bavard… Avare…»; on passe à travers la petite grille intérieure des couteaux avec lesquels on le menace, enfin des horreurs!
1832
Londres, 23 mai 1832.– Hier, j'ai eu une longue visite du duc de Wellington. Il m'a dit qu'il regrettait que les convenances personnelles de M. de Talleyrand le décidassent à quitter l'Angleterre, même momentanément; qu'un remplaçant, quel qu'il fût, ne pourrait jamais maintenir les choses au point où M. de Talleyrand les avait conduites; qu'ici, il avait une position première et une influence prépondérante, non seulement sur ses confrères diplomatiques, mais encore sur le Cabinet anglais; qu'il était, en général, extrêmement considéré dans le pays, où on lui savait gré de se tenir éloigné de toute intrigue; qu'il était le seul qui pût maintenir, «sous quelque ministère que ce fût», l'union de la France et de l'Angleterre; que lui, duc de Wellington, craignait que les autres membres de la Conférence ne prissent le haut ton avec le remplaçant de M. de Talleyrand, et qu'à son retour, celui-ci ne trouvât un état de choses différent, et le terrain perdu difficile à ressaisir; qu'enfin, si M. de Talleyrand ne revenait pas à Londres,
7
Miaoulis s'était retiré à Poros où il s'était mis à la tête des Hydriotes révoltés.
8
De mars à septembre 1831, l'insurrection, ou tout au moins l'agitation et le tumulte furent à peu près permanents dans les rues de Paris.
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M. de Courcel.