Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 5. Féval Paul

Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 5 - Féval Paul


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de la force.

      Le nabab ne comprenait rien à cette scène.

      – Ah çà! mon jeune ami, dit-il, avons-nous par hasard un grain de folie?.. Je vous demande en grâce pourquoi vous voulez me tuer?

      – Pourquoi je veux vous tuer?.. répliqua Vincent dont les sourcils se froncèrent; vous vous souvenez, milord, que je vous ai conté autrefois l'histoire d'une jeune fille qui s'était endormie, pure, sur un banc de gazon le soir d'une fête… et qui se réveilla…

      – Je me souviens, monsieur, interrompit précipitamment le nabab dont la joue se décolora tout à coup.

      – L'homme qui s'était glissé sous le berceau, reprit Vincent, n'avait qu'un but en ce monde et qu'un espoir… réparer sa faute à force de dévouement et d'amour…

      – Quand on a vingt ans… murmura le nabab qui semblait faire sur lui-même un douloureux retour, c'est ainsi qu'est le cœur.

      – Après deux mois de recherches, reprit encore Vincent, deux mois de misère et de souffrances, le coupable avait enfin retrouvé sa victime… il allait tomber à ses genoux et lui donner sa vie tout entière… lorsqu'un misérable est venu enlever la jeune fille!.. Savez-vous le nom de ce misérable, milord?..

      – Comment le saurais-je?.. demanda Montalt.

      Vincent fit peser sur lui son regard dur et perçant.

      – Ne me mentez pas!.. dit-il tandis que le nabab se redressait instinctivement devant cette insulte; c'est vous qui l'avez fait enlever, milord!.. je le sais… j'en suis sûr!.. Et voici comment je paye ma dette envers vous. Je vous dis: Rendez-moi ma fiancée… rendez-la-moi telle qu'elle est entrée dans votre hôtel… Je vous croirai, si vous m'affirmez sur l'honneur qu'il en est temps encore.

      Le nabab tombait de son haut, car il ignorait complétement l'expédition nocturne, faite, à l'aide de sa voiture et de ses nègres, par MM. Édouard et Léon de Saint-Remy.

      – Je vous tiens compte de vos bons sentiments à mon endroit, M. Vincent, dit-il sans éprouver encore d'autre sentiment que la surprise; mais il m'est absolument impossible d'en profiter… En conscience, mon jeune ami, je ne puis rendre ce que je n'ai pas pris.

      – Vous refusez?.. murmura Vincent les dents serrées; prenez garde, milord!

      – Menacez… insultez… répliqua Montalt; vous pourrez me mettre l'épée à la main, M. Vincent… mais vous ne pourrez pas me fâcher… J'ai l'intime conviction, voyez-vous, que vous êtes de bonne foi et que vous battez la campagne.

      Vincent garda un instant le silence.

      – Milord, reprit-il ensuite, je vous ai offert la vie… vous n'en avez pas voulu… C'est maintenant que nous sommes quittes… Que votre sang retombe sur vous-même!.. Moi, je me fais justice de mes propres mains, parce que je suis un proscrit et que je ne puis demander protection aux lois de mon pays.

      Montalt tira de nouveau son portefeuille.

      – A quelle arme voulez-vous m'immoler, mon jeune ami?.. demanda-t-il.

      – A l'épée… répondit Vincent; et nous verrons si vous raillerez demain, milord!..

      – Demain… répéta Montalt, j'ai un petit rendez-vous à six heures moins le quart… je serai par conséquent libre à six heures… Vous convient-il de venir me trouver à la porte d'Orléans, au bois de Boulogne?

      – Cela me convient.

      Montalt écrivit sur son carnet immédiatement au-dessous de la première mention:

      «Six heures, M. Vincent.»

      Celui-ci tourna le dos et se retira, tandis que M. le chevalier de las Matas se frottait les mains, derrière la porte de la salle voisine.

      Le jeu s'installait, et le banquier mêlait les cartes du trente et quarante.

      Les amateurs prenaient déjà place autour de la table.

      Vers ce moment, il se passait une petite scène dans le vestibule du club.

      N'entrait pas qui voulait au Cercle des Étrangers; il fallait être présenté par un adepte.

      Étienne et Roger venaient d'être arrêtés dans l'antichambre par l'employé, chargé de reconnaître les arrivants; ils avaient insisté de leur mieux, mais la consigne était inflexible.

      Heureusement que depuis le matin, comme nous avons pu le voir, nos trois gentilshommes jouaient, autour de Berry Montalt, le rôle du hasard, et lui fournissaient des aventures.

      Comme Étienne et Roger se retiraient, de guerre lasse, ils rencontrèrent, à la porte extérieure, ce brave monsieur qui les avait accostés à la fête du nabab.

      Le noble baron Bibander parut enchanté de la rencontre et leur offrit une cordiale poignée de main.

      – Eh! eh! eh!.. dit-il, on fient sé gonsoler tes bédits châcrins t'amour afec lé drente et garante… Eh! eh! eh!..

      C'était un coup de la Providence.

      – Monsieur, dit vivement Roger, on refuse de nous laisser entrer… Pouvez-vous nous aider à lever cet obstacle?

      – Gomment tonc… répliqua Bibandier; à merfeille! engenté de fus être acréable.

      Il s'avança d'un pas important et magistral vers le contrôleur des entrées; il lui dit quelques mots à l'oreille, et celui-ci salua.

      – Fenez… fenez, mes cheunes amis, reprit le baron Bibander; maindenant, fus êtes chez fus!

      La porte du Cercle s'ouvrit pour Étienne et Roger. Ils n'eurent pas même la peine de remercier leur introducteur, qui avait traversé la salle en trois enjambées, et rejoint M. le chevalier de las Matas, à son poste d'observation, dans la chambre voisine.

      – Bravo!.. dit Robert; je lui ai déjà jeté deux bâtons dans les jambes!

      – Comment deux?..

      – D'abord le Pontalès… Ensuite cet étourneau de Vincent, qui est revenu de je ne sais où tout exprès pour nous prêter main-forte!..

      – Chut!.. fit Bibandier, voilà le bal qui commence!

      Étienne et Roger venaient en effet d'aborder Montalt.

      Celui-ci était arrivé au paroxysme de sa mauvaise humeur. La première querelle qu'il avait rencontrée sur son chemin l'avait plutôt réjoui que contrarié. Ç'avait été une issue pour le fiel qu'il avait dans l'âme; mais la provocation de Vincent rétablissait l'équilibre, et ramenait ses idées sombres.

      Il avait gardé de cet enfant un souvenir ami, et pour prix du service rendu, Vincent revenait vers lui la main armée et la provocation à la bouche.

      Montalt ne fatiguait point son indolence à chercher longtemps la cause de ce revirement bizarre; mais il subissait l'impression triste, et son cœur lui pesait.

      Il était dans cette situation morale, lorsqu'il vit venir à lui Étienne et Roger.

      Le jeune peintre avait la figure pâle et le regard indécis; les yeux de Roger brillaient, au contraire, et le sang lui montait aux joues.

      Montalt ne se souvenait plus de ce que lui avait dit Séid au sujet des deux jeunes gens. Leur aspect lui causa seulement de la surprise, parce qu'il ne les avait jamais vus en ce lieu.

      – Par quel hasard…? commença-t-il.

      Étienne l'interrompit.

      – Nous voudrions vous parler en particulier, milord… dit-il d'un ton froid et grave.

      Il avait salué le nabab. Roger, au contraire, restait droit et roide devant lui.

      Montalt les regarda tour à tour, et il eut un vague souvenir des paroles qui avaient glissé naguère sur son esprit.

      – Au fait, murmura-t-il, je n'ai pas rêvé cela… On m'a dit que vous vouliez me quitter.

      – Nous voulons faire davantage, milord, répliqua Roger qui élevait


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