Les Dernières Années du Marquis et de la Marquise de Bombelles. Fleury Maurice

Les Dernières Années du Marquis et de la Marquise de Bombelles - Fleury Maurice


Скачать книгу
comte d'Artois est entré dans des détails qui font honneur à des connaissances que je ne lui supposais pas. Il m'a parlé de la position où se trouvaient la Pologne, la Russie et la Suède comme je voudrais qu'on en entretînt le Roi dans les débats de son conseil. Mais nos plaies intérieures comme effectivement les plus sensibles sont les seules dont nous sentions la douleur. M. Necker a eu une longue conférence avec le Roi avant le Conseil d'État: il veut le retour des Parlements à leurs fonctions.»

      Qu'il y ait des mécontents dans la coterie de l'archevêque cela se conçoit. M. de Brienne jouit de son reste en disant que tout est perdu si on sape la besogne de son frère. Et tout fait espérer «qu'elle sera sapée cette mauvaise besogne, et l'on n'en laissera pas vestige malgré tout ce que fait la Reine pour donner encore quelque cours aux éléments de l'archevêque de Sens et pour soumettre notre administration aux fatales lubies d'un abbé de Vermond, ce prêtre audacieux et enragé de se voir arracher les rênes du Gouvernement qu'il tenait tout entières, tandis que le principal ministre siégeait à Versailles».

      Bombelles n'est guère tendre pour l'influent Vermond. «Dans son courroux, ajoute-t-il, l'abbé n'épargne dans ses invectives ni le baron de Breteuil, ni Mme de Polignac, ni même la Reine. Il dit que Sa Majesté ne mérite plus d'être servie depuis qu'elle a souffert l'éloignement de l'archevêque. Cependant il continue à être exclusivement l'homme de confiance et le conseil de notre souverain.»

      La question Lamoignon est plus que jamais à l'ordre du jour. On a répandu le bruit que le Garde des Sceaux était soutenu en même temps par les frères du Roi et par la duchesse de Polignac.

      De Monsieur, on ne saurait guère parler, «car, opine très justement Bombelles, sa conduite variante (sic) ne permet pas de savoir bien au juste qui il protège, qui il abandonne; presqu'opposé au parti de la Cour, lors de l'Assemblée des Notables, ce prince est aujourd'hui fort bien avec la Reine et le Roi…» En apparence, devrait-on ajouter.

      Quant au comte d'Artois, le marquis continue à être très bien disposé en sa faveur: «Moins entortillé dans sa marche, toujours bon et loyal Français, il n'applaudit pas à tous les partis dominants. Il aime son souverain, son pays, ses amis, sans tromper personne. Non seulement il n'a pas laissé M. de Lamoignon dans le doute de ses sentiments, mais il l'a même envoyé chercher pour lui dire que, vu la nécessité de rappeler les Parlements, il lui conseillait de donner sa démission et de ne pas s'exposer à une nouvelle explosion de la haine des Parlements. Le Garde des Sceaux lui a répondu: «Monseigneur va un peu vite en besogne», et M. le comte d'Artois lui a répliqué: «Que ce n'était pas son avis, qu'au reste il avait cru devoir lui dire franchement ce qu'il avait dit au Roi et ce qu'il lui répéterait si l'occasion s'en présentait.»

      Lamoignon48 ne se tint guère pour satisfait; il éprouva même l'impérieux désir de se plaindre à la Reine, qui se montra irritée contre son beau-frère. La Reine ne voit pas la question avec justesse, pense Bombelles, car «un temps fort court apprendra à M. de Lamoignon que c'est en vain que l'on s'obstine à conserver une autorité que le public n'approuve pas». La démission volontaire pourrait lui valoir des grâces, telle que celle d'être fait duc, ce qu'il désire avant tout, mais si, par impossible, il conjurait l'orage actuel, les États généraux le foudroiraient. On parle de la création de Basville en duché, «il y aurait une sorte de justice d'ouvrir à la famille de M. de Lamoignon une carrière qui dédommageât ses enfants de celle qui leur sera irrévocablement fermée».

      Quant à la duchesse de Polignac, Bombelles affirme qu'elle ne soutient nullement l'ambition de M. le Garde des Sceaux. «Il n'a dans la société de la Reine d'autre agent que le baron de Bezenval.»

      Tandis que Lamoignon se fait fort de parler haut et ferme aux Parlements qui vont se réunir dans un bref délai, les Parlements sont tout à fait montés contre le Garde des Sceaux, ne parlent de rien moins que de le décréter de prise de corps ainsi que l'archevêque et tous les coopérateurs de leur besogne. Les lettres adressées à tous les membres du Parlement portaient que le Roi leur mandait de revenir à Paris pour y attendre les ordres en silence.

      M. de Saint-Priest prendra-t-il le Ministère des Affaires étrangères? La duchesse de Polignac le fait espérer à Bombelles: de la sorte l'ambassade de la Porte deviendrait libre, et il échangerait le Portugal contre la Hollande. Notre diplomate en congé envisage sans enthousiasme cette conjecture: «Outre que ce poste ne donne que ce qu'il faut y dépenser, je ne pense pas que nous soyons toujours assez déterminés sur ce qu'il faudrait faire dans cette république, et si nous nous résolvions à suivre un parti qui y rétablît notre réputation et nos affaires, il amènerait d'abord une rupture pendant laquelle l'ambassadeur de France verrait ce qui ne convient pas à ma situation.»

      Le 11, on s'est réjoui à Paris de la nouvelle que M. de Lamoignon avait donné sa démission. On disait au Palais-Royal que les sceaux lui étaient retirés jusqu'à nouvel ordre et que M. Joly de Fleury, ancien ministre des Finances, ou M. d'Ormesson49, servirait ad interim pour ce qui exigerait qu'un magistrat fît parvenir aux Parlements de la part du Roi.

      C'était là faux bruit, car Lamoignon n'entend pas encore abandonner le gouvernail. «En attendant, continue Bombelles, les Parlements se montrent de plus en plus récalcitrants. M. le premier Président, mandé à Versailles pour concerter les arrangements du lit de justice, n'a pu être ébranlé par toutes les paroles de M. de Lamoignon, et quand celui-ci s'est avisé de lui dire qu'il cessait de lui parler comme Garde des Sceaux, M. le Président a sur-le-champ levé la séance en lui disant qu'il ne pouvait plus l'entendre qu'en vertu de l'autorité de sa place.»

      Malgré cette sévérité, on assure que M. d'Aligre a déplu à la Compagnie lorsqu'il a dit qu'il avait vu M. de Lamoignon. «De tout temps ce magistrat fut mal vu de ses confrères, et lorsqu'il présidait la Chambre des Vacations, il avait inutilement un grand état de maison, sa table somptueuse manquait toujours de convives.»

      Chez le marquis de Puysieux, Bombelles a appris une nouvelle qui l'a comblé de joie parce qu'elle fait le bonheur de son ami le comte de Bercheny50. «Du temps où M. le Maréchal, alors marquis de Ségur, commandait en chef en Franche-Comté, le comte de Bercheny fut l'y voir et s'y fit aimer, parce qu'il est impossible de le connaître sans l'aimer. Un M. Denèse, riche possesseur de belles terres dans cette province, n'ayant qu'un fils, l'a trouvé destiné à une assez grande fortune pour n'en pas chercher dans la femme qu'il lui donnerait, et en conséquence il a jeté les yeux sur la fille du comte de Bercheny.

      «Celle-ci, âgée de neuf ans, vient d'être promise au jeune homme, qui en a seize; les articles ont été signés, et le comte de Bercheny ne donnera que mille écus de rente à la femme du petit Denèse qui en aura, dit-on, bien solidement plus de 80.000, et qui par sa naissance est susceptible des agréments de la Cour.»

      Et Bombelles de conclure, suivant son habitude, en axiome: «On voit encore que l'honnêteté et la véritable bonhomie ne restent pas toujours sans récompense.»

      Cependant M. de Lamoignon ne se décide pas à partir sans se faire longuement prier. «Il s'obstine, disent les uns, à paraître lundi au lit de justice qui enfin aura lieu ce jour-là. D'autres assurent qu'il ne tient à son poste que parce que l'archevêque, tout en ne pouvant souffrir le Garde des Sceaux a fait promettre à la Reine qu'elle le conserverait en place, et l'on ne veut pas avoir le dégoût de le sacrifier à l'humeur des Parlements. C'est cependant ce qui sera inévitable.»

      Il est une autre intrigue qui occupe la Cour. Depuis longtemps on n'entendait plus guère parler de la duchesse de Gramont. Voici que la sœur de Choiseul51 se remuait de nouveau. «N'ayant pu amortir en elle la passion de dominer, elle se sert de son crédit ancien et ranimé pour que la Reine fasse M. le duc de Châtelet52 ministre principal. Celui-ci refuse le département de la Guerre, à moins qu'il ne soit joint au suprême pouvoir d'un ministre dirigeant les autres départements, et M. Necker qui voit que la cabale Choiseul jointe à celle de l'abbé de Vermond veut tout envahir, tout empêtrer et lui susciter des


Скачать книгу

<p>48</p>

Chrétien-François de Lamoignon (1735-1789) avait été Président à mortier du Parlement de Paris, en 1758, et partagea l'exil de cette compagnie en 1771. Il prit part à la Correspondance, sorte de satire contre le Parlement Maupeou. Nommé Garde des Sceaux en 1787, il avait dû se rallier à la Cour et, changeant forcément de rôle, il contribua à l'exil du Parlement de Troyes. Il s'associa d'abord à tous les actes de Loménie de Brienne, puis se brouilla avec lui. En 1789, on le trouva mort dans son parc de Basville, ayant près de lui un fusil déchargé.

<p>49</p>

Louis-François de Paule Le Fèvre, marquis d'Ormesson, neveu de d'Aguesseau, avocat général du Châtelet, en 1739, à vingt et un ans, président à mortier en 1755, premier Président du Parlement en 1788, membre de l'Académie des Inscriptions, servit souvent de médiateur entre la Cour et les Parlements. Mort le 26 janvier 1789.

<p>50</p>

Le second fils du maréchal, colonel après son frère du régiment de cavalerie hongroise, marié à la fille du marquis de Pange, trésorier de l'extraordinaire des guerres, puis à Thérèse de Santo Domingue. Il est question de Bercheny dans les Aventures de jeunesse de Valentin Esterhazy, récemment publiées par M. Ernest Daudet.

<p>51</p>

Béatrix de Choiseul-Stainville, mariée au duc de Gramont, dont elle vivait séparée, avait été la maîtresse de Louis XV; on sait son crédit sur son frère dont elle seconda énergiquement les vues. Morte sur l'échafaud en 1794.

<p>52</p>

Colonel des Gardes françaises, lieutenant-général, fils de la fameuse marquise du Châtelet, née Breteuil, amie de Voltaire; né en 1731, mort sur l'échafaud en 1794.