Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 5. Féval Paul

Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 5 - Féval Paul


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cœur.

      Ils se serrèrent la main avec une effusion mutuelle.

      Les soldats passèrent auprès d'eux, sans même les remarquer.

      – Il me reste à vous dire, poursuivit Robert, que votre famille et moi nous avons fait l'impossible pour retrouver votre cousine Blanche.

      – Je l'ai retrouvée, moi… interrompit Vincent.

      – En vérité! dit joyeusement Robert.

      – Pour la reperdre, hélas! M. de Blois!..

      Vincent raconta en quelques mots son évasion du matin et le nouvel enlèvement commis sur la personne de Blanche.

      Tout en l'écoutant, l'Américain semblait réfléchir profondément.

      Il jouait au naturel le rôle d'un homme qui n'a nulle idée de la chose qu'on lui raconte.

      – Ce ne peut pourtant pas être Pontalès cette fois! murmura-t-il quand Vincent eut fini. Vous êtes bien sûr qu'il n'y avait point de femme dans la voiture?

      – Il y avait deux jeunes gens.

      – Deux jeunes gens… répéta l'Américain; deux jeunes gens!.. Et vous n'avez pas remarqué d'autre indice?

      Vincent chercha dans sa mémoire.

      – Attendez donc! s'écria-t-il, il y avait sur le siége de devant et sur celui de derrière deux grands nègres…

      – Oh!.. fit Robert.

      Puis il ajouta en serrant la main du jeune homme:

      – Et quelle direction la voiture a-t-elle prise?

      – Je l'ai perdue de vue là-bas… répliqua Vincent, qui montra du doigt l'angle de l'avenue Marigny.

      – C'est cela!.. s'écria Robert.

      – Comment!.. dit Vincent qui respirait à peine, vous sauriez…?

      – Il me semble que vous étiez fort sur l'escrime autrefois, M. Vincent?.. dit Robert au lieu de répondre.

      – Ma captivité, répliqua le jeune homme, vient de ce que j'ai tué en duel, à Madère, un des bretteurs les plus redoutés de la marine française.

      – Tant mieux!.. car la justice est lente! et quand il s'agit d'une jeune fille enlevée… Pontalès voulait du moins faire d'elle sa femme, tandis que cet homme…

      – Écoutez! dit Vincent dont le regard brûlait et qui parlait bref entre ses dents serrées, si vous me mettez en face de cet homme, je vous regarderai comme mon meilleur ami.

      Robert tira sa montre qui marquait onze heures.

      – Venez donc, M. Vincent!.. s'écria-t-il, et que Dieu vous aide!

      XVIII

      RÊVE DE JEUNESSE

      Il faisait nuit encore quand le nabab s'éveilla. L'habitude abrégeait pour lui les effets de l'opium.

      Il avait froid. Il se dressa lentement et jeta autour de lui son regard, appesanti par un reste de sommeil.

      Le boudoir était désert.

      On eût dit que Montalt cherchait à retrouver les illusions d'un rêve enfui.

      – Elles étaient là… murmura-t-il; quand j'ai fermé les yeux, vaincu par l'opium, j'ai senti longtemps leurs mains dans mes mains… et à travers mes paupières closes, il me semblait encore que je les voyais sourire…

      Il passa le revers de sa main sur son front.

      – Sais-je ce que Dieu m'envoie?.. reprit-il avec un accent de tristesse et de doute; depuis hier, les souvenirs se pressent dans ma mémoire… Le passé prend une forme et surgit devant mes yeux incrédules… Mon cœur dormait… Va-t-il s'éveiller pour de nouvelles tortures?

      Il se leva brusquement. Le froid, gagné durant le sommeil, glissa, rapide comme un éclair, le long de ses veines et le fit frissonner.

      – Je ne veux plus souffrir!.. dit-il; je ne veux plus croire… Oh! le hasard aura beau m'apporter l'écho de mes espoirs passés; mon cœur est mort!..

      Il regarda encore tout autour de la chambre, et murmura comme malgré lui:

      – Mais où donc sont-elles? Ce ne peut être un songe, pourtant!.. J'ai vu leurs longs cheveux sous la toile de leurs petits bonnets de Bretagne… J'ai entendu leurs voix douces, dont l'accent me faisait plus jeune de vingt années… Voici encore la harpe au milieu de la chambre… Où donc sont-elles?

      Il se tourna vers la porte ouverte de la pièce voisine et appela doucement:

      – Berthe!.. Louise!

      C'étaient les noms que les jeunes filles s'étaient donnés.

      On ne répondit point.

      Le nabab attendit durant un instant; ses yeux, fixés sur la porte de la chambre aux costumes, où il s'attendait sans doute à voir paraître les figures souriantes des deux petites chanteuses, avaient une expression tendre et caressante.

      Personne ne parut sur le seuil.

      Montalt fit deux ou trois pas de ce côté, comme si une invisible main le poussait vers les jeunes filles. Puis il s'arrêta tout à coup au milieu du boudoir, et l'expression de sa figure changea.

      Un sourire amer vint à sa lèvre, tandis que son front se plissait.

      – Fou que je suis!.. pensa-t-il tout haut; misérable fou! ce sont des femmes!.. N'ai-je pas assez souffert?..

      Il se tourna d'un mouvement brusque vers l'autre porte, où les nègres veillaient d'ordinaire.

      – Séid!.. appela-t-il.

      Point de réponse encore.

      Il fit un geste d'impatience et ouvrit la porte. Sa voix résonna dans le silence du corridor.

      – Séid!.. Obbah!..

      Rien. C'était la première fois que les noirs restaient muets à son appel.

      Mais Berry Montalt était fait de telle sorte que les circonstances ordinaires de la vie ne le frappaient point. Au lieu de s'étonner ou de rechercher la cause de cet abandon inexplicable, il traversa le corridor et gagna sa chambre à coucher.

      Il se jeta tout habillé sur son lit, fuyant la fatigue inutile de ses réflexions, et implorant de nouveau le sommeil.

      Le sommeil ne voulait point venir. A de certains moments, il tombait dans une sorte d'assoupissement fiévreux et lourd; mais son agitation, luttant contre les derniers effets de l'opium, entourait son chevet de fantômes. Il revoyait des choses et des hommes, absents depuis les jours de sa jeunesse.

      Sa vie avait-elle été le rêve, et le rêve était-il la réalité?

      Chaque fois qu'il fermait les yeux, les figures amies d'autrefois accouraient lui sourire. Il revoyait le paysage agreste que son enfance avait aimé. Il s'égarait dans des sentiers connus et s'arrêtait à l'ombre du vieil arbre, dont l'écorce fidèle avait gardé un chiffre, gravé par sa propre main.

      C'étaient les eaux tranquilles d'un grand lac, au milieu duquel montaient et se balançaient de blanches vapeurs. Les saules pleuraient au bord de l'eau, qui entraînait leurs branches pliantes. Le soleil se couchait, tout pâle, derrière les hautes châtaigneraies.

      Et le long de ce sentier ombreux qui descendait la montagne, une jeune fille s'avançait à pas lents.

      Qu'elle était belle! et que de douce candeur couronnait son visage de vierge!

      Les derniers rayons du jour semblaient se jouer avec amour dans les ondes molles de ses blonds cheveux.

      Elle souriait seule avec elle-même; sa tête se penchait sur la marguerite des champs que sa main blanche et fine effeuillait avec lenteur.

      Montalt l'entendait. Elle demandait à la petite fleur, la jeune fille crédule: «M'aime-t-il un peu?.. M'aime-t-il beaucoup?..»

      Et, suivant que la fleur répondait,


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