Les Dernières Années du Marquis et de la Marquise de Bombelles. Fleury Maurice

Les Dernières Années du Marquis et de la Marquise de Bombelles - Fleury Maurice


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réunion des entraves qui tourneront au profit de l'autorité royale et que le bien sortît de ce triste chaos, en confiant ensuite, et avec une sage adresse, aux États provinciaux le soin d'assurer la dette publique et de diminuer les embarras du Royaume.

      «L'Assemblée a duré un peu plus d'une heure.»

      Le 8 novembre, la comtesse d'Artois donne un concert à Versailles, et M. de Bombelles y est convié comme amateur de musique. Il a gardé sa franche opinion, car il ne nous cache pas que «le concert eût été charmant par le choix de la musique si, d'une part, l'orchestre de la chapelle du Roi savait aller ensemble et en mesure, et si, de l'autre, des chanteuses protégées n'eussent pas excédé l'auditoire par leur mince talent de société.» Marie-Antoinette s'est aussi fait entendre, et le marquis note ceci: «Quoique la Reine ne rende pas toujours des sons d'une bien scrupuleuse justesse, elle en forme de très agréables et chante avec une grande méthode; elle s'est très bien tirée du beau final de la Frescatana.»

      Pendant l'entr'acte, des glaces ont été servies dans la chambre à coucher de la comtesse d'Artois. La Reine a été fort aimable pour les assistants, qui d'ailleurs n'étaient pas nombreux, car outre les officiers et dames de la maison de la princesse et Bombelles, il n'y avait là que les ducs de Mortemart et d'Harcourt, M. de Castelnau, MM. de Sérent et de la Bourdonnaye qui conduisaient leurs élèves les ducs d'Angoulême et de Berry. «Ce dernier paraît aimer la musique. M. le duc d'Angoulême nous a avoué qu'il n'aimait sans distinction que ce qui faisait du bruit.»

      «Mgr le duc d'Orléans en fait de plus en plus; dès le lendemain de l'Assemblée des Notables, il est allé courir à Paris, et, s'absentant de son bureau, on n'a plus su qui devait le remplacer dans la présidence. Enfin le Roi a décidé qu'on suivrait dans le bureau des notables la même règle qui s'observait au Conseil du Roi, c'est-à-dire que le duc et pair précédât toujours le secrétaire d'État, et qu'un maréchal de France eût de droit la présidence sur toute espèce de conseillers du Roi, excepté ceux qui seraient revêtus du respectable caractère qu'imprime la pairie.»

      En l'absence du duc de Tonnerre, c'est donc le maréchal de Broglie qui va présider le bureau du duc d'Orléans, «lorsque celui-ci, comme il l'annonce, sera à se divertir à Paris, de préférence à remplir ses devoirs à Versailles».

      La réception du duc du Châtelet a eu lieu le 10 à Versailles. A onze heures et demie, le Roi est monté à cheval et, accompagné de son service, de M. le maréchal de Mouchy68 et de M. le comte de Brienne, il s'est rendu à la place d'armes. Le duc du Châtelet avait précédé de quelques minutes Sa Majesté. Le nouveau colonel était suivi de M. de Livarot, maréchal de camp, de MM. de Coigny, de Noailles, de Puységur, de Champcenet servant d'aides de camp. Avec le Roi on remarquait par sa belle figure le prince de Lambesc. Lui seul avec M. le maréchal de Mouchy et M. de Brienne sont entrés dans l'enceinte carrée que formaient les six bataillons du régiment des Gardes françaises. Après que le Roi eut reçu M. le duc du Châtelet, celui-ci est venu prendre sa place à la tête de la Compagnie Colonelle, où M. le maréchal de Mouchy est venu lui faire prêter le serment d'usage.

      Ensuite le régiment rompant par pelotons a défilé devant le Roi, le colonel marchant à la tête de son corps et saluant, ainsi que ses officiers, Sa Majesté de l'épée…

      Le 11. – M. le duc d'Orléans a remis aujourd'hui à tous les bureaux des notables des exemplaires d'un mémoire, par lequel il demande que son chancelier et d'autres officiers nommés par lui le représentent en qualité de ses ambassadeurs près des États Généraux. Il fonde sa prétention sur les exemples d'un duc d'Anjou, Roi de Jérusalem, qui se fit représenter par des ambassadeurs à d'anciens États. Mais je trouve que nous n'avons pas eu d'assemblée depuis 987 jusqu'en 1145, et Foulques, Roi de Jérusalem, fils du comte d'Anjou (mort en 1106) mourut lui-même en 1141. Godefroy Plantagenet, comte d'Anjou, fils de ce Foulques n'hérita pas du royaume de Jérusalem, parce qu'il n'était pas fils de la princesse Mélusine, mais de la première femme de Foulques qui était Eremberga, comtesse héritière de Mayenne.

      Quoi qu'il en soit de l'autorité citée par M. le duc d'Orléans, sa prétention n'a pas fait fortune. Monsieur et Mgr comte d'Artois ont surtout été surpris qu'un prince du sang, séparé du trône par Monsieur le Dauphin, M. le duc de Normandie, deux frères et deux neveux du Roi, formât une demande à laquelle aucun de ces six princes ne penserait pas. Un sujet n'a point d'ambassadeurs près de sa propre nation, et M. le duc d'Orléans ne jouit des honneurs de premier prince du sang que par une grâce particulière du Roi.

      Chez la comtesse de Tessé, le 13, M. de Bombelles a pu être confondu d'étonnement: «Le fils de M. de Mun, le chef d'escadron des Gardes du corps, enfant de quatorze ans, déjà auteur de très jolies et de très extraordinaires productions, a composé en huit jours une comédie dont la diction est vraiment surprenante, mais le choix du sujet est fâcheux pour un adolescent: le héros de cette comédie est un mauvais mari, joueur, escroc, complice de vol, poltron et ingrat. Et c'est un enfant de quatorze ans qui met un tel personnage en scène. Son père et une société aimable et honnête applaudissent à ce genre de talent… Je m'y perds!»

      Avoir une audience de la duchesse de Bourbon est un grand honneur dont Bombelles apprécie le prix, tout en s'étonnant des sujets choisis dans l'entretien. «Je ne me flattais pas que cet honneur fût poussé jusqu'au tête-à-tête. Elle m'a parlé des merveilles de la nature, du maître de ces grandes œuvres, de ces immenses laboratoires où tous les éléments réunis préparent, dans un silence imposant, ces terribles phénomènes, jeux de l'univers, etc. Heureusement que les abbés de Saint-Farre et de Saint-Albin69 sont arrivés».

      Le marquis continue à voir fréquemment le baron de Breteuil. Le 19, il a dîné chez l'ancien ministre avec ses deux sœurs, et donne le résumé de la conversation.

      «Le baron ne revient pas de tout ce qu'il voit, de tout ce qu'il entend. Nombre de nos amis deviennent fols: Quiconque ose élever la voix en faveur des anciennes formes est regardé avec dédain. La licence des écrits est vraiment inconcevable, l'homme honnête, le citoyen tranquille gémissent de voir, que comme des insensés, nous courons à notre perte. Nous secouons le joug qui a été doux et, pour réprimer des abus d'autorité, des abus passagers dont la nation a su se faire justice, nous lâchons la bride à des passions qui nous conduiront à des malheurs, bien plus durables, bien plus incurables. Pourquoi la plus aimable des nations est-elle la plus légère?»

      Chez la comtesse de Brienne se réunissent tous les mécontents et tous les frondeurs. «Mais déjà, commente Bombelles, ce peuple se divise: d'abord tous les traits devaient se décocher contre le Roi, contre la royauté; aujourd'hui la noblesse se brouille; les gens de lettres veulent tout rejeter dans le chaos pour qu'un nouvel ordre de choses dont ils puissent profiter amplement en ressorte à l'aide de leur action et de leur lumière; des procureurs sans fin, des avocats et tous les barbouilleurs de papier voient dans une députation aux États Généraux une mine d'or pour eux.» Et le marquis de déclarer: «Ils se feront acheter par la Cour comme dans tous les pays où prévaut l'esprit républicain.»

      L'esprit de réforme quand même agite le public, jette Bombelles dans un mécontentement non déguisé: Le Code national attribué à M. Bergasse, le factum de M. d'Antraygues, Mémoire sur les États Généraux ont le don de l'agacer visiblement.

      Il continue à s'attrister des libelles répandus, de l'attitude libérale des notables, des remontrances adressées au Roi. «Je crois rêver, écrit-il le 9 décembre, en lisant ce qui se publie; je crois bien plus rêver encore en entendant applaudir aux folies les plus répréhensibles. Elles ont dicté l'arrêté du Parlement de Paris du 5 décembre. Cette Cour, craignant de se voir enlever le mérite d'attenter de toute part à l'autorité royale, n'a pu se refuser le plaisir de prescrire au Roi de quelle manière il devait se dépouiller de ses plus précieuses prérogatives. Hier elle a présenté des remontrances calquées sur ce fameux arrêté, et la réponse du Roi a obtenu l'approbation des plus zélés opposants.» Voici ce qui s'était passé: le Parlement avait cru reconquérir la faveur publique en se rétractant. A la majorité de quarante-cinq voix contre


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<p>68</p>

Philippe de Noailles, second fils du maréchal de Noailles, duc de Mouchy, lors de sa nomination de maréchal de France; s'illustra à Hilkersberg et à Fontenoy; vola courageusement au secours du Roi dans les journées du 20 juin et du 10 août; monta sur l'échafaud en 1794, en même temps que la maréchale, née d'Arpajon, l'ancienne dame d'honneur de la Reine.

<p>69</p>

Tous deux frères naturels de la duchesse de Bourbon, née Bathilde d'Orléans. Honoré Bonhomme a publié leur correspondance avec leur sœur. Ils étaient fils du duc d'Orléans, alors de Chartres et de Mlle Le Marquis, danseuse à la comédie italienne. Cf. l'excellent livre du comte Ducos, La mère du duc d'Enghien.