Les Dernières Années du Marquis et de la Marquise de Bombelles. Fleury Maurice

Les Dernières Années du Marquis et de la Marquise de Bombelles - Fleury Maurice


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inactif.

      «Le 29, il est allé avec Angélique entendre à l'Académie française le discours de réception du chevalier de Boufflers.

      «Mme la marquise de Las-Cases avait bien voulu nous procurer des billets; après dîner, nous nous sommes rendus à l'Académie, toutes les portes en étaient tumultueusement assiégées. Les Suisses à la livrée du Roi et armés de hallebardes ne savaient comment défendre leurs postes: un des fils du comte de Talleyrand s'est colleté avec l'un d'eux, et M. de Montboissier m'invitait à me joindre à lui pour désarmer le même homme. Mon silence lui a indiqué combien j'étais éloigné de le seconder, et enfin, grâce à moi, les dames qu'il accompagnait ont pu entrer.

      «Le commandant des Invalides du Louvre m'a dédommagé par ses honnêtetés de l'humeur que j'avais eue, en me trouvant témoin de scènes aussi indécentes.

      «Le discours du chevalier de Boufflers75 a été entendu avec un ravissement général. M. le prince Henry76, qui était à la séance, a reçu du chevalier un hommage, qui a été d'autant plus applaudi qu'il semblait naître absolument du sujet traité par le nouvel académicien; mais M. de Boufflers s'est trop étendu sur les principes du style.

      «M. de Saint-Lambert77 a répondu au chevalier de Boufflers par un discours, où, suivant la fureur du moment, il a fait arriver, très hors d'œuvre, une dissertation sur la question du Tiers État: quelques réflexions triviales n'ont pu être accueillies que par les enragés du moment.

      «M. le maréchal de Beauvau, M. le duc du Châtelet et le comte de Rochechouart sont les coryphées de cette secte.

      «Le chevalier de Florian a rendu le mouvement à l'Assemblée en lisant des fables plus gaies que les belles phrases de M. de Saint-Lambert.»

      Le 31, à Versailles. – «M. le baron de Breteuil et moi nous sommes allés dîner chez M. le comte de Montmorin. En sortant de table, il a assuré son ancien collègue qu'il n'y avait rien de décidé sur la manière de convoquer les États Généraux: ou il a voulu faire le plus plat des mystères, ou il était lui-même dans l'ignorance de la détermination ultérieure de M. Necker, puisqu'on avait déjà, depuis une heure ou deux, des exemplaires du résultat du Conseil d'État, tenu ici le 27 de ce mois, et auquel est ajouté le rapport fait au Roi par le Ministre des Finances.

      «Ce rapport va combler de joie tous les novateurs qui ne veulent qu'un nouvel ordre de choses dans notre constitution, c'est-à-dire la culbute de nos anciennes formes. Moi, ce que je vois dans cette nouvelle production de M. Necker, c'est une maligne ou stupide audace dont les résultats peuvent arracher des mains de Louis XVI un sceptre qui, depuis tant de siècles, était porté avec tant de gloire.

      «Les écrits les plus séditieux avaient moins d'inconvénients que cette production monstrueuse. Le Roi, la Reine, et c'est ce qui me désole pour eux, sont, dit-on, très contents de ce résultat. Ah! leur illusion sera de courte durée! Ils verront combien on les aura trompés, en leur faisant croire qu'ils recevront de leur coalition avec le Tiers État, la force que leur eût conservé le clergé et la noblesse. Ces deux ordres étaient les gardiens des droits de la royauté; des rhéteurs, des parvenus, des intrigants, qui se croiront les représentants du peuple, insulteront à la fois à la crédulité de ce peuple et à l'imprudence du monarque. Puis-je me tromper! le ciel est témoin de la pureté de mes intentions et de mon attachement à mon maître et à mon pays.»

      Ainsi se termine le Journal pour 1788.

      Le mot de Mirabeau: «La France est mûre pour la Révolution», se trouvait justifié par les derniers événements. En réalité, la Révolution ne date pas de la réunion des États Généraux, mais de six mois avant, du jour où la royauté est obligée de se justifier et de tenir tête non seulement, comme autrefois, au Parlement, mais à toute la légion des libellistes et écrivains du Tiers. Le Roi et Necker ont cru ressaisir une popularité en consentant de justes réformes, en faisant du Tiers un puissant rempart contre les anciens privilégiés. Ceux-ci seront englobés dans la chute progressive de la royauté, le «rempart» se mettra à leur place, emportera tout dans un immense ouragan, dont les premières revendications étaient le prélude.

      Bientôt allait se faire entendre la voix de Siéyès! Qu'est-ce que le Tiers État? Rien. Que doit-il être? Tout.

      Sur les ruines du passé et les débris des privilèges allait apparaître en pleine lumière la Nation, dont la face jusqu'ici était demeurée dans l'ombre.

      CHAPITRE IV

      Débuts sombres de l'année 1789. —Journal de Bombelles. – L'ambassade de Venise en perspective. – Mariage de Mlle de Mortemart avec le prince de Croy. – Nouvelles de Cour. – Le prince Henri de Prusse. – Préparation des Etats généraux. – Necker et Mme de Staël. – Considérations politiques. – En route pour le bailliage de Sens. – Mort du Dauphin.

      Bombelles n'est pas le dernier à comprendre que cette année 1789 «sera bien remarquable pour l'histoire de France». C'est dans son cours que se balanceront, que se heurteront, que se traiteront les plus grands intérêts.

      «Le Roi, livré à l'insouciance de quelques-uns de ses ministres, aux combinaisons personnelles et intéressées des autres et à la dangereuse audace de M. Necker, cédera aux orages qui s'accumulent et qu'il eût été si possible de conjurer. Nul au dehors, insulté au dedans de son royaume, un Prince qui avait ce qui suffisait pour être adoré de ses peuples, en est, en sera plus encore, le triste jouet; le désir du bien, les vertus nécessaires pour l'effectuer, tout en lui est devenu inutile par l'impéritie de ses conseillers. La brèche s'agrandit chaque jour davantage, et personne ne se présente, ou pour la réparer, ou pour la défendre; une haine aveugle contre la Reine fait oublier à tous les ordres de l'État ce qu'ils auraient à faire pour le bien de leur patrie; pour se venger de quelques négligences, de quelques légèretés pardonnables, des grands se séparent des intérêts de leurs égaux, personne ne se sent ni les talents ni l'énergie qu'il faudrait à des chefs de partis, et chacun, sans se rendre compte de ce qu'il désire, agit confusément, contribue ridiculement à l'augmentation du désordre, uniquement parce que nous nous sommes lassés d'être la première nation du monde.»

      Il y a encore de l'espoir, suivant Bombelles, puisque rien n'est perdu, que les autres puissances traversent aussi leur moment de crise. L'Angleterre est frappée de léthargie avec la démence de son roi; «nos ennemis naturels, la Russie et l'Empereur, font une guerre honteuse et malheureuse à nos vrais alliés; le ciel veut que le Roi de Prusse se presse trop de faire montre de sa puissance… Il ne permettra pas que la première des nations se dégrade, se détruise au moment où elle pourrait jouer le plus beau des rôles.»

      Et sur cette belle illusion, le marquis continue à noter jour par jour les événements grands et petits. Le prince de Luxembourg et M. de Brienne ont été reçus chevaliers de l'ordre, M. de Thiard a été autorisé à porter les insignes jusqu'à ce qu'il soit reçu publiquement… Bombelles a vu le jeune Dauphin chez le duc d'Harcourt, «qui en prend des soins aussi respectables que touchants; il serait à désirer qu'ils fussent couronnés d'un plus grand succès. Mais ce prince, malgré tout ce qu'en disent les médecins, n'acquiert aucune force et aura bien de la peine à sortir du marasme dans lequel il est».

      Le marquis a dîné chez l'évêque de Laon où ils étaient seize à attaquer la réponse de Necker et le système du ministre. Bombelles enrage d'entendre Montmorin faire l'éloge «de ce digne successeur des Sully et des Colbert» et se ranger sous sa bannière, comme d'ailleurs il s'était précédemment inféodé à l'archevêque de Sens et à Lamoignon.

      Chez la duchesse de Richelieu78 il y a eu brillante réunion, mais de là les conversations sérieuses sont bannies. Tandis que quelques-uns, dont Bombelles, jouent au quinze, de jeunes femmes, Mmes de Fronsac, de Fleury, de Galliffet, de Montagnac, jouent dans une pièce voisine à colin-maillard et au pied-de-bœuf. «L'on


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<p>75</p>

Poète, soldat, académicien, qu'a rendu surtout célèbre sa liaison avec la comtesse de Sabran. Leur intéressante correspondance a été récemment publiée.

<p>76</p>

De Prusse.

<p>77</p>

L'ami de Mme du Châtelet.

<p>78</p>

Née de Galliffet, belle-fille du maréchal, mère du ministre de la Restauration.