Les Dernières Années du Marquis et de la Marquise de Bombelles. Fleury Maurice
rel="nofollow" href="#n32" type="note">32, les ducs de Saulx33 et de Céreste34 et beaucoup d'autres personnes de marque, chez la maréchale de Duras où le marquis a soupé, tandis que Mmes de Bombelles et de Louvois se consacrent à Mme de Matignon, le sujet presque unique de l'entretien est la question de l'assemblée du Dauphiné. Le maréchal de Vaux ayant dû reculer, il sera difficile de s'opposer à ce que les Dauphinois gardent la forme ancienne de leurs Parlements. Deux jours après, des nouvelles complémentaires arrivent. L'assemblée de Grenoble a déclaré que si le Roi ne retire pas ses édits elle pourvoiera elle-même «à sauver les peuples des inconvénients de ces édits. On est partagé sur la conduite du maréchal de Vaux…; cinquante mille livres ont été donnés à la ville de Grenoble pour réparer les dommages occasionnés par l'émeute35».
En Béarn il y eut aussi des désordres. Le duc de Guiche, comme représentant des Gramont, la plus illustre famille du pays, a été envoyé par le Roi. Un grand nombre de nobles et de paysans allèrent à la rencontre du duc, avec des démonstrations de joie et de vénération en portant au milieu d'eux, comme un palladium, le berceau de Henri IV. Le Béarn ne proclama pas son indépendance comme le faisait craindre l'état d'exaspération où se montraient ses habitants, mais l'envoyé du Roi n'obtint pas que les édits nouveaux fussent acceptés.
CHAPITRE II
Continuation du Journal. – La députation de Bretagne et le Roi. – Les ambassadeurs de Tippoo-Saheb à Trianon. – Chute de Loménie de Brienne. – Facéties des Parisiens à ce sujet. – Les dessous de la disgrâce. – La duchesse de Polignac. – Disgrâce de Lamoignon. – Emeute à ce sujet. – Le Parlement et la Cour. – Prodrômes d'événements graves. – Tristesse de Louis XVI.
Le Journal continue, entremêlant assez agréablement pour le lecteur faits politiques et nouvelles de Cour.
Une députation de Bretagne est venue réclamer la liberté de ceux qui les avaient précédés et en même temps le rétablissement du Parlement breton. Le Roi a reçu les députés des commissions intermédiaires et leur a fait une réponse «qui, souligne Bombelles, n'est approuvée que par les coopérateurs de la besogne présente».
«J'ai lu le mémoire que vous m'avez remis; j'avais lu ceux qui l'avaient précédé; vous n'auriez pas dû me les rappeler. J'écouterai toujours les représentations qui me seront faites dans les formes prescrites.
«L'assemblée qui a député douze gentilshommes n'était point autorisée; aucune permission ne m'avait été demandée. Ils ont eux-mêmes convoqué à Paris la plus irrégulière des assemblées: j'ai dû les punir. Le moyen de mériter ma clémence est de ne pas perpétuer en Bretagne, par de pareilles assemblées, la cause de mon mécontentement. Les commissions qui vous ont chargés de me demander le rétablissement de mon Parlement de Bretagne ne pouvaient pas prévoir la conduite qu'il vient de tenir. Elles n'auraient pas sollicité pour lui une marque de confiance lorsqu'il me porte à lui en donner de mon animadversion.
«Mais ces punitions personnelles que le bon ordre et le maintien de mon autorité exigent, n'altèrent en rien mon affection pour la province de Bretagne. Vos États seront assemblés dans le mois d'octobre. C'est par eux que doit me parvenir le vœu de la province. J'entendrai leur représentation et j'y aurai l'égard qu'elles pourront mériter.
«Vos privilèges seront conservés. En me témoignant fidélité et soumission, on peut tout espérer de ma bonté, et le plus grand tort que mes sujets puissent avoir auprès de moi, c'est de me forcer à des actes de rigueur et de sévérité; mon intention est que vous retourniez demain à vos fonctions.»
Laissons les députés de Bretagne préparer leur troisième mémoire. Refusons-nous à de trop longues considérations sur ces résistances des assemblées provinciales désireuses de reprendre leur ancienne influence; par prudence, ne prenons pas parti dans un différend où le Roi défend son pouvoir absolu – ce qui est son droit – et où les représentants des classes privilégiées défendent en même temps leurs privilèges et les revendications du peuple, – toutes les classes alors s'unissant contre le Gouvernement; – notons seulement ces murmures et ces revendications plus ou moins âpres suivant les provinces, étonnons-nous moins, en résumé, en écoutant les bruits de 1788, des clameurs que nous entendrons l'année suivante.
Le marquis continue à marquer sur son Journal les visites intéressantes qu'il ne cesse de faire. Il n'a pas oublié la princesse de Vaudémont36: «Je l'ai trouvée non dans un boudoir de jolie femme, mais dans un cabinet de livres; elle a su mettre à profit de longues et extraordinaires maladies pour se donner par une belle instruction un genre de ressources qui ne nous manquent jamais.»
Chez la duchesse de la Vauguyon, il a conduit le 3 août le chevalier d'Alméida et un autre Portugais de marque, don Fernando de Lima. «Sa fille mariée au petit prince de Listenois, beaucoup plus jeune qu'elle, est jolie, agréable, et moins gesticulante que sa mère dont elle a la charmante physionomie et la belle taille. J'ai renouvelé connaissance avec le prince de Bauffremont qui, autrefois connu sous le nom de chevalier de Listenois, faisait les délices de la Cour de Lunéville, du temps où le bon, l'aimable Roi Stanislas fixait autour de lui tout ce qui ne se trouve plus auprès des plus grands monarques, c'est-à-dire nombre de gens de mérite et beaucoup d'un bon esprit37.»
Tout ce qui touche le baron de Breteuil a le don d'inspirer notre narrateur. Aussi s'étend-il volontiers sur les marches et contre-marches de son protecteur. Nous n'ignorons rien de ses projets comme de ses faits et gestes. Avant de partir pour Dangu il a mis de l'ordre dans sa maison, réformé les dépenses extraordinaires. Il n'a gardé positivement que les gens qu'il lui fallait, mais il s'est occupé en père de famille à placer tous les autres. Son chef de cuisine entrait dans son premier plan de réforme. Il avait été sur le point de le renvoyer à Vienne à cause de son excessive cherté. «Ce cuisinier s'était corrigé quant à la partie économique, et lorsque M. le baron a voulu se séparer de lui, il a dit à son maître: «C'est chez vous, c'est par vous que j'ai gagné tout ce que je possède, je pourrais aujourd'hui vous servir pour rien, souffrez que je ne vous quitte pas, je connais vos goûts. Je les étudierai de plus en plus, et je vous serai, par mes soins, moins dispendieux que quiconque dirigerait votre cuisine.» M. le baron s'est trouvé sans défense contre ce langage touchant, et le sieur Chandelier, car il mérite qu'on le nomme, continuera à bien nourrir son maître et ses amis.» Voilà donc un cuisinier rare, qui, grâce à Bombelles, passe à la postérité… au moment où par un arrêt du Conseil le Roi suspendait la Cour plénière et convoquait les États généraux pour le 1er mai 178938.
Voici qu'un petit événement va distraire la Cour et la Ville et dissiper un moment les nuages qui assombrissent l'horizon: l'arrivée à Paris des ambassadeurs de Tippoo-Saheb, sultan Bahadour de Mysore, qui venaient réclamer notre appui contre les Anglais.
A la suite d'un long voyage coupé d'arrêts à l'Ile de France, au cap de Bonne-Espérance, à Malaga, ils sont débarqués à Toulon le 8 juillet. Après avoir excité la curiosité sur tout le parcours, à Marseille, à Lyon, à Fontainebleau, ils ont été magnifiquement reçus à Paris. On les attend à Versailles le 8 août, les dames de la Cour se sont mises en frais particuliers, la sage Mme de Bombelles a commandé à Mlle Bertin un «pouf» de haut goût, le marquis s'est rendu lui-même chez la fameuse modiste pour lui recommander d'être exacte à livrer la coiffure choisie…
«Tout Versailles a été occupé aujourd'hui, écrit M. de Bombelles le 9, de l'arrivée des ambassadeurs indiens à Trianon39, et un grand nombre de Parisiens sont arrivés pour voir demain l'audience qui sera donnée à ces ambassadeurs.
«Ils se sont fait longtemps attendre, ce qui a quelque peu impatienté les courtisans. Aucune recherche n'avait été négligée pour
33
Charles-François, comte de Saulx, duc héréditaire de Saulx-Tavannes en 1786, colonel aux grenadiers de France, chevalier d'honneur de la Reine; émigré, pair de France en 1814; titre éteint.
34
Titre ducal héréditaire, concédé en 1764 à Louis-Albert de Brancas, frère consanguin du duc de Brancas-Villars. Devenu chambellan de Napoléon Ier, pair de France, grand d'Espagne par héritage de son cousin le marquis de Céreste, mort sans enfant.
35
Voir dans l'ouvrage de Todière, le chapitre XI,
Les émeutes que Bombelles ne fait qu'indiquer avaient été fort graves à Grenoble. On avait rappelé Clermont-Tonnerre, qui n'avait pas su se faire respecter et qui, pour sauver sa vie menacée par la hache d'un mutin, avait capitulé. Ce n'était plus seulement une assemblée de gentilshommes, un corps de magistrats en état de résistance, c'était une portion de l'armée en état de dissolution, disposée à passer de l'obéissance à la révolte. Des soldats étaient gagnés. Comme un officier donnait l'ordre de faire feu, on entendit ces mots:
L'Assemblée des Etats
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Née Montmorency, mariée à un prince lorrain. Femme d'esprit très cultivé et libéral qui devait compter des amis dans tous les partis. Après la Révolution, elle se lia avec Talleyrand, avec Mme de Custine, tint un salon très intéressant. Elle resta fidèle à Fouché, même après sa disgrâce.
37
M. Gaston Maugras vient de publier un agréable livre sur la
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On n'y croyait pas encore, et bien que créé bruyamment dans Paris, l'arrêt ne fit pas le bruit que certains en attendaient. «Le public est dans une disposition contraire à la confiance.»
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Le 8, ils avaient visité le parc de Saint-Cloud, et les grandes eaux avaient joué en leur honneur. Asselin fit en 1789 de cette scène une jolie gouache, qui est au musée de Sèvres. En voir la reproduction dans le