Les Dernières Années du Marquis et de la Marquise de Bombelles. Fleury Maurice
ces trois jours, mais les partisans de M. Necker craignent qu'il ne résiste pas aux cabales qui se déchaînent contre lui. Bombelles estime que les cabales ne seront pas seules cause de la non-réussite du ministre, il ne tardera pas à reconnaître son impuissance.
Une assemblée des Notables se réunira le 3 novembre, la nouvelle en est annoncée le 3 octobre. Précaution de Necker pour discuter à nouveau la question des trois ordres, celle des cahiers, et aussi l'élection des députés. C'était par le fait reculer l'époque de la réunion des États Généraux; cette mesure, approuvée par la plupart, fut blâmée par ceux qui se montraient pressés en besogne.
On colporte la nouvelle que la duchesse de Polignac tombée en disgrâce va être renvoyée; c'est Mme de Mackau qui a prévenu son gendre: Mme de Polignac lui serait reconnaissante de remonter, autant que faire se pourrait, à la source d'un propos tenu par M. Durival, premier commis des fonds des Affaires étrangères. Et Bombelles, maintenant au mieux avec les Polignac, de s'émouvoir d'un événement «affligeant pour les personnes qui désirent le bien».
Il a couru sur-le-champ chez M. Durival, et dans une longue conversation roulant sur des généralités, il s'est rendu compte que si le fonctionnaire s'est permis ce langage, «il n'était que l'écho du sieur abbé de Vermond; celui-ci tenant toujours ses assises chez Mipue, le directeur des bâtiments de la Reine, y voit Durival et s'en empare pour plastron de sa bavarde loquèle, lorsqu'il se promène à pied autour de Versailles. L'abbé est le plus jactant des humains; non content de l'énorme crédit dont il abuse, il voudrait persuader que les choses les plus difficiles lui sont possibles». On peut supposer qu'il voudrait obtenir de la Reine le renvoi de Mme de Polignac; en cela d'accord avec l'archevêque de Sens, qui n'a pas perdu l'espoir de reprendre sa place dans le Conseil des ministres et voudrait écarter du château tout ce qui ne lui est pas servilement dévoué.
La duchesse de son côté a agi directement auprès de la Reine et a sollicité la faveur d'une explication. «Elle faisait une démarche, continue Bombelles, que la franchise et l'honnêteté de son caractère lui ont dictée et que la prudence lui défendait.»
La Reine s'est rendue chez Mme de Polignac, qui lui conta tout simplement les bruits qui se répandaient en pareille circonstance. Deux ans auparavant, Marie-Antoinette avait rassuré son amie «avec grâce et sentiment». Cette fois elle répliqua assez durement: «Ne dit-on pas aussi que tout le monde se ligue pour éloigner de moi M. l'abbé de Vermond?»
Pour une autre que la duchesse, cette réponse aurait signifié une très prochaine disgrâce… «Je persiste à croire, opine Bombelles, que la Reine a pris des engagements trop forts pour pouvoir renvoyer sans motifs connus la gouvernante des Enfants de France. Elle se bornera à lui donner des dégoûts qui auront un terme; la Reine sera forcée d'en revenir à Mme de Polignac. Un fou, un sot, des fripons l'ont trompée, la trompent encore; mais cela ne peut durer. Cela aurait déjà cessé si Mme de Polignac mettait plus d'adresse dans sa conduite.»
Quelques jours après, M. de Bombelles fait des réflexions sur le Parlement qui accumule impertinences sur prétentions. «Les jeunes gens des Enquêtes disent publiquement que si le Roi, assisté de ses notables, procède à une convocation des États Généraux qui ne convienne pas à nos seigneurs du Parlement de Paris, ils convoqueront eux-mêmes, et de leur propre autorité, la nation.»
«L'arrêt du Conseil d'État rendu le 5 pour l'Assemblée des Notables, au 3 novembre prochain, a été publié aujourd'hui; toutes ses intentions sont sagement présentées et tendent à prouver combien le Parlement a été impopulaire en voulant qu'on s'en tînt à la forme de convocation des États Généraux de 1614, pour appeler ceux qui se tiendront en 1789.
«Le Roi dit qu'après cent soixante-quinze ans d'interruption des États généraux et après de grands changements survenus dans plusieurs parties essentielles de l'ordre public, elle ne pouvait prendre trop de précautions, non seulement pour éclairer sûrement ses déterminations, mais encore pour donner au plan qu'elle adoptera la sanction la plus imposante. Qu'animé d'un pareil esprit et cédant à l'amour du bien, Sa Majesté a considéré comme le parti le plus sage d'appeler auprès d'elle, pour être aidée de leurs conseils, les mêmes notables assemblés par ses ordres au mois de janvier 1787, et dont le zèle et les travaux ont mérité son approbation et obtenu la confiance publique.
«Sa Majesté se réserve de remplacer par des personnes de même qualité et condition ceux d'entre les notables de l'Assemblée de 1787 qui sont décédés, ou qui se trouveraient valablement empêchés.»
Faisant trêve à la politique, il est des moments bien rares où l'on se ressouvient à la Cour de l'ancienne gaieté. «Ce soir (6 octobre), écrit Bombelles, étant chez Mme de Polignac, j'avais apporté à Mme de Guiche un air d'allemande qu'elle avait trouvé joli; je le lui faisais exécuter au piano, tandis que la Reine, de moitié avec Mme de Luynes, jouait au tric-trac avec le baron de Bezenval. La partie finissait, et la Reine, instruite par le baron de la facilité que j'ai de mettre des rimes en musique, a voulu que j'improvisasse en chantant et en m'accompagnant. Depuis longtemps je ne m'étais trouvé aussi embarrassé: me refuser à ce que désirait la Reine était maussade parce que le baron de Bezenval insistait sur ce qu'il appelait mon talent. Dire ou chanter des platitudes, enfin me présenter en bouffon ne m'eût fait aucun plaisir. J'ai rassemblé plus d'assurance qu'à moi n'appartient; j'ai eu le succès dû à la complaisance sans prétention, la Reine a paru s'amuser beaucoup; les jeunes femmes, Mmes de Guiche et de Polastron, riaient de tout leur cœur; à les en croire, je serais resté à les divertir jusqu'à minuit. Mais je me suis retiré aussitôt que cela m'a paru faisable, laissant la société plus prévenue en ma faveur que je n'étais content d'avoir été mis en jeu dans un genre qui nuit plus qu'il ne sert.»
Le duc de Fronsac étant venu souper un soir à Montreuil, Bombelles en trace ce portrait: «Ce jeune homme, qui a voyagé avec un applaudissement général sous le nom de comte de Chinon, arrive encore en ce moment de Pologne; il désirait de servir comme volontaire dans une armée de l'Empereur, mais ce zèle pour apprendre son métier n'a pas obtenu de Sa Majesté Impériale ce que M. de Fronsac en attendait, et il est avantageux pour l'effet que son nom et son existence dans une armée étrangère eût pu faire à Constantinople que son projet ait échoué.
«M. de Fronsac n'aura, je crois, ni l'esprit de son grand-père, ni la platitude de son père; il paraît animé par des sentiments dignes de sa position. Il est du nombre des jeunes gens trompés par la frénésie du moment, qui ne parlent que de la nécessité de mettre des bornes au despotisme, mais au moins il s'exprime en bons termes, raisonne assez juste, et annonce dans ce qu'il dit plus d'instruction que n'en ont les péroreurs qui me pourchassent et m'excèdent partout.»
Le 8, Madame Élisabeth est venue déjeuner à la petite «bicoque» de Montreuil. Elle avait promis cette faveur à Bitche, et celui-ci «ne l'aurait pas tenue quitte de sa promesse. On vous laisse à penser si ce déjeuner intime fut gai; on entend Madame Élisabeth taquinant ses amis et les enfants, s'abandonnant à la plus charmante «sensibilité», témoignant une fois de plus à ses dévoués son affection si enveloppante, les caresses de sa charmante gaieté.
Elle s'arrachait ainsi pour quelques heures aux absorbantes préoccupations de la politique, aux inquiétudes que donnait la santé du Dauphin. On veut se faire des illusions sur son état plutôt que l'on ne s'en fait en réalité.
Bombelles a été faire visite, à Meudon, au duc et à la duchesse d'Harcourt, mais le Dauphin était déjà retiré. «Malgré le bien qu'on dit toujours de son état, il paraît qu'on est moins pressé de le montrer et que les gens qui ne veulent pas le flatter croient que le prince ne passera pas l'hiver.» Les prévisions étaient justes, comme nous le verrons.
Comme le 9, le marquis revenait de Saint-Cloud où il était allé dîner chez la comtesse d'Artois, sa femme lui conte la conversation que sa Princesse a eue avec la Reine en allant à Meudon. Elle a plaidé la cause de l'ambassadeur «au vert» et dont le grand désir serait d'échanger son ambassade nominale de Lisbonne contre une autre, surtout celle de Constantinople, quand, d'une façon ou d'une autre, M. de Choiseul-Gouffier quitterait