Les Dernières Années du Marquis et de la Marquise de Bombelles. Fleury Maurice

Les Dernières Années du Marquis et de la Marquise de Bombelles - Fleury Maurice


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le monde, c'est vous et le comte Esterhazy.» On conçoit que le comte Valentin, fier de cette confidence, se soit empressé d'en faire part à Bombelles. Celui-ci, nous le savons, admirait fort l'intelligence et le dévouement à ses amis que témoignait Esterhazy, il avait à se louer des bons offices du colonel hongrois, il ne lui venait pas à l'idée que sa conduite en toute occasion pût être autre chose que désintéressée. Nous avons vu ailleurs28, nous verrons dans un chapitre postérieur que, si Esterhazy était capable de sincère et grand dévouement à un moment donné, il partageait avec les autres hommes ce défaut commun de ne pas négliger ses intérêts chaque fois qu'il en trouvait l'occasion.

      Sur la situation politique la Reine avait donné aussi ses impressions à Esterhazy. «Sa Majesté, continuait Bombelles, confiait à ce loyal favori il n'y a pas plus de quatre jours, en se promenant avec lui à Trianon, combien elle était malheureuse d'avoir choisi pour ministre principal un homme qui, désigné comme doué d'un mérite éminent, se rendait odieux à la nation; combien il était cruel pour elle de se voir détestée en ne voulant que le bien de la France; de voir en même temps son fils aîné dans le plus triste état et son frère humilié dans tous ses projets. «Connaissez-vous, ajouta-t-elle, une femme plus à plaindre que moi!»

      Et Bombelles qui a oublié ses anciens griefs contre la Reine – longtemps soupçonnée par lui d'avoir, pour raisons autrichiennes, entravé ou au moins retardé son avancement de diplomate – Bombelles, en veine de dévouement attendri, ajoute cette phrase: «Il est aisé de concevoir combien cette princesse, foncièrement bonne et aimable, doit souffrir de tant de chagrins réunis.»

      Avec sa femme, le marquis est allé à Beauregard rendre visite au marquis de Sérent que les affaires de Bretagne menacent de dépouiller de ses fonctions de gouverneur auprès des fils du comte d'Artois. Il a trouvé les Sérent assez ennuyés et dépités, pas encore découragés, car ils savent le frère du Roi décidé à les défendre. Le lendemain 22 juillet, «Mgr le comte d'Artois a eu une prise très vive avec Mgr l'archevêque de Sens, relativement à M. le marquis de Sérent. L'archevêque lui ayant dit qu'on pourrait trouver un autre homme pour élever Mgrs les ducs d'Angoulême et de Berry, Mgr le comte d'Artois lui a répondu que l'estime qu'il avait pour le gouverneur de ses enfants ne lui permettait pas de les confier en d'autres mains, et qu'ils suivraient le marquis de Sérent dans l'exil qu'on ordonnerait et que c'était à Mgr l'archevêque de Sens à voir s'il voulait outrer assez les choses pour exiler, par contre-coup, les petits-fils de France».

      Ainsi monté, le prince court chez le Roi chez qui il reste trois quarts d'heure en conversation. «Il en est sorti fort rouge, mais, en somme, ayant gain de cause, puisqu'il paraît décidé que l'on ne sévira pas autant qu'on le voulait dans la personne du marquis de Sérent. Mais on ne sait pas positivement s'il est exilé à Beauregard ou s'il a simplement défense de paraître à la Cour.»

      Les événements de Dauphiné ne laissent pas d'inquiéter aussi. «Le maréchal de Vaux29 qu'on y a envoyé est personnellement respecté; mais ayant voulu exercer les pouvoirs que la grande patente de commandement donne sur le civil comme sur le militaire, on lui a observé que les bourgeois ne pouvaient être soumis à l'autorité que d'après l'enregistrement de sa grande patente, et que le Parlement ne pouvant s'assembler, cet enregistrement était impossible à effectuer. Il a fallu en conséquence renvoyer à Grenoble M. de Tonnerre qui en revenait et n'était plus qu'à vingt lieues de Paris. On réglera le pouvoir de ces deux commandants, ou on ne réglera rien, laissant aller tout cela comme cela pourra aller30».

      Chacun s'agite et se trouble des événements provinciaux, dont la répercussion peut être immense; on commente la retraite de M. de Breteuil, que Bombelles n'est pas sans sentir très vivement. Le marquis a été questionné chez le Nonce où il a dîné avec les ambassadeurs, et il n'a pu que confirmer une nouvelle maintenant vraie. «J'ai passé la soirée avec M. le baron de Breteuil, écrit-il le lendemain 23, à Saint-Cloud. Il est aussi calme, aussi touchant, aussi noble que ferme dans sa résolution; avant de remettre sa démission, il désirait d'en prévenir la Reine qui lui a refusé une audience par une lettre faite pour raviser un des meilleurs serviteurs qu'aura jamais cette Princesse. Il lui a répondu dans les meilleurs termes sans insister pour la voir, et en prenant congé d'elle par écrit.

      «La Reine s'est ravisée, car le lendemain, ayant quitté dès le matin son pavillon du Mail, Breteuil s'est rendu à Versailles, et là il reçoit une lettre obligeante de la Reine qui lui donne audience entre une heure et deux au Petit Trianon.

      «M. de Breteuil s'est rendu avant au lever du Roi et lui a remis sa démission. Le Roi a écouté avec intérêt et bonté tout ce que le plus fidèle et le plus zélé de ses ministres lui a dit en se retirant. Au sortir de cette audience, M. le baron de Breteuil a été faire ses adieux au principal ministre, au garde des sceaux et aux autres ministres et secrétaires d'État. Il est entré dans son cabinet avec le calme d'un homme qui vient de se conduire noblement et qui a bien pesé d'avance ses démarches.»

      Après signature des lettres dont l'expédition ne souffrait pas de délai, après les adieux «remarquables en amabilité et en raison faits à ses commis», – il a cherché à les consoler ainsi que nombre de ses gens qui fondaient en larmes, – Breteuil est parti pour Trianon avec Bombelles. Il a rapporté à la Reine les sceaux de sa maison qu'elle lui avait confiés31. Pendant les quelques minutes qu'a duré l'audience, Marie-Antoinette lui a proposé de rester dans le Conseil, bien qu'il eût donné sa démission de secrétaire du Roi, mais Breteuil refusa tout en remerciant avec respect. «La Reine, lorsqu'il s'est retiré, lui a dit de toujours s'adresser à elle pour tout se qu'il pourrait désirer.»

      A Saint-Cloud les visites affluent. C'est d'abord le comte de Montmorin, M. de Lamoignon, des personnages politiques, des gens de Cour… même la comtesse du Barry. Le vertueux Bombelles éprouve un peu d'humeur à voir «le ton d'intimité de quelques femmes de la société du baron avec cette ancienne maîtresse de Louis XV. Elle n'a plus de beauté et n'a pas acquis, comme on me l'avait pourtant assuré, du maintien». Le soir, la duchesse de Praslin est venue, «mais elle n'a pas eu avec le ministre retiré, le ton de gens qu'un mutuel contentement rapproche… Mme de Bombelles qui avait été obligée de passer la journée à Versailles est arrivée au pavillon pour souper. M. de Breteuil avait eu l'attention de l'aller voir en retournant de Trianon à Saint-Cloud. C'est dans ce moment que n'ayant plus à craindre que l'attendrissement de ses vrais amis diminuât un peu de sa fermeté que nous nous sommes livrés sans scrupule à toute notre sensibilité».

      Bombelles doit énormément à Breteuil: c'est lui qui a protégé ses débuts de jeune diplomate, il s'est montré avec constance le conseil dévoué, l'ami chaud du ménage, il est juste que leurs témoignages de regret et de considération se montrent à la hauteur des services rendus et de l'amitié affichée. Mais Bombelles ne se contente pas des démonstrations verbales, il aime à écrire sa reconnaissance, et son Journal amplifie encore: «Je perds dans le conseil le seul homme qui eût à cœur d'y faire approuver ma besogne. Je porterai peut-être la peine de mon attachement à un ministre dont la conduite est une censure importune de celle de ses confrères; mais quelque chose qui m'arrive ou puisse m'arriver en mal, jamais la malice, l'injustice ou les fausses préventions ne pourront, en me conduisant bien, me faire autant de mal que l'amitié et les soins paternels de M. le baron de Breteuil ne m'ont fait de bien. C'est maintenant qu'il connaîtra ceux qui lui sont véritablement dévoués; c'est maintenant qu'il me sera vraiment doux de lui consacrer l'hommage d'une juste, mais vive reconnaissance.»

      Voilà une vraie profession de foi. Si hyperbolique qu'elle puisse sembler, Bombelles l'écrit comme il la pense; il donnera plus tard mainte preuve de son attachement à Breteuil, comme Breteuil ne manquera pas une occasion de protéger Bombelles, de le pousser dans les voies politiques jusque dans l'émigration. On appellera Bombelles le Sosie de Breteuil, parce que leurs actes et leurs dires s'entr'aideront et se complèteront. Nous verrons même en quoi le fait d'être inféodé à la politique royaliste de Breteuil aliénera


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<p>28</p>

Voir Fantômes et Silhouettes.

<p>29</p>

Noël de Jourdan, comte de Vaux, né en 1705, entré au service en 1724. Après des services éclatants surtout pendant la guerre de Sept Ans, il devint lieutenant général en 1759, commanda en chef dans la Corse, soumit l'île en trois mois; maréchal en 1783, mort en 1788. Le général Canonge lui a consacré une étude militaire très fouillée (Le Carnet, 1905).

<p>30</p>

La vérité est que le maréchal de Vaux dut transiger pour rendre aux Dauphinois leurs Etats particuliers. Voir la note plus loin.

<p>31</p>

Laurent de Villedeuil, son successeur, prêta serment dès le 27. C'était un ancien intendant de Rouen qui, un instant, avait été contrôleur général.