Les Dernières Années du Marquis et de la Marquise de Bombelles. Fleury Maurice
type="note">8 et de Naples9 et leurs femmes qui venaient souper avec les Bombelles et les Mackau. Ces ménages de diplomates se proposaient, en l'absence de la Cour10, de passer quelques jours à Versailles «pour en voir plus à l'aise toutes les merveilles». M. de Bombelles et sa femme ont l'intention de les accompagner autant qu'il leur sera possible, et le marquis, en somme, s'en montre heureux et fier, car «les étrangers de bonne foi apprécient mieux que les Français la beauté de ce royaume, la magnificence de ses villes et les prodigieux travaux exécutés pendant que Louis XIV portait d'un pôle à l'autre le nom de sa nation au plus haut degré de gloire».
La première excursion est à Saint-Cyr. Nous avons déjà dit combien Madame Elisabeth montrait de prédilection à l'Institution de Saint-Louis; avec quel plaisir, chaque fois qu'elle le pouvait, accompagnée d'une de ses dames, elle allait visiter religieuses et élèves, aimant à partager les jeux et le goûter de ces dernières; Le marquis qui aime volontiers ce qu'aiment et sa femme et la chère Princesse, est tout porté à défendre l'établissement de Saint-Cyr. «Depuis quelques années, remarque-t-il, il est de bon ton de tout ridiculiser, de trouver tout misérable et de conseiller de détruire plutôt que d'améliorer ce qui émane de la sagesse de nos pères. Ce mauvais ton souffle essentiellement sur la fondation de Mme de Maintenon.»
Parmi les dames élevées à Saint-Cyr quelques-unes ne reparaissent que pour apporter les bruits du dehors. «Avec une charité maligne elles avertissent des propos tenus pour arrêter le bien qui se fait journellement dans cette maison.» C'est là sujet de tristesse et de découragement chez des religieuses qui d'abord se refusaient à montrer aux visiteurs les différents talents de leurs élèves. Devant l'insistance du marquis auquel se joignait sa jeune femme si appréciée des dames de Saint-Louis, celles-ci ne surent pas refuser longtemps. Les ambassadeurs ont entendu «en gens sensés» et «avec grand plaisir» les entretiens de Mme de Maintenon. «Ils ont jugé des danses comme cela se doit… Des demoiselles ne doivent point acquérir les grâces minaudières des filles de l'Opéra ou des belles dames qui copient les actrices. Il suffit que l'on développe en de jeunes personnes les moyens de se présenter, de saluer avec noblesse et de ne pas être marquantes en gaucherie lorsqu'elles entrent dans le monde… Les chœurs d'Athalie, l'ordre du réfectoire, celui qui s'observe à l'église et dans les promenades du jardin, tout a plu à nos ambassadeurs, tout à intéressé leurs femmes. Elles l'eussent été davantage si elles fussent venues du temps de Mmes de Mornay et du Haut; la supérieure actuelle, Mme d'Ormesson, est une bonne et honnête personne, mais n'est que cela.»
Comme, le lendemain 8, le comte de Fernand Nunez et le marquis de Circello se sont rendus au lever du Roi à Saint-Cloud, M. de Bombelles se fait le cicerone des ambassadrices et les accompagne au château de Meudon11. Suivons-le dans sa courte impression: le château du grand dauphin ayant été incendié en 1871, il n'est pas sans intérêt d'avoir de lui un dernier souvenir.
«Le château neuf où nous avons dîné chez le duc d'Harcourt12 a été bâti par Monseigneur pour Mlle Choin13 qui était sa maîtresse.
«Ce château est dans une proportion qui le rendrait convenable à tout seigneur en état de dépenser 300.000 livres par an.» M. de Bombelles ne semble guère là avoir une idée exacte des proportions: nous avons sous les yeux la gravure de l'ouvrage de Piganiol de la Force, et aussi des vues du Palais prises peu de temps avant sa destruction. Il paraît bien que cet immense château eût été bien lourd pour des particuliers, à trois ou quatre exceptions près.
La comparaison avec l'autre château continue: «Il n'en est pas de même du vieux château14; ce palais que M. de Louvois avait augmenté, embelli avec une magnificence aussi indécente qu'incroyable, serait encore très facilement une demeure royale. Tous les plafonds sont peints en arabesque comme si le goût régnant eût présidé à leur ordonnance. Les corniches, les cheminées, les parquets de superbe boiserie, rien n'aurait besoin d'être moderné. Il y a pratiqué dans une tourelle un cabinet peint également en arabesque sur un fond d'or, qui est aussi frais de peinture que s'il sortait des mains d'un de nos meilleurs artistes. Il est question de faire de ce beau château la demeure de M. le Dauphin pour tous les étés, si nous n'éprouvons pas le chagrin de perdre ce prince15. On nous l'a fait voir: j'aurais pleuré si j'eusse osé du lamentable état dans lequel je l'ai trouvé, courbé comme un vieillard, ouvrant des yeux mourants au milieu d'un teint livide. Il craint le monde, il a honte de se montrer. Si on le sauve du cruel marasme dans lequel il est encore, bien qu'un peu mieux, ce ne sera vraisemblablement qu'aux dépens de sa taille qu'il réchappera. Petit, l'anatomiste, espère cependant qu'il guérira sa personne et sa taille, mais il se plaint de n'avoir été appelé qu'au moment où le mal était presque incurable. Il caractérise la maladie du nom de vertébrale et diffère d'opinion avec Brunier, le premier médecin… Nos enfants de France ont été souvent victimes de ces conflits d'opinion. Les soins que le duc et la duchesse d'Harcourt prennent de ce précieux enfant sont tout à fait respectables.»
Voici d'autres minuscules événements de Cour: «Mme de Raigecourt et son «sourdaud» de mari ont donné à dîner aux ambassadeurs et aux Bombelles. Après le repas, les dames sont allées voir les grandes eaux, tandis que le marquis, emmenant son petit Charles16 dans sa voiture, pique sur Beauregard17 pour faire visite au marquis et à la marquise de Sérent. Tous deux sont absents, mais leur belle-fille reçoit le père et l'enfant avec une grâce parfaite. Elle était avec M. de Chauvelin, «le jeune homme le plus en faveur dans ce moment. Le petit Chauvelin fils de celui qui fut ambassadeur à Turin et qui mourut dans la chambre du Roi (Louis XV) d'une attaque d'apoplexie, a la même charge qu'avait son père, celle de maître de la garde-robe du Roi. Il est très gentil et fait l'amusement de la Garde royale. Combien cela durera-t-il? C'est ce que les courtisans les plus déliés n'ont jamais, en pareil cas, apprécié bien au juste.»
Le ménage Bombelles est souvent en route. Tandis que la marquise est à Paris, son mari va rendre à Marnes visite au comte de Brienne; à Saint-Cloud, il est admis à assister à la toilette de la duchesse de Polignac. Cet insigne honneur n'est pas perdu, car le remercîment s'inscrit aussitôt sur les tablettes: «C'est encore la plus jolie femme de la Cour. Les honneurs extérieurs, mais stériles de la plus haute faveur lui sont revenus18, mais ce n'en est pas moins l'archevêque qui gouverne absolument.»
Il gouverne, mais n'inspire guère de confiance, à tout le monde en général, aux Polignac en particulier. Il est vrai que ceux-ci regrettent Calonne, et pour cause.
Quelque désordre en Dauphiné, le duc de Tonnerre «perdant le peu de tête que Dieu lui a donné», les troupes blessées tirant sur les émeutiers; un dîner en famille chez l'évêque de Lisieux, la journée se terminant à l'hôtel de Soubise19, dont le marquis est mis à même d'admirer les splendeurs, voilà le bulletin des jours suivants, terminé par cette appréciation sur le Palais Royal:
«Si l'hôtel Soubise, tant il a grand air, est digne d'être habité par un prince de sang royal, il est une autre demeure à laquelle son maître a enlevé toute dignité, mais il en a fait pour les étrangers et les Parisiens un point de réunion de tout ce qu'il y a de plus agréable et de plus commode. Ma femme et moi nous avons été finir la journée à courir les allées et les galeries de ce palais marchand, car c'est ainsi qu'il devrait être maintenant nommé. Avec de l'argent on peut dans le même jour, et sans sortir de son enceinte, se fournir avec un luxe prodigieux de tout ce qu'on ne se procurerait pas en un an dans tout autre pays; on conçoit qu'un homme désœuvré passe sa vie au Palais Royal, on conçoit qu'un homme occupé aille y chercher du délassement.»
De la Haye il est arrivé de fâcheuses nouvelles sur la manière dont le comte de Saint-Priest
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Thomas de Somma, marquis de Circello, arriva le 12 octobre 1786 à Paris en qualité d'ambassadeur de Naples, il y resta jusqu'à la Révolution. Sa femme était née princesse Piccolomini. M. de Bombelles l'avait beaucoup connu à Naples et à Vienne.
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Alors à Saint-Cloud.
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Il y eut plusieurs châteaux à Meudon: 1o celui d'Antoine Sanguin, évêque d'Orléans, puis archevêque de Toulouse, grand-aumônier de France et gouverneur de Paris. Quand il reçut la pourpre en 1539, il prit le nom de cardinal de Meudon. Sa terre passa à sa nièce, la duchesse d'Etampes; 2o Charles, cardinal de Lorraine, archevêque de Reims, acheta Meudon et y fit construire par Philibert Delorme un nouveau château sur le point le plus élevé de la colline qui regarde la Seine. – Abel Servien, conseiller d'Etat, secrétaire d'Etat et ambassadeur, qui fut un des premiers membres de l'Académie française, acheta Meudon à la maison de Lorraine et y mourut en 1659. – Louvois acquit le château en 1680 et y fit des embellissements considérables. Louis XIV, par un arrangement avec Mme de Louvois, acheta Meudon 900.000 livres avec Choisy en plus et le donna au Dauphin; 3o Monseigneur, devenu maître du domaine, fit construire un nouveau château par Mansart, et Le Nostre dessina les jardins (Voir Piganiol de la Force,
12
Gouverneur du jeune Dauphin.
13
Marie-Emilie Jolly de Choin, fille du baron de Choin, gouverneur et grand bailli de Bourg-en-Bresse, fut introduite à la Cour par la princesse de Conti. Mariée secrètement au Dauphin, elle lui survécut longtemps. La date de sa mort est incertaine (d'après les
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Celui du cardinal de Lorraine, construit par Philibert Delorme. Ce château fut démoli en 1804.
15
Le jeune Dauphin né en 1779, y demeura en effet les deux dernières années de sa misérable vie. Il y mourut le 4 juin 1789. Sur l'enfant royal atteint d'une maladie de la colonne vertébrale il est des détails touchants. Voir surtout Hippeau,
16
Troisième fils de M. de Bombelles, celui qui sera le troisième mari de Marie-Louise.
17
Château aux portes de Versailles, près du Grand Chesnay, où étaient élevés les fils du comte d'Artois.
18
Il y avait alors dans les relations de la reine avec Mlle de Polignac des alternatives assez déconcertantes. Marie-Antoinette ne portait plus la même affection à son amie, et depuis qu'elle avait pris l'habitude de passer ses soirées chez la comtesse d'Ossun, sa dame d'atours, elle s'était parfaitement accoutumée, – chose qu'elle jugeait impossible autrefois – à savoir se passer de la Gouvernante de ses enfants.
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Attribué aujourd'hui aux Archives nationales.