Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 5. Féval Paul

Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 5 - Féval Paul


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sens aurait dû nous apprendre qu'il fallait y aller franchement et tout d'un coup… Ces moyens adroits réussissent parfois, mais il faut le temps… Et nous avons à peine six jours devant nous, sur lesquels il faut prendre trois jours pour le voyage!

      – Tu penses donc encore à Penhoël?.. demanda Blaise.

      – Comment diable!.. s'écria Robert, si j'y pense!.. Mais c'est là que nous avons enfoui toutes nos belles années!.. C'est le domaine acquis par notre travail… On nous a dépouillés, volés, trahis, et tu demandes si je songe à ravoir notre héritage!

      – C'est que, murmura Blaise, depuis hier, notre position…

      – Notre position?.. elle est plus belle!.. nous allions manquer le coche à force de précautions… Le hasard, ou mon imprudence si vous voulez, a précipité les choses et nous force à jouer le tout pour le tout… C'est comme cela que j'aime à voir les parties s'engager!

      Il se planta contre la cheminée, le dos au feu et les mains croisées sur les basques de son habit. Sa tête pâle se redressait; il y avait du feu dans son regard; nous eussions reconnu le hardi coquin, partant un beau soir de l'auberge de Redon et marchant à la conquête d'une fortune, sans autres armes que son audace.

      Blaise et Bibandier se sentaient reprendre courage.

      – Hier, poursuivit l'Américain, vous vous moquiez de mes calculs algébriques, et vous aviez raison, mes fils… Ma martingale a fait fiasco!.. le nabab est plus fort que je ne pensais… Tant pis pour lui!.. Au lieu de lui piper quelques centaines de mille francs, nous prendrons son magot tout entier… c'est plus logique et plus franc.

      Bibandier secoua la tête.

      – Quand il s'agit de parler… commença-t-il.

      – Tais-toi, interrompit l'Américain; on te pardonne l'affaire des petites… mais c'est à condition que tu garderas désormais le respect convenable envers ceux qui valent mieux que toi… Voyons, mes fils!.. avons-nous fait notre devoir hier?.. L'Endormeur connaît-il un peu les êtres de l'hôtel?

      – Couci… couci!.. répliqua Blaise. On rencontrait à chaque porte ces grands diables de cipayes…

      – Et toi, baron, as-tu la piste des millions?

      Bibandier répondit, en retrouvant un peu de sa bonne fatuité de la veille:

      – Il y avait cette grande belle femme qui se collait à mon bras, et qui ne m'aurait pas quitté d'une semelle pour un coup de canon!..

      – Est-ce de la boîte aux diamants que vous parlez? demanda Lola.

      Tout le monde se tourna vers elle, et chacun l'interrogea du regard.

      – Vous sauriez…? commença vivement Robert.

      – Je sais, répliqua la marquise, qu'il la porte sur lui d'ordinaire; quand il ne la porte pas sur lui, la boîte reste sous clef, dans un petit meuble en palissandre, placé au pied de son lit.

      – Et comment arrive-t-on dans sa chambre à coucher?

      Lola prit une feuille de papier blanc et un crayon. En cinq ou six traits elle traça une sorte de plan grossier, figurant le premier étage de l'hôtel Montalt.

      Nos trois gentilshommes s'étaient levés, et l'entouraient, suivant son travail d'un regard avide.

      Comme elle achevait, un domestique entr'ouvrit la porte du salon.

      – Une lettre pressée pour M. le chevalier de las Matas… dit-il.

      L'Américain regarda la suscription; il ne connaissait point l'écriture et se hâta de rompre le cachet.

      Aux premières lignes parcourues, il eut un sourire, puis sa figure exprima tout à coup l'incertitude et l'hésitation.

      Le billet était ainsi conçu:

      «Berry Montalt, esq., présente ses compliments à M. le chevalier de las Matas, et le prie de vouloir bien lui fixer un rendez-vous dans la matinée.»

      Était-ce un piége?

      Robert renvoya le domestique d'un geste, et passa la lettre à Blaise.

      – Que vas-tu faire?.. demanda celui-ci.

      – Moi, dit Bibandier, je n'irais pas.

      L'Américain garda le silence.

      Il s'accouda contre la tablette de la cheminée et mit sa tête entre ses mains.

      Au bout de quelques minutes, il releva les yeux sur Lola, qui avait repris son apparence d'indifférente froideur.

      – Cette chambre est-elle bien gardée?.. demanda-t-il en suivant de l'œil les lignes du plan ébauché.

      – L'hôtel est plein de domestiques, répondit Lola, et les deux nègres sont vigilants comme des chiens d'attache.

      – Quand le nabab sort, dit encore l'Américain, les nègres le suivent?

      – Toujours.

      Robert se gratta le front comme un homme qui réfléchit profondément.

      – Ça peut se faire… murmura-t-il; j'ai vu le temps où l'Endormeur était un gaillard déterminé.

      – Il faudrait au moins savoir… interrompit celui-ci.

      – Nous en causerons, mon bon homme… et il y aura de l'ouvrage pour tout le monde… même pour notre Lola qui, j'en suis bien sûr, garde une dent à MM. Édouard et Léon de Saint-Remy…

      La marquise, dont les joues s'étaient peu à peu ranimées, redevint pâle à entendre prononcer ces deux noms.

      Elle retroussa les manchettes de dentelle qui couvraient ses belles mains, et montra deux traces bleuâtres entourant la naissance de ses bras.

      Les liens l'avaient cruellement blessée, et son orgueil de femme était blessé plus cruellement encore.

      Ses yeux brillèrent d'un éclat farouche, et sa bouche muette sourit amèrement.

      – Voilà une petite main, dit Robert, qui vaut mieux désormais que la grosse patte de Bibandier!.. Si, une fois, notre Lola tenait en son pouvoir Diane et Cyprienne de Penhoël…

      – Je crois que je les tuerais!.. interrompit la marquise d'une voix sourde.

      Robert se frotta les mains.

      – Le fait est qu'elles vous ont indignement traitée… reprit-il; mais patience!.. nous vous les livrerons pieds et poings liés… Ah! elles s'attaquent à nous de nouveau!.. Pour en finir avec certains embarras, on est encore mieux à Paris qu'en Bretagne.

      Il alla prendre sur le divan son chapeau qu'il lissa du revers de sa manche.

      – Je ne sais, poursuivit-il d'un ton de gaieté forcée ou véritable, mais je crois que j'ai là une idée qui va brusquer le dénoûment de la comédie… Il est maintenant dix heures, et le Cercle des étrangers n'ouvre qu'à onze; nous avons le temps.

      Il tendit la main à Lola.

      – Ma fille, continua-t-il, vous allez monter en voiture et vous rendre chez le petit Pontalès… Il faut qu'il soit au Cercle à onze heures… Il trouvera là le nabab… Il le provoquera en duel…

      – Mais… dit Lola.

      – Pontalès vous aime comme un fou… et vous arrangerez la chose… Est-ce convenu?

      – C'est convenu… répliqua la marquise.

      – Nous avons, d'un autre côté, poursuivit Robert, ces deux étourneaux d'Étienne et de Roger.

      – Pour ceux-là, s'écria Blaise, après ce que je leur ai fait voir hier, je réponds d'eux!

      – Tu es un bon garçon… et tu as fait là un coup de maître!.. Moi, je vais lui déterrer un adversaire auquel personne n'aurait songé, j'en suis sûr, et qui tire l'épée comme feu Saint-George… Après ça, je m'occuperai de notre ami Penhoël, que je me charge de rendre doux comme un agneau… Peut-être irai-je à l'hôtel Montalt… Que je m'y


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