Les Dernières Années du Marquis et de la Marquise de Bombelles. Fleury Maurice

Les Dernières Années du Marquis et de la Marquise de Bombelles - Fleury Maurice


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confesse Bombelles, hier elle s'est emportée contre tous les ministres dans un comité où l'on agitait la manière de rendre le Parlement à ses fonctions… Le Roi, dont tous ces conflits énervent l'autorité, ne peut connaître à quel point ils lui sont fâcheux.»

      Néanmoins Louis XVI s'est montré de belle humeur à son coucher. Il a dit des choses aimables à Bombelles et a fait des bons mots.

      Le lit de justice contre lequel ont protesté la Chambre des Enquêtes et la Grande Chambre semblait destiné à faire éclater de violents orages… Soudain tout est décommandé en même temps qu'on apprend la démission définitive de Lamoignon. Plus de lit de justice, les Parlements reprendront leurs fonctions. «Il est très vrai, écrit M. de Bombelles le 15 septembre, que le Parlement a désiré que Mme la duchesse de Polignac fît passer à la Reine ses propositions, mais elle s'en est excusée en disant qu'elle devait répondre à la confiance qu'on lui marquait en avouant à la Cour que, sûre de l'estime de la Reine, se flattant encore de son amitié, elle n'avait plus le droit de lui parler d'affaires de cette importance, qu'en voulant s'en mêler, elle nuirait plus qu'elle ne servirait, attendu que M. l'abbé de Vermond gâterait et renverserait dans un quart d'heure tout ce qu'elle aurait pu obtenir de Sa Majesté.»

      Mme de Polignac ne doute pas que cette réponse ne tarderait pas à venir aux oreilles de la Reine. Elle préfère donc lui dire mot pour mot ce qu'elle avait dit à l'émissaire du Parlement. «La Reine a rougi, a baissé les yeux et n'a rien répondu.»

      M. de Lamoignon s'est décidé à partir pour Basville. C'est là nouvelle occasion de tapage pour la jeunesse bazochienne et la populace. Il y eut de gros désordres. Des bandes nombreuses se rassemblèrent sur la place Dauphine et sur le Pont-Neuf. On brûla aussi le mannequin de Lamoignon en simarre, après avoir ordonné qu'il serait sursis quarante jours à son exécution, par allusion à son ordonnance sur la jurisprudence criminelle. La place Dauphine ressembla à un champ de bataille par l'énorme quantité de fusées et de pétards que la foule y lançait chaque soir. Les gens paisibles évitaient ces rassemblements, mais on ne fut pas peu étonné de savoir que le duc d'Orléans s'y laissa entraîner; il ne craignit pas de se donner en spectacle à la populace qui, voyant en lui une victime de la Cour, le couvrit d'applaudissements.

      Pour célébrer les funérailles de Lamoignon, de longues théories d'hommes portant des flambeaux partirent du Pont-Neuf et se dirigèrent vers l'hôtel du Garde des Sceaux situé rue de Grenelle, avec l'intention d'y mettre le feu. Quelques détachements des Invalides commandés par un officier déterminé réussirent à empêcher ces bandes d'exécuter leur projet: les enragés se jetèrent alors dans la rue Saint-Dominique pour y brûler l'hôtel de Brienne, ministre de la Guerre. Des Invalides arrivait aussitôt un autre détachement qui chargea la foule, tandis qu'un peloton des gardes françaises débouchait par le bout opposé de la rue: les émeutiers se trouvaient pris entre deux feux: il y eut une vingtaine de morts et un grand nombre de blessés… D'autres émeutes éclatèrent en d'autres coins de Paris, notamment rue Meslée où demeurait Dubois, le chevalier du Guet53.

      On a reçu le 18 l'arrêt du Conseil qui annule celui54 dont l'explosion a fait sauter l'archevêque de Sens55, «on sait que les exilés sont mis en liberté, mais les opinions les plus diverses ont cours sur le nouveau ministre». «Tout ce que dit M. Necker en de belles et longues phrases, écrit M. Bombelles56, n'est pas propre à ramener entièrement la confiance; aussi les fonds ne haussent-ils pas. Bien des gens croient que le directeur général des finances ne connaissait pas toute la profondeur de l'abîme creusé par MM. de Calonne et de Brienne. La réplique de M. Necker au mémoire de M. de Calonne est depuis quelques jours dans les mains de tout le monde; les enthousiastes la mettent aux nues; les financiers la critiquent à force, les personnes sensées et impartiales suspendent leur jugement. M. Necker a voulu être éloquent et parfois plaisant dans cette réponse, et il n'a atteint aucun de ces mérites. Il s'est sans doute flatté que, dans un instant où il a de l'empire sur toutes les têtes, il pourrait aussi, en dictateur, nous faire adopter bien des mots qui ne sont pas français et qui n'ajoutent aucune clarté à ceux que nous possédons.»

      «La déclaration du 23 septembre, qui fixait l'ouverture des États Généraux au 1er janvier 1789, allait de plus donner de nouvelles satisfactions au public et surtout aux Parlements et aux Cours souveraines rendus à leurs sièges. Dès le 24, les Cours étaient rassemblées par M. de Barentin, le nouveau Garde des Sceaux. Les membres du Parlement de Paris se présentaient au Palais et y reprenaient le cours de leurs séances interrompues depuis cinq mois. S'il faut en croire le libraire Hardy, ils eurent peine à fendre la multitude prodigieuse d'hommes de tous états venus pour les saluer de leurs applaudissements. Dès cette séance de rentrée on proposa la mise en accusation du Garde des Sceaux et du principal ministre précédents, on agita la question de la responsabilité des ministres. Un magistrat, Bodkin de Fitz Gerald, opina: «La Cour manquerait au Roi, à l'État, aux lois, à elle-même, si elle n'avisait aux moyens d'empêcher que la nation ne retombe par la suite dans une crise semblable à celle qui a été sur le point de la perdre57

      La province ne se contenta pas d'imiter le mouvement de satisfaction donné par Paris, elle renchérit. A Dijon, on promena solennellement sur un char l'image de la Liberté; à Bordeaux, la voiture du premier Président fut dételée.

      La joie des Parlements, ces manifestations bruyantes de «libéralisme», qui plaisaient à une partie du public, en effrayaient une autre, même des magistrats qui restaient interdits de voir exaucer si promptement des vœux qui n'avaient pas été sincères… Bombelles ne manque pas à l'annonce de tant de réformes qui lui font peur, de noter: «L'autorité de nos Rois ne fut jamais aussi cruellement compromise, ce qui réjouit fort les bourgeois enflés de l'orgueil de la magistrature, mais ce qui doit véritablement affliger les vrais serviteurs de l'État.»

      Le marquis reprendra bientôt la trame des événements, qu'il suit en spectateur très averti. Dans l'intervalle, il note des anecdotes de Cour ou des réflexions intimes.

      Il y a longtemps que son Journal ne nous a parlé de Madame Élisabeth. La petite Cour de Montreuil n'apporte guère d'échos saillants; Madame Élisabeth, en dehors des cérémonies auxquelles elle est obligée d'assister, partage la journée entre l'intimité de ses dames et les occupations dont nous la savons coutumière: promenades à cheval, visites à Saint-Cyr, études de botanique, sans oublier les pauvres dont elle continue à être la Providence. Depuis quelques mois, au fur et à mesure de la marche des événements, elle comptait une occupation de plus; elle lisait avidement brochures et libelles, cherchait, parmi ce fatras de la littérature politique, à se former une opinion. Elle rentre pour l'heure du souper à Versailles et se mêle alors pour quelques heures au mouvement de Cour. Elle écoute et elle observe, et son jugement mûri lui fait deviner bien des choses qu'on n'aurait jamais eu l'idée de lui confier. L'avenir lui paraissait sombre et menaçant, elle ne pouvait le cacher à ses amies; moins que quiconque, nous la verrons s'étonner de la précipitation des événements, mais son doux optimisme, le fond de gaieté de son caractère, lui feront toujours entrevoir le beau côté des choses.

      Angélique est toujours la femme sérieuse et bien raisonnante que nous avons connue. Si nous ne pouvons l'entendre parler elle-même, du moins de temps à autre rencontrons-nous quelques traits dessinés par le mari dont ni le temps, ni l'air ambiant de la Cour, ni la présence continue n'ont pu attiédir les sentiments.

      Tandis qu'on s'agite au Parlement, Mme de Bombelles s'attriste du départ de sa «petite» belle-sœur, Mme de Mackau, qui va rejoindre son mari, nommé ministre à Stuttgard. M. de Bombelles leur décerne à chacune la part d'éloges dont il les juge dignes: «Je les ai laissées jouir des derniers moments qui précèdent une absence bien cruelle pour toutes deux. Ces deux femmes sont deux anges sous tous les rapports; toutes deux n'ont et n'ont eu que les agréments de la jeunesse, presqu'en sortant de l'enfance. Elles ont été d'excellentes mères, des femmes prudentes, des amies solides. Jamais une ombre


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<p>53</p>

Bezenval, Mémoires; – Hardy, Journal, t. VIII; – Todières, Louis XVI, etc., t. II.

<p>54</p>

Parlant de l'arrêt du Conseil qui révoquait au nom du Roi celui du 16 août (l'arrêt de la banqueroute), Hardy prétend qu'on devrait le traduire ainsi: «Mon ministre Necker par la confiance qu'il inspire m'a enfin fait trouver de quoi attendre les Etats Généraux» (t. VIII, p. 87).

<p>55</p>

Voir Mémoires de Bezenval et Histoire parlementaire, t. I.

<p>56</p>

Bombelles est sévère pour la rentrée de Necker, dans ces difficiles circonstances, et il ne sera pas toujours juste pour son administration. On devra tenir compte au directeur des finances de ses intentions qui étaient bonnes, des tentatives faites pour enrayer le mal et empêcher la banqueroute en donnant des garanties personnelles et des acomptes aux créanciers, en assurant les services et en pourvoyant aux besoins ordinaires. Le désordre était si grand, les difficultés étaient telles que réussir dans l'effort tardif qu'il lui était permis de faire était chose hasardeuse, et d'ailleurs l'homme politique n'était pas à la hauteur du financier. Cependant, avant de porter un jugement définitif sur Necker, on devra relire ce passage bienveillant d'un livre de M. de Monthyon: «La banqueroute était inévitable, et cependant fut évitée sans beaucoup de force, sans emprunts, sans ces billets d'Etat si effrayants… Il n'est aucun temps de l'administration de M. Necker où il ait montré plus d'adresse, de sagacité et de talent. Ses industrieuses et justes combinaisons, et le succès qu'elles ont obtenu tiennent du prodige; et cependant ce n'est point l'époque de son administration qui a été l'objet des éloges de ses partisans, parce que les hommes sont plus touchés, plus reconnaissants du bien qu'on leur fait que des maux qu'on leur évite, lors même que le service est le plus grand.» (Particularités et observations sur les ministres des finances, p. 312.) Le contrôleur général doit être loué; autre chose du premier ministre. Quoiqu'ils en aient écrit lui et sa fille, Necker était-il capable, s'il avait pris le pouvoir quinze mois plus tôt, de sauver la situation? Il est permis d'en douter.

<p>57</p>

Hardy, VIII, 142.