Les Dernières Années du Marquis et de la Marquise de Bombelles. Fleury Maurice

Les Dernières Années du Marquis et de la Marquise de Bombelles - Fleury Maurice


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de Hollande, M. de Benkenrod, a fait des excuses et promis au nom de la République que sa Cour serait satisfaite des réparations. M. de Saint-Priest n'est pas amplement persuadé que son séjour en Hollande puisse être long, et il s'apprête plutôt à rentrer en France, et M. de Bombelles de prendre sa plume chagrine pour noter: «Si nous continuons à nous conduire comme nous faisons, il faudra nous armer d'une triste patience et nous attendre à recevoir toutes les avaries imaginables.» Les lignes écrites en 1788 ne pourraient-elles s'appliquer à notre politique extérieure actuelle? De concession en concession…

      Le marquis continue la vie de mouvement qui est dans ses goûts et qui doit être dans ses intérêts. Il mène ses enfants chez le baron de Breteuil, et ses trois fils sont jugés ce qu'ils sont: forts et gentils; il est parfaitement reçu à Saint-Cloud par la duchesse de Lorge qui est de service auprès de la comtesse d'Artois; un soir que Mme de Bombelles est allée souper chez la comtesse de Marsan, il s'en va, lui, chez Mme de Rougé, qui est toujours jolie «et qui le sera, à l'âge où Ninon de Lenclos était sensible et aimée». Bien souvent il est seul à sortir, il trouve en rentrant chez lui sa femme lisant, ses enfants dormant heureusement, «enfin le calme d'un ménage dont une aimable compagne fait les délices». Voilà dix ans que M. et Mme de Bombelles sont mariés; cette phrase d'un journal n'en dit-elle pas plus que toutes les déclarations arrangées?

      On craint de nombreux troubles en Bretagne et en Bourgogne, le Dauphiné s'apaise à peine, la Provence «a trompé l'espoir conçu par son commandant en chef le comte de Caraman», pamphlets et chansons l'ont devancé à Aix…

      «On dit au Roi: le feu est aux quatre coins de votre royaume; toutes les apparences donnent un air de vérité à cette phrase, et il faut de longs raisonnements à M. de Brienne pour prouver à Sa Majesté que sa malignité cherche à augmenter l'effroi des commotions qu'elle suscite…» Les empiriques assaillent le principal ministre comme un médium, ils s'emparent d'un homme affaibli par le choc de trop rudes attaques. «Si M. de Brienne résiste à l'orage, je persiste à croire qu'il est en état de faire le bien de ce pays, mais je commence à craindre qu'il ne soit léger et qu'il ne trouve lui-même sa tâche supérieure à ses moyens.» Des brochures contre ou pour Loménie de Brienne courent les rues. Dans l'une d'elles, que Bombelles juge éminemment maladroite, l'auteur fait de la monarchie un despotisme dont l'arbitraire doit même être regardé avec respect par les sujets comme étant ce qui peut être le plus avantageux pour eux. «Il en est de certains principes comme de l'emploi des poisons en bonne pharmacie. On ne dit pas à un mourant: je vais vous sauver en donnant à votre corps une secousse violente, une action qui, peut-être, le rappellera à la vie.» Et Bombelles d'en arriver à cette conclusion: «On sait bien que la ligne de démarcation entre le despotisme et notre monarchie est presqu'imperceptible, et qu'un prince qui tient à sa solde une nombreuse armée, ne sera déjoué que par sa propre et gratuite faiblesse. Mais il est maladroit de montrer à une grande nation tous les désavantages de sa constitution en voulant les lui faire adopter comme un bien.»

      C'est le 22 juin que Mlle de Rohan-Rochefort devait rendre une réponse définitive au duc de Cadaval qui, ballotté depuis deux ans, n'avait pas renoncé à l'épouser21. La réponse est venue le 21, et elle est négative. Le marquis énonce sèchement, sans commentaire, mais en homme peu satisfait de s'être donné à Lisbonne et à Paris, autant de mal pour arriver à ce résultat blessant pour son amour-propre: «Mme la comtesse de Marsan, le prince et la princesse de Guéménée22 et la princesse Charlotte de Rohan m'ont prié aussi ce soir de témoigner leurs regrets à M. le duc de Cadaval sur ce que, par une répugnance invincible, Mlle de Rohan-Rochefort ne peut accepter sa main, le 22, à Versailles.»

      Ceci a visiblement agacé M. de Bombelles. Il se venge par épigrammes… sur les autres. «J'ai dîné avec une grande partie du corps diplomatique chez M. l'ambassadeur de l'Empereur. Je me suis trouvé à table entre mon bon ambassadeur de Portugal23 qui n'a pas inventé la poudre et le baron de Talleyrand, notre ambassadeur à Naples qui a peu de salpêtre dans les idées… Au bout opposé à nous était M. de Suffren24 qui perd chaque jour de paix par son goût pour l'intrigue, par sa rebutante gourmandise et sa dégoûtante malpropreté, quelques nuances de la considération qu'il reprendrait s'il remontait nos vaisseaux.

      Le 23 à son coucher, le roi «qui depuis son avènement à la couronne ne m'avait pas une seule fois adressé la parole m'a parlé fort longtemps. Ses questions ont porté sur le Portugal, son climat, ses usages, la fécondité des femmes et le mariage du duc de Bragance».

      M. de Bombelles ne fait pas de réflexions sur cette faveur inattendue d'avoir été à même d'entendre le son de la voix du Roi s'adressant à sa personne. Ministre ou ambassadeur depuis treize ans et ayant fait d'assez fréquents séjours à Versailles, il aurait le droit de marquer son étonnement de cette indifférence. Il n'en fait rien, connaissant le rôle effacé de Louis XVI!

      Ce qui est plus important, c'est que la souveraine s'est montrée aimable. «La Reine qui avait bien voulu faire attention à ce que, depuis mon retour, je n'avais pas encore eu l'honneur de lui être présenté m'a dit aujourd'hui, au moment où tout le corps diplomatique était chez elle, qu'elle m'avait manqué dans plusieurs endroits où elle était venue un instant après que je venais d'en sortir, qu'elle en avait été fâchée parce qu'elle avait grand désir de me voir et qu'elle était charmée que ma santé fût meilleure.»

      Monsieur et Madame ont témoigné à Bombelles une égale bonté, «mais jamais princes ou princesses n'ont eu la grâce qu'a la Reine lorsqu'elle veut bien traiter qui que ce soit.»

      Chez la duchesse de Polignac, le soir, se pressaient les ambassadeurs à qui Marie-Antoinette a distribué des phrases aimables. «L'ambassadeur de l'Empereur est venu montrer une minute sa longue et sèche nature, accompagné d'un seigneur flamand qui s'est fait assigner en déplaisance dans la société».

      «La Reine a été chercher M. le duc de Normandie, un des plus beaux enfants qu'on puisse voir. Elle l'a fait chanter, ce dont il s'acquitte très drôlement. Sa Majesté m'a dit les airs qu'il fallait demander à son fils… Quelques courtisans ont vanté la justesse des sons; heureusement qu'il ne m'a pas été demandé ce que j'en pensais. Les princes de la maison de Bourbon ne brillent pas par la justesse de leurs voix.»

      Les nouvelles politiques ne sont pas sans attrister le marquis. Outre les affaires de Hollande, il y a les questions intérieures dans lesquelles se débat l'archevêque de Sens. «Tous les députés des provinces ont dîné chez lui (le 29); il ne sait auquel entendre, les prétentions croissent chaque jour davantage. La Bretagne déclare qu'elle ne paiera plus rien, et qu'elle se considère comme affranchie de toute dépendance de la couronne, depuis l'infraction annoncée de ses privilèges.»

      Que, faisant trêve à ses réflexions politiques ou à son bulletin de Cour, M. de Bombelles émaille son Journal de quelques notes de famille écrites en gamme attendrie, ceci ne saurait nous étonner. Avec sa femme et Louis, son fils aîné, le marquis s'est rendu le 30 juin à Paris. «Il me quitte maintenant le moins que je puis, il est de jour en jour plus doux, plus sensible aux avis dont son esprit sent la justesse. Sa tendresse pour sa mère ne prend point sur celle qu'il a pour moi. Nous voyons croître un ami, qui nous osons nous en flatter, fera notre joie et la consolation de mes vieux jours. Ses frères font en ce moment le délice de toutes les minutes de notre vie. Le ciel conserve ces chers enfants!»

      Tandis que Mme de Bombelles est de service auprès de Madame Élisabeth, son mari s'efforce de distraire son isolement. Il a soin de nous informer des visites qu'il rend au baron de Breteuil et au maréchal de Castries, à la comtesse de la Luzerne, chez lui l'on fait bonne chère; on y joue aussi au quinze, ce qui n'enrichit guère le marquis. Il y a eu aussi dîner chez la marquise de Louvois. «En sortant de table, nous avons mené le chevalier d'Almeida et les Portugais à la Comédie Française. On y représentait Mahomet; ma soirée (du 10 juillet) s'est terminée chez Mme de Rougé: les deux belles-sœurs Mmes de la Rochefoucauld


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<p>21</p>

Voir dans le précédent volume ces laborieuses négociations qui devaient échouer. On se rappelle que cette Mlle de Rohan-Rochefort est celle qui devait être aimée par le duc d'Enghien, et à laquelle M. Jacques de la Faye a consacré un fort agréable volume.

<p>22</p>

Ce qui prouve que les «faillis» de 1781 pouvaient commencer, ayant à peu près payé leurs dettes, à se remontrer à la cour.

<p>23</p>

Le chevalier d'Alméida.

<p>24</p>

Pierre-André, bailli de Suffren, Saint-Tropez, vice-amiral, l'un des plus grands hommes de mer qu'ait eus la France, (1726-1788).